Gériatrie

Traiter la dénutrition chez une personne de 70 ans et plus

Publié le 05/12/2022
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La prise en charge de la dénutrition chez une personne âgée nécessite d’abord de bien connaître son état de santé, ses apports alimentaires réels… En cas de nécessité, la prescription de compléments nutritionnels oraux se fait selon des consignes précises en sus de l’alimentation habituelle.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

INTRODUCTION

Parmi les 8 millions de personnes de plus de 70 ans vivant à domicile, 4 à 10 % souffriraient de dénutrition. Cette proportion serait encore plus importante chez les personnes institutionnalisées. Face à cette pathologie, la prescription de compléments nutritionnels oraux (CNO) reste encore trop souvent une solution de facilité dans la prise en charge des patients, alors même que ces traitements ne doivent être envisagés qu’après une démarche diagnostique et thérapeutique stricte. Après notre article de FMC sur le diagnostic précoce de la dénutrition des plus de 70 ans (Le Généraliste, n° 2984), voici un tour d’horizon des solutions proposées. À adapter, bien sûr, individuellement, en prenant en compte le mode de vie de chaque patient.

Dans un premier temps, il est indispensable d’estimer les apports alimentaires spontanés en questionnant la personne et ses aidants, sans oublier d’examiner et d’apprécier le contenu du réfrigérateur à domicile. Pour quantifier les apports, le questionnaire MNA (Mini Nutritional Assessment) est un outil simple qui aide à évaluer assez rapidement l’état nutritionnel. Il permet de détecter un apport alimentaire diminué (supérieur à la moitié de l’apport habituel) ou fortement diminué (inférieur à la moitié de l’apport habituel) et constitue la base du dépistage d’une dénutrition.

À l’issue de cette première étape, il est important de délivrer des conseils nutritionnels permettant d’augmenter les apports alimentaires, en rappelant notamment les règles du Programme national nutrition santé (PNNS) pour les personnes âgées : viandes, poissons ou œufs 2 fois par jour ; lait et produits laitiers 3 à 4 fois par jour ; pain, autres aliments céréaliers, pommes de terre ou légumes secs, à chaque repas ; fruits et légumes au moins 5 portions par jour ; eau (ou autres boissons : jus de fruits, tisanes, etc.) : 1 à 1,5 litre par jour sans attendre la sensation de soif.

Une fois passées ces étapes préliminaires, les modalités de la prise en charge sont fonction du statut nutritionnel de la personne âgée, du niveau des apports alimentaires énergétiques et protéiques spontanés, de la sévérité de la (des) pathologie(s) sous-jacente(s), des handicaps associés ainsi que leur évolution prévisible, mais aussi de l’avis du malade lui-même et de son entourage, tout comme des considérations éthiques (en particulier en soins palliatifs).

LES MESURES DE PREMIÈRE INTENTION

En cas de dénutrition chez une personne âgée, l’alimentation par voie orale est recommandée en première intention sauf en cas de contre-­indication (l’alimentation par voie entérale ne sera pas abordée ici).

En premier lieu, l’augmentation de la fréquence des prises alimentaires dans la journée, en passant à quatre (matin, midi, goûter, soir), est souvent à même de majorer l’apport global, y compris chez les patients dont les habitudes alimentaires sont particulières (dîner à base de tartines sucrées, un peu comme un petit-déjeuner). Il convient aussi d’éviter les périodes de jeûne nocturne trop longues (> 12 heures).

Les produits riches en énergie et/ou en protéines et adaptés aux goûts du patient doivent être privilégiés ; la connaissance de ses préférences alimentaires est en outre l’une des composantes indispensables de l’enquête alimentaire (dégoût pour la viande, appétence pour les produits laitiers, les aliments sucrés…).

L’organisation d’une aide au repas (technique et/ou humaine) est un autre pan important de la prise en charge. Si le passage à la restauration collective est souvent mal vécu, c’est le plus souvent parce que, auparavant, l’alimentation du patient était peu variée et simple, voire simpliste. Dans ce cas, les plats surgelés peuvent aussi représenter une bonne option. Les plats proposés en « portage de repas », assez variés, équilibrés, sont souvent disponibles dans des portions qui peuvent être consommées en un ou deux repas. L’aide par une tierce personne est le plus souvent appréciée, à condition toutefois que l’aidant adapte sa cuisine aux goûts de la personne âgée. Enfin, manger régulièrement au restaurant (en dehors de son lieu de vie ou de la maison de retraite) favorise le partage dans un environnement agréable.

Une autre possibilité est à mentionner : l’alimentation enrichie, qui a pour objectif d’augmenter l’apport énergétique et protéique d’une ration sans en augmenter le volume. Elle consiste à agrémenter l’alimentation traditionnelle par différents produits tels que de la poudre de lait entier ou du lait concentré entier (3 cuillères à soupe ≈ 8 g de protéines), du fromage râpé (20 g ≈ 5 g de protéines), des œufs (1 jaune ≈ 3 g de protéines), de la crème fraîche épaisse (1 cuillère à soupe ≈ 80 calories), du beurre fondu ou de l’huile (1 cuillère à soupe ≈ 75-90 calories) ou des poudres de protéines industrielles (1 cuillère à soupe ≈ 5 g de protéines).

Cette première étape permet, pour nombre de patients, d’éviter d’entrer dans la spirale de la dénutrition et est facile à mettre en place.

LES COMPLÉMENTS NUTRITIONNELS ORAUX

Le recours à la prescription de compléments nutritionnels oraux (CNO) doit être envisagé en l’absence d’effet de l’enrichissement alimentaire à la réévaluation à un mois. Ces compléments sont prescrits en sus de l’alimentation habituelle et ne doivent en aucun cas la remplacer. Riches en calories, en protéines et en certains micro­nutriments, ils permettent de pallier, le plus souvent de manière temporaire, un apport alimentaire insuffisant. Chez les personnes âgées, des CNO avec un total de 30 g de protéines ou 400 kcal par jour sont habituellement conseillés. La prescription est à adapter en fonction des besoins du patient et de sa pathologie.

À ce stade, et afin de proposer au patient une perspective thérapeutique, il est recommandé de lui présenter les CNO comme faisant partie intégrante de son traitement.

Il s’agit de mélanges nutritifs complets administrables par voie orale, hyperénergétiques et/ou hyperprotidiques, dont les goûts et les textures variés permettant d’éviter la lassitude, de favoriser l’observance et d’adapter la prescription aux besoins du patient. Bien souvent, lorsque les goûts du patient ne sont pas pris en compte, les CNO ne sont pas ou peu utilisés.

Ce sont les produits hyperénergétiques (≥ 1,5 kcal/ml ou g) et/ou hyperprotidiques (protéines ≥  7 g/100 ml ou 100 g, ou protéines ≥ 20 % de l’apport énergétique total – AET) qui sont le plus habituellement utilisés chez les personnes âgées. Les compléments nutritionnels oraux se consomment en plusieurs collations/prises alimentaires réparties dans la journée à distance des repas (exemple : à 10 heures, 16 heures, 22 heures). Si ces horaires peuvent être adaptés en fonction du rythme de vie du patient, il convient toutefois de consommer les compléments au moins 2 heures avant ou après le repas.

Il conviendra au passage de s’assurer que les conditions de conservation sont bien respectées par les patients ou leur entourage (après ouverture, 2 heures à température ambiante et 24 heures au réfrigérateur).

On distingue les compléments nutritionnels oraux prêts à l’emploi (crèmes, potages, liquides aromatisés aux fruits…), les compléments nutritionnels oraux à mélanger (poudre à ajouter dans les purées, soupes, compotes…) et les compléments nutritionnels dont la texture est adaptée aux cas de troubles de la déglutition.

Certains compléments nutritionnels oraux ont une composition spécifiquement élaborée (macronutriments, micronutriments et/ou fibres) pour répondre aux besoins nutritionnels de patients dénutris souffrant de troubles du métabolisme glucidique, déshydratation, cancer, escarres…

Une réévaluation régulière de la prise des CNO est indispensable de manière à adapter la prescription, voire de la suspendre s’ils ne sont pas utilisés. Il n’est cependant pas nécessaire de réaliser un bilan biologique de contrôle dans les semaines qui suivent la mise en place des CNO, le délai avant la remontée de l’albuminémie étant relativement long. Si, en dépit de la supplémentation proposée et réellement consommée, le patient en autonomie perd encore du poids, une hospitalisation de jour pour bilan de dénutrition doit être programmée.

Comment prescrire les compléments nutritionnels oraux ?

Depuis 2019, les CNO sont remboursés pour les adultes de plus de 70 ans en cas de perte de poids ≥ 5 % en un mois, ou ≥ à 10 % en 6 mois, chez ceux dont l’IMC est ≤ à 21, ou le questionnaire MNA (Mini Nutritional Assessment) ≤ à 17 (sur 30) ou lorsque l’albuminémie est inférieure à 35 g/L.

En pratique, la prescription se fait en deux temps. Dans un premier temps, et pour un mois, un mélange hyperprotidique et hyperénergétique pour un apport de 400 kcal/j et 30 g/j de protéines est prescrit à raison de deux unités par jour pendant 4 semaines. Il est possible d’indiquer le type de CNO mais il peut aussi être laissé à l’appréciation du pharmacien, qui est souvent plus en position que le généraliste d’aborder les questions concernant l’alimentation. L’observance doit être réévaluée une à deux semaines après le début du traitement.

Les prescriptions ultérieures pourront être de 3 mois maximum après réévaluation de l’efficacité et de la tolérance des CNO prescrits tous les mois. Elles pourront aussi être affinées ou réajustées en fonction des premiers résultats cliniques obtenus.

BIBLIOGRAPHIE
1. HAS 2007. Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée.
2. Assurance Maladie 2015. Dénutrition chez la personne âgée (> 70 ans) et aide à la prescription des compléments nutritionnels oraux (CNO).
3. Société francophone de nutrition clinique et métabolisme. Fiches pratiques dénutrition. https://www.sfncm.org/images/stories/ENC_Brochure_Guide_d%C3%A9nutritio…
4. Arrêté du 7 mai 2019 portant modification de la procédure d'inscription et des conditions de prise en charge des produits pour complémentation nutritionnelle orale destinés aux adultes inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du Code de la Sécurité sociale. NOR : SSAS1913497AELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2019/5/7/SSAS1913497A/jo/text… n° 0108 du 10 mai 2019


Source : lequotidiendumedecin.fr