La majorité des infections des voies respiratoires hautes chez l'enfant est d'origine virale. Les principales bactéries impliquées dans les sinusites et les otites moyennes aiguës purulentes de l'enfant sont le Streptotoccus pneumoniae (pneumocoque), l'Haemophilus influenzae, et Branhamella catarrhalis. La distinction entre infection bactérienne et virale est parfois difficile à établir, alors même qu'elle conditionne la prescription et la justesse du traitement antibiotique.
LA QUESTION DE L'ANTIBIOTHÉRAPIE
À qui ne pas prescrire d'antibiotiques ?
L'évolution des résistances de certaines bactéries vis-à-vis des antibiotiques et l'émergence ces dernières années de bactéries multirésistantes, ont conduit l'AFSSAPS à publier en novembre 2010 un document sur l'importance renforcée du bon usage des antibiotiques. Ces bactéries multirésistantes aux antibiotiques sont des entérobactéries sécrétrices de bêta-lactamases à spectre étendu (EBLSE) et celles sécrétrices de carbapénémases. Des souches de colibacilles notamment sont responsables d'infections urinaires, intra-abdominales et néonatales. Leur émergence est favorisée par l'antibiothérapie – céphalosporines de 3e génération et fluoroquinolones -, qui induit une pression de sélection sur la flore digestive (dont E. coli). Cet effet délétère est présent quel que soit le contexte d'utilisation de ces antibiotiques (à l'hôpital ou en ville) et quelles que soient les indications ayant motivé le traitement. Dans le domaine des infections ORL pédiatriques, les céphalosporines orales sont très souvent prescrites en cas d'otite ou de sinusite, et l'Afssaps souligne qu'il est indispensable de respecter les situations dans lesquelles il est recommandé aujourd'hui de ne pas prescrire d'antibiotiques, se référant à cet égard aux recommandations précédemment émises (tableau 1). S'agissant du cas particulier des infections respiratoires hautes, ces recommandations sont celles de 2005.
Des souches en évolution
Parmi les bactéries responsables des otites et sinusites de l'enfant, le pneumocoque et H. influenzae ont vu leur épidémiologie se modifier, avec des conséquences potentielles importantes en termes de recours aux antibiotiques.
La proportion de souches de pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicilline G (souches intermédiaires et résistantes) a diminué depuis le début des années 2000, passant de 47 % en 2001 à 30 % en 2008. Pour autant, la France reste l'un des pays européens où le pourcentage de pneumocoques résistants à la pénicilline G (et à l'érythromycine) est le plus élevé. Par ailleurs, avant l'introduction du vaccin anti-pneumococcique heptavalent, on trouvait 40 % de souches résistantes et 60 % de souches intermédiaires. La vaccination a pratiquement fait disparaître les sérotypes responsables de la résistance, au "profit" des souches intermédiaires. C'est ainsi que l'on observe aujourd'hui 10 fois plus de souches intermédiaires que de souches résistantes. L'amoxicilline reste active sur ces souches intermédiaires, mais les céphalosporines de 2e et 3e générations orales ne sont efficaces que sur environ la moitié d'entre elles. "La ceftriaxone, céphalosporine injectable, garde une très bonne activité sur les pneumocoques intermédiaires et résistants mais DOIT être réservée à des cas particuliers : otite en échec de traitement avec prélèvement bactériologique, nécessité d’un traitement parentéral", souligne le Pr Van Den Abbeele. "Par ailleurs, avec la mise sur le marché du vaccin anti-pneumococcique à 13 valences, l’écologie du pneumocoque va probablement encore se modifier au profit d’autres souches, mais il est possible aussi qu'émergent d’autres bactéries actuellement minoritaires, comme par exemple le staphylocoque doré".
S'agissant de l'H. influenzae, le mécanisme de la résistance aux antibiotiques est double. D'une part certaines souches produisent une bêta-lactamase qui inactive l'amoxicilline et réduit l'efficacité des céphalosporines de 1re génération ; chez d'autres souches, on observe une modification de la cible des bêta-lactamines, les protéines de liaison à la pénicilline. Ces souches sont appelées BLNAR (souches résistantes à l'ampicilline sans production de bêta-lactamase). Elles restent sensibles à l'amoxicilline à forte dose et aux céphalosporines de 3e génération. Certaines souches cumulent les deux mécanismes de résistance. Les données de surveillance nationale indiquent que le pourcentage de souches productrices de bêta-lactamase est passé entre 2000 et 2009 de 37,4 à 15 %, tandis que celui des souches BLNAR était de 4,1 en 2000, 26,4 % en 2007 et de 15,7 % en 2009. Cette ascension des souches BLNAR remet en perspective l'utilisation de l'amoxicilline comme antibiotique de première intention dans les otites et sinusites. D'autant que l'emploi des céphalosporines de 3e génération est désormais limité par le risque d'extension des souches d'entérobactéries BLSE (voir paragraphe précédent).
L'OTITE MOYENNE AIGUË
-› Dans ses recommandations de 2005, l'Afssaps distingue trois cas de figure : l'otite moyenne aiguë (OMA) congestive (souvent en rapport avec une infection virale du rhinopharynx), l'otite séromuqueuse (OSM) et l'OMA purulente. Les deux premières ne nécessitent pas d'antibiothérapie, mais justifient une surveillance. En cas d'OMA purulente, la prescription d'antibiotiques n'a pas de caractère systématique, car l'évolution spontanée peut se faire vers la guérison, en particulier pour les otites à H. influenzae chez les enfants de plus de 2 ans. Cependant, l'antibiothérapie a permis de faire diminuer la mortalité et les complications liées aux OMA purulentes (mastoïdites, labyrinthites, abcès du cerveau, paralysies faciales, thrombophlébites septiques). En outre, les otites à symptomatologie bruyante semblent évoluer moins favorablement que les otites peu symptomatiques, de même que les otites avec otorrhée. Le bénéfice attendu de l'antibiothérapie est donc d'autant plus important que l'enfant est jeune et symptomatique.
En conséquence, les recommandations sont les suivantes :
• Chez l’enfant de moins de 2 ans, l’antibiothérapie d’emblée est recommandée ; c'est ce que confirme d'ailleurs une récente étude américaine menée sur des enfants de 6 à 23 mois, et qui conforte l'intérêt de l'antibiothérapie (amoxicilline-acide clavulanique en l'occurrence) dans cette tranche d'âge.
• Chez l’enfant de plus de 2 ans peu symptomatique (tympan d'OMA purulente mais fièvre modérée et otalgie absente ou modérée), l’abstention en première intention de l’antibiothérapie est licite, sous réserve de réévaluer la situation dans les 48-72 heures sous traitement symptomatique ; mais si la symptomatologie est bruyante (fièvre élevée, otalgie intense), une antibiothérapie doit être prescrite. À ce propos, un travail finlandais vient d'évaluer la place de l'antibiothérapie (amoxicilline-acide clavulanique) sur des enfants âgés de 6 à 35 mois (moyenne : 16 mois). Globalement, les résultats sont en faveur de l'antibiothérapie. "Le problème concerne donc la tranche d'âge de 24 à 35 mois. L'antibiothérapie fait mieux que le placebo, mais le problème ne réside pas là. Il s'agit de savoir si l'absence d'antibiothérapie augmente les complications, de type mastoïdite ou otite séreuse par exemple. Cela n'y figure pas et les auteurs le reconnaissent. Par ailleurs, la fièvre diminue plus vite avec antibiotique : cela conforte l'idée de donner un antibiotique après deux ans si les signes généraux sont importants et la fièvre est élevée".
• "Attention, l’enfant de moins de 3 mois nécessite une surveillance particulière avec une identification nécessaire du germe par paracentèse, adaptation du traitement (fréquence accrue des germes néonataux comme E. Coli, staphylocoque, pyocyanique) et hospitalisation en cas de fièvre supérieure ou égale à 38°C".
Lorsque le traitement antibiotique est indiqué, certaines corrélations bactério-cliniques peuvent orienter vers la bactérie en cause. Ainsi, l'existence d'un syndrome otite-conjonctivite plaide pour une infection à H. influenzae, tandis que la présence d'une fièvre élevée et d'otalgies importantes évoque plutôt un pneumocoque. Les antibiotiques recommandés en 1re intention sont l’association amoxicilline-acide clavulanique (80 mg/kg/j d’amoxicilline), ou le cefpodoxime-proxétil, ou le céfuroxime-axétil. "Au vu de la récente mise en garde de l'Afssaps, et étant donné que l’efficacité des céphalosporines orales n’est pas supérieure à l’association amoxicilline-acide clavulanique bien donnée (en 3 prises), il serait préférable de réserver les céphalosporines à la seconde intention (allergie aux pénicillines sans contre-indication aux céphalosporines, intolérance digestive à l’association amoxicilline-acide clavulanique)", remarque le Pr Van Den Abbeele.
En cas de contre-indication aux bêta-lactamines, l'association érythromycine-sulfafurazole peut être utilisée chez l'enfant de moins de 6 ans, et la pristinamycine si l'enfant a plus de 6 ans.
La durée de l’antibiothérapie est de 8 à 10 jours chez l’enfant de moins de 2 ans, de 5 jours après cet âge.
Les gouttes auriculaires contenant des antibiotiques n’ont aucune indication dans l’OMA, quel qu'en soit le type (otite congestive ou purulente, OSM). Elles sont réservées au traitement des otites externes.
En cas d'échec du traitement antibiotique (aggravation ou persistance de la symptomatologie des signes otoscopiques au-delà de 48 heures après le début du traitement antibiotique, ou réapparition dans les 4 jours suivant la fin du traitement), une paracentèse avec prélèvement bactériologique doit être effectuée. Le traitement antibiotique est alors adapté en fonction des résultats de l'antibiogramme. Les deux antibiotiques actifs sur les pneumocoques résistants sont l’amoxicilline à forte dose (150 mg/kg/j) et la ceftriaxone injectable.
On parle d'otites récidivantes lorsque 3 épisodes sont survenus en 6 mois ou 4 épisodes en un an. Au plan thérapeutique, lorsqu'un antibiotique s'est montré efficace avec obtention de la guérison, il n’y a pas de raison d'en changer lors des épisodes ultérieurs, car il s’agit de recontaminations à partir du rhinopharynx.
LES SINUSITES
La sinusite maxillaire est observée chez l'enfant à partir de 3 ans. Elle doit être différenciée de la rhinosinusite congestive, qui accompagne parfois les rhinopharyngites virales et qui ne justifie pas la mise en route d'une antibiothérapie. Après l'âge de 10 ans, on observe plus volontiers des sinusites frontales souvent bénignes mais parfois révélées par des complications intracrâniennes. Deux formes sont plus rares : l’ethmoïdite extériorisée aiguë (fièvre associée à un oedème palpébral supéro-interne douloureux), qui touche le jeune enfant (entre 6 mois et 5 ans), et la sinusite sphénoïdale (céphalées rétro-orbitaires intenses et permanentes), qui atteint le grand enfant, et sont toutes deux des urgences thérapeutiques.
L'indication de l'antibiothérapie dans les sinusites maxillaires purulentes ou frontales dépend de l'intensité du tableau clinique.
• Dans les formes aiguës sévères, le traitement antibiotique est recommandé d'emblée. L’existence d’une sinusite frontale aiguë doit faire rechercher une complication intracrânienne.
• En présence d'une forme subaiguë, il faut distinguer les enfants qui ont des facteurs de risque tels qu'un asthme, une cardiopathie, une drépanocytose, et qui doivent recevoir une antibiothérapie, et les enfants sans facteurs de risque. Pour ces derniers, l'Afssaps laisse le choix au praticien : soit une surveillance sous traitement symptomatique avec réévaluation à 3-4 jours, soit la prescription d’antibiotiques d’emblée.
Les antibiotiques recommandés en première intention sont soit l’association amoxicilline-acide clavulanique (80 mg/kg/j d’amoxicilline en 3 prises sans dépasser 3 g/j), soit le cefpodoxime-proxétil (8 mg/kg/j en 2 prises).
La pristinamycine est recommandée à partir de 6 ans (50 mg/kg/jour en 2 prises), notamment en cas de
contre-indication aux bêta-lactamines.
La durée du traitement est de 7 à 10 jours.
Les antibiotiques locaux par instillation nasale, endosinusienne ou par aérosol ne sont pas recommandés dans les rhino-sinusites infectieuses aiguës.
LES TRAITEMENTS SYMPTOMATIQUES
-› Que ce soit dans les otites ou les sinusites, un traitement antalgique antipyrétique est recommandé (voir encadré 1). L’utilité des anti-inflammatoires non stéroïdiens à doses anti-inflammatoires et des corticoïdes n’est pas démontrée. L’utilisation des corticoïdes peut cependant être discutée au cas par cas dans les sinusites hyperalgiques en cas de syndrome infectieux bien contrôlé. En cas d'otite hyperalgique, des formulations d'antalgiques incluant de la codéine peuvent être utilisées dans les formes hyperalgiques, dans le respect de leur AMM.
-› Le traitement de l'obstruction nasale repose sur le lavage des fosses nasales avec un soluté isotonique ou hypertonique associé au mouchage du nez. En traitement local, l'association chlorure de benzalkonium, acétylcystéine et tuaminoheptane reste autorisée chez l'enfant à partir de 30 mois après échec de la désobstruction mécanique. Cependant, l'intérêt de cette spécialité est actuellement en cours de révision. Les vasoconstricteurs locaux sont interdits chez l’enfant de moins de 15 ans. Les vasoconstricteurs par voie générale sont à éviter.
-› Enfin, "le traitement d'une éventuelle toux associée repose davantage sur le traitement de sa cause que sur les traitements symptomatiques". Rappelons que chez l'enfant de moins de 2 ans, il convient de respecter les recommandations émises en octobre 2010. Ainsi, il n'y a pas lieu de prescrire d'antitussifs chez le nourrisson. Quant aux mucolytiques, aux mucofluidifiants et à l’hélicidine, ils sont contre-indiqués chez le nourrisson depuis avril 2010.
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