Effets cardiovasculaires du traitement antihypertenseur administré le matin ou le soir au Royaume-Uni (étude Time) : un essai randomisé prospectif pragmatique en ouvert avec évaluation indépendante en insu
Cardiovascular outcomes in adults with hypertension with evening versus morning dosing of usual antihypertensives in the UK (TIME study): a prospective, randomised, open-label, blinded-endpoint clinical trial
Mackenzie IS, Rogers A, Poulter NR & al. Lancet 2022;400:1417-25.
CONTEXTE
Un premier petit essai randomisé nommé Mapec avait démontré qu’administrer le traitement antihypertenseur au coucher versus au réveil réduisait significativement les évènements cardiovasculaires (1). Cependant, cet essai ne concernait pas des patients traités et suivis en médecine générale, et la différence absolue sur un critère principal composite était ténue (1,59 %, soit 62 patients à traiter au coucher vs au réveil pendant 5,2 ans pour éviter un évènement). Un second essai randomisé (Hygia), conduit par la même équipe de pharmacologues espagnols férus de chronobiologie, avait confirmé ce bénéfice chez des patients pris en charge par des médecins généralistes (2, 3). Cependant, Hygia a été très controversé (4-7), en particulier sur le design, la conduite et les surprenants résultats (en particulier un HR = 0,58 ; IC95 % = 0,49-0,68 sur les décès non cardiovasculaires, NNT = 56) aboutissant à une investigation approfondie par la revue qui l’a publié (7).
OBJECTIF
Mesurer l’impact clinique du traitement antihypertenseur (≥ 1 médicament) administré le soir (20 heures-0 h 00) versus le matin (6 heures-10 heures) à des patients hypertendus soignés et suivis en soins primaires.
MÉTHODE
Essai randomisé multicentrique prospectif pragmatique en ouvert réalisé au Royaume-Uni majoritairement chez des généralistes. Les patients inclus devaient être atteints d’une HTA traitée par au moins un médicament antihypertenseur. Ils ont été randomisés (avec leur consentement) pour prendre leur traitement antihypertenseur soit entre 20 heures et minuit (groupe soir), soit entre 6 heures et 10 heures du matin (groupe matin). Les participants ont été invités à s’inscrire sur un site web dédié à l’essai et à remplir un questionnaire d’observance et d’identification des événements cliniques cardiovasculaires un mois après la randomisation, puis tous les trois mois. Le critère de jugement principal était composé du décès CV et de la première hospitalisation pour infarctus du myocarde (IdM) ou accident vasculaire cérébral (AVC) non fatal. Ces évènements ont été révélés par les participants et/ou extraits des bases de données britanniques (bien alimentées) et validés (ou pas) par un comité d’experts indépendants en insu du groupe alloué.
Les critères de jugement secondaires étaient : chaque composant du critère principal, les hospitalisations ou décès liés à une insuffisance cardiaque, l’observance de l’horaire d’administration alloué, les valeurs de pression artérielle en fin d’essai et les effets indésirables. L’analyse sur les critères secondaires n’était pas hiérarchisée et n’a pas tenu compte de l’inflation du risque alpha. Les analyses statistiques ont été faites en intention de traiter à l’aide d’un modèle proportionnel de Cox non ajusté, et les résultats sont présentés en hazard ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC95).
RÉSULTATS
Entre décembre 2011 et juin 2018, 21 104 sujets ont été inclus et suivis pendant une médiane de 5,2 ans. 10 503 participants ont été randomisés dans le groupe soir et 10 601 dans le groupe matin. Les caractéristiques à l’inclusion étaient similaires entre les groupes : âge moyen = 65,1 ± 9,3 ans, 57,5 % d’hommes, diabète = 13 %, fumeurs = 37,5 %, pression artérielle (PA) moyenne = 135/79 mmHg, IMC = 28,4 kg/m2, prévention CV secondaire = 12,9 %, nombre moyen de médicaments antihypertenseurs = 1,50. Pendant les 5,2 ans de suivi, 11,6 % des participants n’ont pas rempli tous les questionnaires d’observance et d’évènements. 5 % des sujets du groupe soir ont retiré leur consentement à participer vs 3 % dans le groupe matin.
Il y a eu 362 (3,4 %) évènements du critère principal dans le groupe soir et 390 (3,7 %) dans le groupe matin, HR non ajusté = 0,95 ; IC95 = 0,83-1,10, p < 0,53. Il en était de même dans tous les sous-groupes préspécifiés de l’essai, sur tous les critères cardiovasculaires secondaires, ainsi que pour la mortalité CV et totale.
La non-observance de l’horaire d’administration alloué du traitement a été significativement plus fréquente dans le groupe soir que dans le groupe matin (39 % vs 22,5 %, p < 0,0001). 617 patients ont indiqué qu’ils avaient modifié l’horaire d’administration à cause des effets indésirables des diurétiques : 5,2 % dans le groupe soir et 0,7 % dans le groupe matin (p < 0,0001). Les participants assignés au groupe soir avaient une PA (automesure à domicile) matinale plus basse que ceux assignés au groupe matin : différence sur la systolique = -1,8 mmHg (p < 0,0001) et -0,4 mmHg sur la diastolique (p = 0,02). Inversement, la systolique (-1,1 mmHg) et la diastolique (-0,9 mmHg) étaient significativement (p < 0,0001) plus basses dans le groupe matin que dans le groupe soir quand la PA était automesurée le soir.
Enfin, il n’y a pas eu de différence significative entre les groupes en termes d’effets indésirables, en particulier les chutes et les fractures nécessitant une hospitalisation (0,8 % dans les deux groupes).
COMMENTAIRES
Les résultats de cet essai britannique randomisé en « vraie vie », bien conçu et conduit, sont à l’opposé de ceux incroyables (au sens propre du terme) de l’essai Hygia (2). Contrairement aux essais précédents et à la théorie chronobiologique, celui-ci démontre que prendre un traitement antihypertenseur le matin ou le soir n’a aucun impact sur le risque cardiovasculaire et les décès.
Malgré le grand nombre de participants, le design randomisé robuste, la nature pragmatique et le suivi relativement long de Time, cet essai a quelques limites :
• 39 % des sujets alloués au groupe soir (vs 22,5 % dans le groupe matin) n’ont pas toujours respecté leur horaire, ce qui remet en cause les effets bénéfiques de la randomisation.
• 8,84 % des sujets du groupe soir n’ont pas rempli ni retourné tous leurs questionnaires de suivi vs 5,2 % dans le groupe matin, ce qui pourrait sous-estimer la fréquence des effets indésirables dans le groupe soir.
Il n’y a pas eu d’analyses selon la classe pharmacologique des antihypertenseurs, qui n’ont pas tous le même profil chronobiologique, et l’article ne détaille pas la nature pharmacologique et l’évolution des antihypertenseurs prescrits en cours d’essai.
Malgré ces petites faiblesses, la qualité du design et la solidité de la démonstration de Time offrent un niveau de preuve suffisant pour crédibiliser ses résultats (plus plausibles que ceux de Hygia).
Dans la mesure où il est impossible de comparer les essais Mapec (1) et Hygia (2) avec Time pour des raisons de controverses scientifiques, il faut attendre, fin 2024, les résultats des essais canadiens en cours, BedMed et BedMail-Frail, pour disposer de preuves supplémentaires susceptibles de mieux conseiller les patients.
En pratique, cet essai démontre qu’il n’est pas préférable de prescrire le traitement antihypertenseur le soir plutôt que le matin et qu’il est raisonnable de conseiller au patient de prendre ses médicaments antihypertenseurs à l’horaire qui lui convient le mieux selon les éventuels effets indésirables perçus.
Docteur Santa Félibre (généraliste enseignant)
BIBLIOGRAPHIE
1. Hermida RC, Ayala DE, Mojon A, & al. Influence of circadian time of hypertension treatment on cardiovascular risk: results of the MAPEC study. Chronobiol Int 2010;27:1629-51.
2. Hermida RC, Crespo JJ, Dominguez-Sardina & al. Bedtime hypertension treatment improves cardiovascular risk reduction: the Hygia Chronotherapy Trial. Eur Heart J 2019
3. Félibre S. Les antihypertenseurs sont-ils du matin ou du soir ? Le Généraliste 2019;2892.
4. Turgeon RD, Althouse AD, Cohen JB, et al. Lowering nighttime blood pressure with bedtime dosing of antihypertensive medications: controversies in hypertension – con side of the argument. Hypertension 2021;78:871-8. https://doi.org/10.1161/HypertensionAHA.121.165015. Lemmer B, Middeke M. A commentary on the Spanish hypertension studies MAPEC and HYGIA. Chronobiol Int 2020;37:728-30.
6. Guthrie G, Poulter N, Macdonald T, & al. Chronotherapy in hypertension: the devil is in the details. Eur Heart J 2020;41:1606-7.
7. Relates to “Bedtime hypertension treatment improves cardiovascular risk reduction: Hygia chronotherapy trial.” Eur Heart J 2020;41:1600.
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