Le Pr Alain S. « n’est pas le monstre pervers et manipulateur que la défense s’est efforcée de présenter ». Il n’est pas non plus le « Deus ex machina décrit par Mme la procureure qui aurait créé, entretenu et alimenté le conflit entre ses deux élèves (le Dr Gilles C. et le Pr Jean-Louis Mégnien, NDLR) ». Ainsi s'exprimait à la barre, jeudi 6 juillet, Me Jean-Marie Burguburu, l’un des deux avocats du Pr Alain S., principal prévenu dans l’affaire du suicide du Pr Jean-Louis Mégnien.
Fin 2015, ce professeur de cardiologie de 54 ans, père de cinq enfants, s’était jeté par la fenêtre de son bureau du septième étage de l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), provoquant un vif émoi dans la communauté médicale. Au terme de cinq ans d'instruction, trois professeurs – « responsables hiérarchiques » de Jean-Louis Mégnien – mais aussi l'ex-directrice de l'hôpital Anne Costa et l'AP-HP, en qualité de personne morale, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris pour comparaître pour « harcèlement moral ».
Succession
Après cinq semaines de procès, la procureure a requis un an de prison avec sursis et 10 000 euros d'amende contre le Pr Alain S. Selon elle, c’est lui qui « a créé le conflit et l'a entretenu ». Atteignant l'âge de la retraite, il n'aurait pas supporté que son « élève » (le Pr Mégnien) veuille prendre sa place à la tête du Centre de médecine préventive cardiovasculaire qu'il dirigeait, un conflit devenu délétère.
Selon la partie civile, le Pr Alain S. aurait dénigré l’ancien cardiologue pour bloquer la succession de ce candidat pourtant naturel au poste de chef de service. Un argument incompréhensible pour son avocat, qui se demande comment son client aurait pu « dénigrer, son élève, son poulain », ce qui serait revenu à « se faire du mal à lui-même ».
Au contraire, le Pr Alain S. a voulu « aider son élève, le sauver même d’un échec qu’aurait constitué une candidature alors prématurée à sa succession », avance Jean-Marie Burguburu. Quand son client a pris la présidence de la commission médicale d'établissement locale (CMEL), un conflit ouvert éclate entre ses deux élèves : le Dr Gilles C. et le Pr Jean-Louis Mégnien. « Deux élèves qu’il aimait et qui ne s’aimaient plus », considère l’avocat du Pr Alain S.
À l’aube de sa retraite de chef de service, celui-ci décide alors de mettre en place une solution atypique : une chefferie tournante, tous les quatre ans. Contrairement à Jean-Louis Mégnien, le Dr Gilles C. n’est pas PU-PH, mais c’est lui qui assurera la première rotation. Un accord jugé « bidon » par Mégnien. Dans un mail à un collègue daté du 12 novembre 2013, il explique même que le Pr Alain S « a tout fait » pour qu’il retire sa candidature.
Antécédents médicaux
Cet accord n’était certes « pas de la prévention », mais « il ne constitue en rien un préliminaire du harcèlement », soutient Jean-Marie Burguburu qui préfère évoquer les « graves troubles psychiatriques, inconnus de tous » du Pr Mégnien.
Sa consœur, Me Marie Burguburu, également avocate du Pr Alain S., est revenue ce vendredi sur la « maladie » du Pr Mégnien. Pourtant, « malgré 15 ans de suivi psychiatrique », et un mois d’hospitalisation en 2003, personne n’était au courant, observe l’avocate qui juge « absurde » que le procès n’ait pas tenu compte de la santé et des antécédents médicaux du cardiologue. Quand un suicide survient sur le lieu de travail, « on ne peut pas échapper aux tenants et aboutissants de la décompensation », avance l’avocate. Celle-ci a également accusé le Pr Mégnien d’avoir tenu des propos diffamatoires envers le Dr Gilles C. Des « propos homophobes et des accusations de pédophilie » confirmés par trois témoignages écrits, mais « sans témoin ».
Tragédie
La veille, Me Vatier, l’avocat du Pr Michel D. avait dénoncé un dossier semblable à une « tragédie grecque ». Dans cette affaire, Michel D., est accusé de son côté d’avoir milité pour le déplacement les consultations du Pr Mégnien à un autre étage, d’avoir entravé ses activités de recherche, mais aussi déménagé son bureau. Or, Michel D., affirme son avocat, aurait au contraire tout fait pour que le Pr Mégnien puisse conserver l’ensemble de ses prérogatives : « des locaux au 7e étage, son appartenance à l’unité et bénéficier d’un box au 3e, avec l’appui technique des services de cardiologie ». « Ce qui nous a été présenté comme un harcèlement n’est que l’illustration d’un conflit ».
Selon lui, la partie civile, comme le juge d’instruction, ont donc « créé un scénario ». Le décès du cardiologue hospitalier est aussi, pour l’avocat, « un support pour l’ensemble des frustrations du corps médical ». Un « rite sacrificiel », puisqu’il faut « trouver un responsable à une situation de souffrance, trouver une victime expiatoire ».
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