Discriminations de genre et violences sexistes en milieu hospitalier

Des initiatives pour briser le plafond de verre en santé

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Publié le 23/10/2020
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S'appuyant sur une nouvelle enquête montrant l'ampleur des discriminations de genre et des violences sexistes à l'hôpital, un collectif pour l'égalité femmes/hommes dans la santé réclame des mesures fortes comme le remplacement systématique pendant le congé maternité.
Huit femmes sur dix disent avoir été victimes de comportements sexistes ou de harcèlement

Huit femmes sur dix disent avoir été victimes de comportements sexistes ou de harcèlement
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Discriminations et stéréotypes de genre, autocensure, « injonction à l'incompétence » : pourquoi les postes décisionnels à l'hôpital sont-ils encore si peu occupés par des femmes ? Et surtout, comment créer un environnement favorable à la carrière des femmes médecins ?

L'association « Donner des Elles à la santé »*, lancée le 6 octobre, s'empare de ces sujets, en partant d'un premier constat édifiant sur les carrières au sein de l'hôpital : 52 % des médecins hospitaliers sont des femmes mais elles ne sont que 20 % à occuper un poste de PU-PH. Autre réalité : par manque de temps, désintérêt ou renoncement, 34 % de femmes seulement assument des responsabilités institutionnelles (présidence de CME, chef de service, chef de pôle) contre 52 % des hommes. 

En mars 2019 déjà, une vaste enquête menée par les syndicats Action praticiens hôpital (APH) et Jeunes médecins révélait l'ampleur des discriminations en milieu hospitalier sur tous les plans (temps de travail, repos, carrière, maladie, formation). Un an et demi plus tard, l'association fait le même type de constat, par le biais d'un baromètre IPSOS**. Il révèle que 87 % des femmes médecins indiquent avoir été victimes de discriminations (dévalorisation professionnelle, désavantage au moment d'être sollicitée pour une mission de représentation au sein de l'établissement, grossesse jugée compliquée pour la suite de carrière, accès freiné ou impossible à des postes universitaires) ; et 36 % d'entre elles estiment même en avoir « beaucoup » subi. Au demeurant, 89 % de leurs collègues masculins confirment avoir déjà été témoins de discriminations de genre.

Ces situations subies commencent tôt dans le cursus, durant les stages. « 60 % des femmes ont ressenti ces discriminations dès l'internat, et ce chiffre se maintient ensuite. Donc, c'est vraiment l'institution de l'hôpital qui est vecteur de sexisme, davantage que les bancs de la faculté par exemple », précise le Dr Astrid Chevance, psychiatre et épidémiologiste, membre du collectif. Pour 59 % des femmes médecins, leurs capacités ont été a priori remises en doute, selon la même enquête.  

Culpabilisation

Au-delà, les violences sexistes dans les établissements sont à nouveau illustrées par le sondage IPSOS. 82 % des femmes médecins déclarent avoir été victimes de comportements sexistes ou de harcèlement — que ce soit sur leur physique, apparence, tenue vestimentaire ou leurs compétences professionnelles. Un tiers des femmes médecins font état de gestes ou attitudes à connotation sexuelle, 31 % de comportements intrusifs pour obtenir un rendez-vous ou numéro de téléphone, 24 % des pressions pour obtenir des faveurs sexuelles et 16 % l'envoi de SMS sexuellement explicites.

L'équilibre entre travail hospitalier, vie privée et obligations familiales est particulièrement fragile. « Il y a un enjeu majeur autour de la grossesse, revenue plusieurs fois dans des témoignages. C'est un sujet de culpabilisation et de chantage aux postes. En annonçant leur grossesse, certaines femmes se sont entendues dire "Tu peux encore avorter", c'est très violent et déstabilisant, rapporte Corinne Hirsch, cofondatrice du Laboratoire de l'égalité et dirigeante du cabinet de conseil Aequiso. Comment évoluer ensuite sereinement dans son métier et sa carrière ? » De fait, 36 % des femmes médecins estiment avoir modifié leur parcours professionnel en raison de leur charge familiale. 

Les RH face à leurs responsabilités

Pour avancer vers l'égalité, plusieurs mesures sont préconisées. 80 % des femmes médecins demandent le remplacement systématique et obligatoire des congés maternité, source de cas de conscience professionnelle et de situations conflictuelles entre collègues. Deux tiers des femmes médecins appellent de leurs vœux une politique plus volontariste au sein des établissements en matière de sexisme et de violences avec « une tolérance zéro » ; et 65 % d'entre elles réclament une politique plus transparente d'avancement des carrières.

L'association Donner des Elles à la santé recommande un engagement managérial et RH « fort » des hôpitaux, dans un contexte où les études de médecine continuent de se féminiser. « Pour le remplacement pendant la grossesse par exemple, il y a une vraie créativité à avoir, plaide le Dr Chevance. Faire venir un médecin intérimaire n'est pas anodin et il n'existe pas de pool de médecins volants. Il faut donc mettre en place des laboratoires d'expérimentation dans les hôpitaux pour voir quelles peuvent être les solutions possibles. » Les expériences étrangères pourraient utilement inspirer la France dans ce domaine.

Des chartes pour l'égalité à l'hôpital et pour la visibilité médiatique des femmes sont à l'étude. Le collectif souhaite sensibiliser aux stéréotypes de genre dès les études de médecine, développer la mise en réseau de femmes médecins, favoriser le mentorat et promouvoir l'ambition féminine. « Chez un homme, l'ambition est bien perçue, c'est une qualité, tandis que chez la femme, c'est un affreux défaut arriviste, conclut le Dr Astrid Chevance. Cela doit changer ». 

* Collectif d’acteurs publics et privés, présidé par le Dr Géraldine Pignot, chirurgienne urologue à l'Institut Paoli-Calmettes à Marseille.

** Réalisé en janvier 2020 auprès d'un échantillon représentatif de 500 médecins hospitaliers (230 femmes et 270 hommes).

Marie Foult

Source : Le Quotidien du médecin