Addictologie

Tabac et fonctions cognitives

Publié le 23/01/2009
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La nicotine inhalée possède des effets positives sur un certain nombre de fonctions cognitives. Elles sont importantes à considérer chez les fumeurs, car elles expliquent certains troubles observés lors de l’arrêt du tabac, causes possibles de rechute s’ils ne sont pas pris en charge.

Malgré la nette réduction du tabagisme en France, il s’est constitué progressivement un « noyau dur » de fumeurs, très dépendants, chez lesquels existe une vulnérabilité psychologique, caractérisée par des troubles de l’attention et de l’équilibre émotionnel. La nicotine, présente dans la feuille de tabac, a des propriétés addictives puissantes ; la fumée provenant d’une cigarette est inhalée et arrive rapidement dans le cerveau, où elle se fixe sur des structures spécifiques, les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine (RNAch). Ce processus est à l’origine de la forte dépendance et de toutes les sensations psychologiques que connaissent bien et recherchent les fumeurs ; celles-ci sont parfois ignorées des médecins et de l’entourage, focalisés avant tout sur les risques de la cigarette.

Les effets positifs du tabac

La sensation de plaisir commune à toutes les drogues est présente à des degrés variables d’un fumeur à l’autre, souvent associée à une impression de détente, de convivialité. Mais contrairement aux autres drogues, héroïne, cannabis, alcool, qui altèrent les fonctions cognitives, la nicotine les favorise, tout du moins à court terme, comme l’ont montré les nombreuses études effectuées chez l’animal et chez l’homme, en utilisant des tests comportementaux et psychologiques bien codifiés.

-) Le tabac fumé ou chiqué peut exercer par l’intermédiaire de la nicotine les effets suivants, variables d’un fumeur à l’autre :

- augmentation de l’éveil, de la vigilance, de la concentration intellectuelle ;

- amélioration de la mémoire de travail (mémoire à court terme), de la rapidité des réflexes et de certaines capacités sensorielles. (vision, situation dans l’espace…) ;

- contrôle cognitif des adaptations comportementales aux situations diverses de l’environnement et aux émotions

Conséquences cognitives de l’arrêt du tabac

Le sevrage brutal peut supprimer ces effets favorables et être à l’origine de divers troubles pouvant être associés au syndrome de manque, mais aussi exister isolément, et persister de façon prolongée, quelques semaines ou mois, alors même que le manque a disparu. Ils s’observent en l’absence de traitement de substitution nicotinique (TSN) ou lorsque les doses de celui-ci sont insuffisantes. Certaines données expérimentales suggèrent que l’apport continu de nicotine par les timbres, très efficace sur le syndrome de manque, aurait moins d’effets sur les troubles cognitifs que celui de la cigarette et des substituts nicotiniques oraux ou inhalés.

Nous en avons observé de nombreux exemples, tels cet avocat qui n’arrivait plus à rédiger ses plaidoiries, cet informaticien qui buttait sur ses programmes, ce professeur qui mettait deux heures à corriger une copie de philosophie, au lieu de la demi-heure habituelle. Plusieurs fumeurs ont signalé des troubles de la mémoire à court terme, disant « J’ai l’impression de commencer un Alzheimer ».

-) Ces observations psychologiques ont été confirmées par des données cliniques.

- Chez les sujets avec des troubles de l’attention et de la régulation émotionnelle, le tabagisme est plus fréquent, plus important, avec une dépendance plus forte et des difficultés plus grandes à l’arrêt. Il en est aussi tout particulièrement des adolescents et des adultes jeunes ayant certaines formes de ces perturbations, tels « l’hyperactivité avec des troubles de l’attention », dont le trouble attentionnel est amélioré par la prescription de nicotine médicamenteuse associée aux traitements usuels (1).

- Des observations similaires ont été faites au cours d’états anxieux et dépressifs latents avec une extériorisation des troubles et en particulier une dépression à l’arrêt brutal des cigarettes, et une correction de ces perturbations à la reprise du tabac ou avec la prescription du TSN. (1)

- Dans certaines affections neuro-dégénérétives avec troubles de l’attention, la nicotine a pu être utilisée comme thérapeutique complémentaire, par exemple dans la maladie de Parkinson, dans la maladie d’Alzheimer.

- Un exemple moins connu est celui de l’utilisation du tabac chiqué ou des substituts nicotiniques oraux comme substance dopante dans certains sports nécessitant adresse et précision ! Ceci est fréquent aux Etats-Unis dans le basket, dans les pays scandinaves pour les épreuves de ski, le slalom en particulier. Cette pratique est en train de diffuser en France dans le ski alpin et chez les adolescents dans les vallées alpines. (2-3).

-) Des travaux expérimentaux ont confirmé ces faits. La liaison de la nicotine aux récepteurs nicotiniques est à l’origine de toutes les propriétés psychoactives du tabac :

- action dopaminergique avec stimulation de la zone de récompense comme pour toutes les drogues;

- régulation du contrôle comportemental par le cortex préfrontal et l’amygdale.

-) Le rôle des RNAch a été démontré chez la souris dans le laboratoire du Pr J. P Changeux. La possibilité d’induire une dépendance expérimentale à la nicotine et de démontrer la possibilité d’apprentissage, de mémorisation, d’adaptation comportementale, disparaît chez des souris mutantes dépourvues de RNAch de type ß2. Il est possible de restaurer ces propriétés en injectant dans certaines zones cérébrales le gène codant pour ce type de récepteur (4).

-) La nicotine ou les agonistes nicotiniques pourraient avoir dans l’avenir des perspectives thérapeutiques dans certaines affections neuro-dégénératives.

Pr Gilbert Lagtue (centre d’Addictologie (tabac, cannabis). hôpital Albert Chenevier, 40 rue de Mesly. 94010 Créteil Cedex. Correspondance : fmc@legeneraliste.fr)

Source : Le Généraliste: 2474