Financement, rémunérations : ce que propose le rapport Aubert pour les médecins et les établissements

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Publié le 29/01/2019
Buzyn Aubert

Buzyn Aubert
Crédit photo : Yann Bubien

À la tête d'une task force sur la réforme des modes de financement et de régulation, le patron de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES, ministère), Jean-Marc Aubert, a rendu ce mardi son rapport définitif à Agnès Buzyn. D'une cinquantaine de pages, le document y liste des mesures originales, parfois déjà en cours d'expérimentation.

Très attendu et parfois redouté, ce travail reprend les grandes lignes du prérapport de novembre 2018 tout en balisant la méthode et (un peu) le calendrier pour les quatre années à venir. Il assoit le principe de rémunération des professionnels et établissements selon un mode de paiement combiné, à flux multiples.

La ministre devrait s'en inspirer pour concrétiser plusieurs promesses de campagne du candidat Macron, dont deux capitales : la limitation à 50 % du financement à l'activité (paiement à l'acte, à la journée, T2A) et, par effet de balancier, la montée en puissance des autres modes de rémunération (forfaits, dotation populationnelle, suivi, séquence de soins, qualité). Les mesures pourraient se concrétiser dans le droit commun ou par le cadre juridique expérimental et dérogatoire de l'article 51 sur l'innovation. Pour les généralistes, le paiement à l'acte resterait majoritaire mais moins prédominant qu'aujourd'hui (87 %).

Le gouvernement n'a pas l'intention de financer cette réforme par des moyens accrus. Le rapport Aubert table sur un ONDAM (objectif national de dépenses maladie) annuel à 2,3 %, sur la redistribution des financements existants (notamment la T2A) et les économies dégagées par l'amélioration des pratiques. Zoom sur les six financements qui pourraient provoquer ce big bang du financement de la santé.

• Le paiement à la qualité et à la pertinence

Cette « brique » de financement a vocation à concerner l'ensemble des structures et des professionnels. 

Déjà budgété dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2019 à hauteur de 300 millions d'euros pour les établissements (contre 60 millions d'euros en 2018), le paiement à la qualité s'inscrit dans la logique du programme IFAQ à l'hôpital – resté assez confidentiel. En médecine de ville, ce système de paiement à la qualité a pris la forme du CAPI dans un premier temps, devenu la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) en 2012 pour les généralistes et certains spécialistes. 

Cette manne ne sera valable en 2019 que sur les activités hospitalières en médecine chirurgie et obstétrique (MCO), en SSR et à domicile (HAD). Elle devrait être étendue aux soins de ville, aux EHPAD et à la psychiatrie d'ici à 2022. S'il n'a pas vocation à remplacer la T2A, le paiement à la qualité devra représenter entre 2 et 3 % des recettes d'assurance-maladie des établissements en 2022, soit deux milliards d'euros. Le modèle intègre aussi à partir de 2020 un système de malus pour les hôpitaux et cliniques mauvais élèves.

En ville, l'extension de la ROSP à de nouvelles spécialités est « à considérer avec des modalités adaptées », juge le rapport Aubert.  

• Le paiement au suivi des pathologies chroniques

C'est un forfait pour les pathologies chroniques qui est déjà concrétisé pour les hôpitaux en 2019 (via le budget de la Sécu) pour la prise en charge du diabète et de l'insuffisance rénale chronique. Le versement de cette enveloppe sera conditionné au respect d'un cahier des charges (comme le nombre de consultations physiques ou télétransmises, suggère le rapport). Son montant dépendra de l'état de gravité du patient. La prise en charge sera assurée à 100 % par l'assurance-maladie. 

Prochaine étape proposée : l'extension en « miroir » du forfait diabète au médecin généraliste, « qui pourrait se substituer aux consultations actuellement réalisées » et au « paiement actuel à l’acte », lit-on, afin de « de renforcer encore le rôle clé du médecin traitant dans le suivi et l’organisation des soins ». Le montant de ce forfait de prise en charge globale des patients diabétiques pourrait être modulé selon l'atteinte de résultats cliniques, à l'état général du patient mais aussi à la réalisation d'un nombre minimal de consultations. 

La montée en charge progressive du paiement au suivi à d'autres pathologies chroniques ou population (personnes âgées, BPCO, maladie coronarienne, AVC, obésité morbide), aux médecins généralistes et aux infirmiers, est estimée à cinq milliards d'euros à horizon 2022.

• Le paiement groupé à la séquence de soins

Pour l'assurance-maladie, à l'origine de cette idée, l'enjeu est de rémunérer avec un montant forfaitaire global l'ensemble des acteurs hospitaliers et libéraux impliqués en pré et post-hospitalisation (séjour, consultations externes, honoraires médicaux, soins infirmiers, kinésithérapie, etc.) pour un même épisode de soins, incluant reprises et les complications. La Sécu espère pousser les professionnels à se coordonner, à améliorer leur pratique et réduire les actes inutiles et réhospitalisations éventuelles. 

Les premières expérimentations sont attendues cette année pour l’arthroplastie de hanche – ce qui ne plaît pas aux chirurgiens orthopédistes –,  la prothèse totale de genou, la ligamentoplastie du genou et la colectomie pour cancer. Prudente, la task force milite pour un déploiement « très progressif » du paiement groupé à d'autres prises en charge.

• Le paiement à l'acte 

La part de financement à l’activité restera majoritaire en ville comme à l’hôpital. Conformément au cadrage politique, la mission Aubert veut ramener la part financée à l’activité (T2A, 63 % du budget des établissements) à 50 %, soit 40 milliards d'euros d'euros en 2022.

En ville, aucun objectif chiffré de réduction du paiement à l'acte n’est fixé, la tarification à l'acte étant très largement dominante (de 87 à 100 % selon les spécialités). La task force ne préconise pas d’y renoncer mais de la faire évoluer pour favoriser directement la pertinence et l'innovation. Cela réclame une « démarche de révision puis de maintenance active des nomenclatures » médicale et paramédicale, devenues illisibles, sur trois ans. Ce grand ménage vise la CCAM technique (8 500 actes médicaux en ville), la NGAP (actes cliniques médicaux et paramédicaux libéraux), les 2 600 GHS à l'hôpital ou encore la NABM (codage des actes biologiques).

A l'hôpital, la task force réclame une « mise à jour » dès 2019 des GHS médicaux, chirurgicaux et interventionnels et, en parralèle, des incitations financières au développement de la chirurgie ambulatoire, de la récupération améliorée après chirurgie (RAAC) et de la médecine de courte durée (tarifs uniques entre les séjours de très courte duréer et l'hospitalisation complète). En ville cette fois, le rapport constate qu'il existe des dizaines, voire des centaines d'actes, classés hors nomenclature... 

• Le paiement à la structuration pour le travail en équipe et les soins de ville

La task-force propose d’investir davantage qu’aujourd’hui dans le numérique (échanges d’informations, télémédecine, gestion des données médicales, objets de santé connectés, etc.) et l’aide au fonctionnement des structures de soins coordonnés.

Cet arbitrage va dans le sens du gouvernement, qui souhaite voir naître sur le territoire, d’ici à 2022, 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et 2 000 structures d’exercice coordonné (maisons de santé, centres de santé, équipes de soins primaires). Ouvertes le 16 janvier par l'assurance-maladie, les négociations sur le financement des CPTS, qui se terminent le 14 mars, permettront d'y voir plus clair sur le montant de l'enveloppe finale. 

• Le sort particulier de la psychiatrie et des urgences

Les établissements psychiatriques sont aujourd'hui financés par deux modalités (dotation annuelle de financement – DAF – ou prix de journée), selon leurs statuts. 

Le rapport Aubert mise sur un financement combiné qui associerait plusieurs modalités. Le cœur de la réforme serait la mise en place d'une nouvelle « dotation populationnelle » versée aux ARS (8,7 milliards), ajustée à la précarité de la population couverte et à la part de mineurs. Ce vecteur principal d'allocation des resources serait complété par cinq briques bénéficiant aux établissements, correspondant au financement incitatif à la qualité, à la « réactivité », au codage, au développement de nouvelles activités inter-régionales et à la recherche.

Aux urgences cette fois, la part forfaitaire du financement devra être « consolidée » et ne plus être modulée au nombre de passages, travers qui pousse les hôpitaux à la suractivité. L'objectif est double : inciter les professionnels à renvoyer les situations les plus légères vers la ville grâce à une coordination plus étroite avec les CPTS et garantir le maintien des services d'urgences dans les territoires en ne conditionnant pas leur existence à leur niveau d'activité.


Source : lequotidiendumedecin.fr