Mme D, 43 ans, comptable, mère de 2 enfants, se plaint d'une "baisse de forme" associant lassitude et découragement. Elle relie ces manifestations au départ de son fils aîné à l'étranger, il y 2 mois. Elle culpabilise de ne pas mieux "passer cette étape" qu’elle ne le fait. Les symptômes sont inconstants, survenant plutôt les jours où elle se réveille prématurément vers 5 heures. Elle a failli annuler son dernier cours de danse "par manque d'envie", mais l'envie de retrouver ses amies a été la plus forte. Cinq ans auparavant, elle a présenté un épisode similaire, spontanément résolutif.
S'AGIT-IL D'UN EPISODE DEPRESSIF MAJEUR ?
Oui, puisque l'on retrouve 5 des 9 critères listés par la classification DSM-IV-TR pour poser le diagnostic d'épisode dépressif majeur (EDM) (tableau consultable sur legeneraliste.fr), c'est-à-dire caractérisé : humeur dépressive, perte d'intérêt pour certaines activités habituelles, fatigue ou perte d'énergie, trouble du sommeil, dévalorisation et sentiment de culpabilité. Ces éléments sont présents depuis plus de deux semaines consécutives, et témoignent d'un changement par rapport au fonctionnement antérieur (1).
QU’ELLE EN EST L'INTENSITE ?
L'évaluation de l'intensité de la dépression – légère, modérée ou sévère - repose sur trois éléments : nombre de symptômes dépressifs, intensité de ces symptômes et retentissement socio-professionnel. Mme D présente une forme légère d'EDM, définie par l'existence de 5 symptômes dépressifs, peu intenses et labiles, associés à une altération limitée du fonctionnement (social, professionnel…) ou à un fonctionnement normal mais au prix d'efforts importants et inhabituels (1). C'est à dire que les symptômes sont en nombre suffisant pour répondre au diagnostic. L’altération des activités socio-professionnelles est seulement mineure (2). Dans les formes sévères, on retrouve 8 ou 9 symptômes dépressifs, cliniquement intenses et s'accompagnant d'une nette altération du fonctionnement. Une intensité modérée est intermédiaire entre légère et sévère (1).
ANTIDEPRESSEUR OU PSYCHOTHERAPIE ?
-) Concernant la prescription d'antidépresseurs, l'Afssaps (1) préconise de ne pas traiter par antidépresseurs les épisodes dépressifs caractérisés d’intensité légère, sauf en cas d’échec des autres stratégies (voir infra). Elle précise que dans cette indication, les imipraminiques et les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) n’ont pas démontré leur efficacité par rapport au placebo (3). "Cependant, certains patients minimisent leurs symptômes, sous estiment le handicap et/ou ne sont pas enclins à aborder leurs difficultés psychologiques ni à changer leurs habitudes de pensée. Dans ces cas rares qui nécessitent une analyse plus poussée, notamment cognitive, les bénéfices apportés par les antidépresseurs sont intéressants ", ajoute le Dr Nuss.
-) S'agissant de la psychothérapie dans les formes légères d'EDM, l'Anaes (2) indique qu'une psychothérapie cognitivo-comportementale peut être utilisée seule en traitement initial. Les autres thérapies (psychothérapie interpersonnelle, thérapie par résolution de problèmes, psychothérapie de soutien) sont également efficaces.
-) Les mesures proposées par l'Afssaps en cas d'EDM d'intensité légère (1) sont basées sur des conseils d'hygiène de vie :
- arrêt de l’alcool, la diminution de la consommation de caféine (chez les patients anxieux),
- pratique d’une activité physique,
- pratique d’une méthode de relaxation,
- pratique d’une méthode de méditation.
QUID DU MILLEPERTUIS ?
Le millepertuis (Hypericum perforatum) n'a pas l'AMM en France dans les dépressions caractérisées (son indication mentionne qu'il est traditionnellement utilisé dans les manifestations dépressives légères et transitoires). Dans une étude allemande qui le compare versus paroxétine chez 251 patients atteints de dépression modérée ou sévère, il s'avère au moins aussi efficace et mieux toléré que l'ISRS au terme de six semaines de traitement (4). Une récente revue Cochrane (5) conclut à la supériorité du millepertuis sur le placebo dans les EDM, et à une efficacité similaire à celle des antidépresseurs "standard" (ISRS et imipraminiques) avec des effets secondaires moindres. Deux réserves cependant : les résultats issus des pays germanophones sont plus favorables au millepertuis que ceux obtenus dans les autres zones géographiques, et le niveau de preuve de son efficacité dans les dépressions sévères est insuffisant pour en tirer des conclusions.
-) Les interactions médicamenteuses du millepertuis doivent être prises en compte (6). Ainsi, il est contre-indiqué (risque de baisse d'efficacité) avec les anticoagulants oraux, certains anticonvulsivants, les contraceptifs oraux, la digoxine, les immunosuppresseurs, les inhibiteurs de protéases, l'irinotécan, la théophylline, les inhibiteurs des tyrosine-kinases (dict. Vidal).
-) "Il est difficile d'évaluer l'efficacité d'un médicament dès lors que l'on se situe dans le contexte d'une pathologie d'intensité légère, en raison du taux élevé de réponse au placebo. C'est le cas pour le millepertuis. Ceci étant, son mécanisme d'action est comparable à celui des ISRS, mais l'inhibition de la recapture est moins importante et dépend de la teneur en substances actives. Cette prescription peut donc avoir du sens à condition qu'elle soit faite dans le cadre d'une prise en charge psychothérapeutique, et non en auto-médication".
FAUT-IL TENIR COMPTE DE L'ANTECEDENT D'EDM 5 ANS AUPARAVANT ?
"Dans le cas d'une récidive dépressive, on doit considérer l'épisode d'intensité légère actuel comme étant plus important que le précédent car il semble signer l'existence d'une vulnérabilité dépressive. La priorité est la résolution complète sans symptômes résiduels. Toutefois, dans le cas de Mme D. les manifestations dépressives regroupant les critères d'EDM semblent s'organiser autour d'événements de vie négatifs et il paraît encore légitime d'envisager un traitement psychothérapeutique".
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