CHU Grenoble : les syndicats font un signalement auprès du procureur de la République pour mise en danger de la santé d’autrui

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Publié le 18/04/2023
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Crédit photo : S.Toubon

« Des bras, des lits ». Tel est le mot d’ordre des médecins et personnels des urgences du CHU de Grenoble (Isère) qui sont en grève illimitée depuis le 6 décembre 2022 pour dénoncer un manque de moyens et exiger la réouverture de lits. Cinq mois plus tard, ils dénoncent une situation de « mise en danger de la vie des patients ». Raison pour laquelle l’intersyndicale (CGT, SNMH/FO, DEFIS) a décidé de faire un signalement auprès du procureur de la République pour mise en danger de la santé d’autrui. Le Dr Cyrille Venet, anesthésiste-réanimateur à Voiron et secrétaire général du Syndicat national des médecins hospitaliers (SNMH- FO), revient sur la situation actuelle et les causes du mouvement social.

LE QUOTIDIEN : Le personnel est en grève depuis décembre dernier. Comment en est-on arrivé là ?

Dr CYRILLE VENET : En 2014, les médecins du service des urgences du CHU de Grenoble s’étaient déjà mis en grève pour exiger des lits d’aval et une demi-garde supplémentaire. À l’époque, la directrice générale avait attribué dix postes supplémentaires et ouvert un service de post-urgences. Depuis, la situation n’a jamais cessé de s’aggraver. Les fermetures de lits se multiplient, que cela soit dans le secteur psychiatrique ou en médecine aiguë. À tel point que les médecins ne peuvent plus hospitaliser leurs malades. En l’espace de trois ans, 200 lits ont fermé, tous services confondus, ce qui correspond à environ 20 % du parc de lits. Sur le seul secteur de Voiron (hôpitaux de Saint-Laurent-du-Pont, Rives et Voiron), il y avait en cumulé 130 lits en 2019. Aujourd’hui, il n’en reste que 65. On a donc réduit de moitié le nombre de lits d’hospitalisation. Conséquence : les conditions de travail se dégradent de plus en plus, et les départs s’accumulent.

Quelle est la situation actuellement aux urgences du CHU de Grenoble ?

Hier soir, à 18 heures, 64 malades étaient dans l’attente d’un lit d’hospitalisation. La qualité de la prise en charge s’en ressent, car les soins spécialisés ne peuvent pas être prodigués. On ne peut pas non plus demander aux urgentistes de faire de la médecine interne ou de la psychiatrie ! Plus choquant encore : parmi ces 64 malades, 15 relevaient de la psychiatrie, dont 4 qui sont dans le service depuis plus de huit jours. Ils se baladent dans les couloirs avec l’étiquette suivante dans le dos : « Ramenez-moi, je suis dans le service des urgences ». On ne peut pas les renvoyer à leur domicile car certains sont schizophrènes ou ont des idées suicidaires.

Pourquoi avoir fait un signalement auprès du procureur de la République ?

Étant donné que les standards de soins ne sont pas respectés, les patients et les personnels (médicaux et non médicaux) sont en danger. C’était aussi une manière de mettre la direction face à ses responsabilités. De nombreux médecins sont partis depuis quatre ans. On les met dans des conditions impossibles. Un collègue urgentiste m’a récemment dit : « Les patients urgents ne sont plus aux urgences, ils sont ailleurs. Ils arrivent directement en chirurgie, en cardiologie, au déchocage… ou meurent chez eux. » C’est un peu exagéré, mais cela montre bien qu’il nous faut des bras et des lits.

Est-ce que la mise en application de la loi Rist sur le plafonnement de la rémunération de l'intérim a aggravé la situation ?

Tout à fait. Dix médecins ont décidé de ne plus accepter de missions. Le service des urgences était composé de 40 médecins sur les 55 nécessaires, il n’en reste plus qu’une trentaine…

Quel est le discours de la direction ?

Cela fait trente ans que l’on ferme des lits et on s’étonne aujourd’hui de ne plus avoir assez de lits. La direction nous dit : « Nous faisons tout ce que nous pouvons pour recruter des soignants, mais nous sommes confrontés à une impossibilité car nous ne trouvons pas d’infirmières et d’aides-soignants. » En tant que médecin, mais aussi de malade potentiel, cette réponse me paraît inacceptable. Des mesures d’attractivité pourraient être prises sur le plan local ou national pour améliorer la situation : revaloriser des salaires, la reprise des 4 ans d’ancienneté perdus, mieux protéger et accueillir le personnel… Ce n'est pas normal que la direction propose des contrats d’un mois à des aides-soignants ou des secrétaires. À titre personnel, j’ai aussi du mal à comprendre pourquoi un certain nombre d’infirmières sont toujours suspendues. Si l’on avait trois infirmières supplémentaires, on pourrait rouvrir cinq lits.

Quelles mesures d’urgence préconisez-vous pour sortir de cette impasse ?

Il faudrait tout d’abord que la direction reconnaisse les erreurs qu’elle a commises depuis cinq ans. Ils n’auraient pas dû fermer des lits, fusionner tous les établissements pour faire des économies d’échelle. Dans un second, il faudrait prendre la décision de rouvrir ces 200 lits. On pourrait ensuite nommer des médecins à la tête des unités, leur demander quels sont leurs besoins. Si nous retrouvons une dynamique positive, je suis certain que l’on réussira à recruter des médecins. Mais la direction préfère nommer des chefs de pôle et des binômes de directeurs en nous expliquant qu’on va continuer à fermer des lits. La mission première des établissements devrait être de rouvrir des lits. Car, si on continue à en fermer, tout le monde finira par partir…


Source : lequotidiendumedecin.fr