« Lever les freins au développement de la recherche clinique en France », tel est le titre du rapport adopté par l’Académie de médecine le 2 avril dernier. Après avoir pointé des obstacles récurrents - lourdeurs administratives, difficultés à obtenir des financements académiques et à en disposer, prise en compte insuffisante des attentes des patients… -, ses auteurs, les Prs Yvon Lebranchu et Thierry Facon détaillent cinq recommandations « fortes ». Parmi celles-ci, la réduction des délais réglementaires et post-réglementaires, la réuniversitarisation et la remédicalisation de la gouvernance des CHU et des directions de la recherche clinique et de l’innovation ou encore la création, au sein du ministère de la Santé, d’une gouvernance médicale de la recherche hospitalière. Si le triptyque des missions confiées aux CHU - soins, formation, recherche - reste incontournable dans le système de santé français, les initiatives, institutionnelles et associatives, se multiplient pour développer des essais cliniques décentralisés. Un groupe de travail mis en place par la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine (CNRIPH) travaille par exemple sur la transposition au niveau national des recommandations relatives aux essais cliniques décentralisés, publiées par la Commission européenne le 14 décembre 2022.
Une phase pilote en cours
Et début 2024, la Direction générale de la santé, la Direction générale de l’offre de soins, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ont lancé une phase pilote d’accompagnement des promoteurs, académiques et industriels, dans la conception de 20 projets de recherches cliniques décentralisés. À la suite à ces travaux qui prendront fin en juin, des recommandations seront publiées, « consolidant à la fois les travaux menés par la CNRIPH et les retours d’expérience apportés par les promoteurs à l’issue de la phase pilote ».
70 % des patients vivent à plus de deux heures des centres investigateurs
Également convaincue que « la décentralisation des essais cliniques est l’avenir de la recherche », l’Association des prestataires de services en recherche clinique et épidémiologique (Afcros) a pour sa part créé un groupe de travail sur le sujet. « Plus de 80 % des études cliniques importantes sont retardées du fait des problèmes de recrutement et 70 % des patients vivent à plus de deux heures des centres investigateurs. Il est temps de développer une méthodologie agile et sécurisée pour le développement des essais cliniques décentralisés en France », note l’Afcros.
L’exemple de Chalon-sur-Saône
L’initiative développée par le Dr Thomas Maldiney, réanimateur à l’hôpital de Chalon-sur-Saône, s’inscrit dans cette dynamique. En mars 2022, il fonde l’association pour la recherche médicale en Saône-et-Loire (ARMSL), convaincu que le développement de la recherche « locale » représentera en outre un facteur d’attractivité pour recruter des médecins dans les centres hospitaliers extra-universitaires. En novembre de la même année, suite, pour reprendre son expression à « un alignement des planètes », il devient médecin hospitalo-universitaire avec fonctions territoriales, un poste créé par l’agence régionale de santé (ARS) et la région Bourgogne-Franche-Comté afin de développer la recherche dans les territoires.
Après avoir contracté un emprunt à la banque, l’ARMSL acquiert un outil d’imagerie - le CelTivity - qui permet d'analyser en quelques minutes un prélèvement tissulaire, sans coloration ni traitement –, et met cette technologie innovante à la disposition de l’hôpital de Chalon-sur-Saône. « Obtenir rapidement des résultats histopathologiques représente une avancée considérable dans de nombreuses spécialités médicales, explique-t-il. Notre projet, parfois appelé « biopsie minute », consiste à évaluer si la machine peut représenter une aide au diagnostic permettant de traiter plus rapidement les patients ».
Le projet séduit le Conseil départemental de Saône-et-Loire, particulièrement investi dans la santé, qui octroie, en juin 2023, une subvention d’un peu plus de 300 000 euros, échelonnée sur trois ans, afin de déployer la technologie au CH de Mâcon et de mettre en place des projets de recherche communs aux deux établissements. « Cette subvention a aussi permis l’embauche d’un chercheur à temps complet à l’hôpital de Chalon-sur-Saône. Et elle a suscité l’intérêt du CHU de Dijon. L’an dernier, la commission Innovation a voté l’achat de la machine, ce qui a donné au projet une dimension régionale », poursuit le Dr Thomas Maldiney qui entretient par ailleurs des liens étroits avec l’établissement universitaire. « La plupart de mes enseignements se font au CHU et je travaille également beaucoup avec l’UFR des sciences de santé de l’université de Bourgogne. Grâce au soutien de l’ensemble des acteurs - collectivités locales, ARS et tutelles universitaires –, nous créons une dynamique nouvelle en matière de recherche et d’enseignement à l’échelle de tout un territoire, pour le plus grand bénéfice des patients ».
Si ces derniers participent à différents protocoles en dermatologie, néphrologie, réanimation…, l’objectif du Dr Thomas Maldiney est aussi de les impliquer plus fortement dans l’activité de recherche. « Nous travaillons à l’organisation d’une journée départementale consacrée à nos travaux. Par ailleurs, si les patients inclus dans les différents protocoles reçoivent de nombreuses informations, nous aimerions aussi les associer plus étroitement : qu’ils puissent par exemple repartir avec l’image de leurs tissus, ce qui rendrait leur participation plus concrète. Nous souhaitons également les informer sur le calendrier des publications scientifiques et les perspectives de développement du projet. C’est un processus que nous avons commencé à mettre en place », souligne-t-il.
Des liens sont également développés avec des entreprises locales, comme la CRO Vivexia, afin de multiplier les collaborations scientifiques, dans le domaine de l’infectiologie par exemple.
Après un peu plus de deux ans d’existence, l’ARMSL peut s’enorgueillir d’avoir réussi son pari – développer la recherche sur l’ensemble d’un territoire – tout en suscitant la curiosité de soignants qui « nous font part de leur volonté de revenir travailler à Chalon-sur-Saône ou à Mâcon ».
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