Dix déplacements aux quatre coins de la France et 36 auditions pendant près d’un an. Voilà le travail mené par les députées Sandrine Rousseau (Écologistes) et Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République) pour décrire la prise en charge des urgences psychiatriques. Dans un rapport présenté ce mercredi 11 décembre en commission des Affaires sociales, les deux parlementaires formulent une vingtaine de recommandations visant à repenser le parcours de soins des patients. Alors que le Premier ministre censuré, Michel Barnier, a érigé la santé mentale comme grande cause nationale de l’année 2025, elles espèrent créer une loi transpartisane dès le premier semestre afin de mieux structurer l’offre de soins.
Et pour cause : « il n’existe pas de parcours type d’un patient », soulèvent les autrices du rapport. « La prise en charge des urgences psychiatriques se fait non pas dans des services dédiés mais dans le cadre global de l’organisation des soins psychiatriques, reposant depuis 1960 sur un principe de sectorisation », précisent les députées. Résultat, d’une région ou d’un département à l’autre, deux patients présentant des troubles similaires ne bénéficient pas forcément du même parcours de soins. L’un sera par exemple accueilli par un centre médico-psychologique (CMP) tandis que l’autre ira dans un centre d’accueil de crises (CAC).
Les urgences, des soins par défaut
Dans les territoires non dotés de ces structures, les services d’accueil des urgences (SAU) des hôpitaux deviennent ainsi le mode de prise en charge par défaut des urgences psychiatriques. Conséquence, « la souffrance psychique se traduit par une hausse de l’activité d’urgence depuis fin 2020 : 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique ont été recensés en 2023, soit une hausse de 21 % par rapport à 2019 », observent les parlementaires.
Pour les autrices du rapport, il y a donc urgence à redonner de la clarté au parcours de soins pour ces patients, notamment chez les jeunes dont la santé mentale s’est sensiblement dégradée depuis la crise sanitaire. Parmi les 18-24 ans, la prévalence des épisodes dépressifs est passée de 11,7 % à 20,8% entre 2017 et 2021, soit une augmentation de 77 % en seulement quatre ans. Sans compter les hospitalisations liées aux gestes auto-infligés (tentatives de suicide et auto-agressions) chez les femmes de 10 à 19 ans qui ont plus que doublé depuis 2020. Elles ont même été multipliées par 7 depuis 2007.
Structurer le premier recours
Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat recommandent en premier lieu de structurer l’offre de soins en amont des urgences. Il s’agirait de « mieux outiller les médecins généralistes, qui sont souvent le premier recours pour les troubles psychiques, par des formations et par des outils d’aide à la prise en charge de la souffrance psychique ». Une ligne téléphonique, mise à disposition des généralistes, leur permettrait par exemple de joindre un psychiatre afin d’être mieux guidé dans la prescription de psychotropes, dont l’augmentation de la consommation est préoccupante. Le rapport des deux députées cite en effet une étude de Santé publique France, parue en juin 2019, selon laquelle « un quart de la population consomme régulièrement des anxiolytiques, hypnotiques ou antidépresseurs, plaçant la France au premier rang mondial pour la prescription de ces traitements ».
Les deux parlementaires souhaitent muscler la médecine scolaire grâce à des « infirmières capables de déceler les premiers signaux de troubles psychiques » ou de dégradation de la santé mentale des élèves. Elles appellent aussi, et surtout, à « formaliser au niveau national un parcours de prise en charge des urgences psychiatriques commun à tous les territoires, clair et gradué en impliquant la généralisation de la compétence psychiatrique à l’ensemble des services d’accès aux soins (SAS) ».
Garantir un quota de lits minimum
À l’hôpital, les autrices du rapport invitent le gouvernement à « mettre un terme à la fermeture de lits d'hospitalisation à temps complet dans le secteur public, et engager une politique volontariste de ré-ouverture dans certains territoires ». Et pour cause, selon les deux députées, « le système de soins psychiatrique français a connu une perte nette de 7 000 places de temps complet» entre 2008 et 2022, où il restait 58 568 places. Mais cette évolution à la baisse ne concerne que le secteur public et le secteur privé non lucratif, qui ont perdu ensemble 10 383 places. Le secteur privé à l'inverse a connu une croissance de 3 664 places sur la période, et gère aujourd'hui 26 % des lits d'hospitalisation complète.
Ainsi, les parlementaires suggèrent de « garantir un quota de lits de service public en psychiatrie dans les établissements privés afin de fluidifier la filière d’aval des urgences et d’éviter une concentration excessive des prises en charge dans le secteur public ». Elles recommandent aussi de « modifier les dispositions réglementaires relatives à la permanence des soins des établissements de santé (PDSES) et au nouveau régime des autorisations en psychiatrie, pour favoriser une participation plus équitable à la prise en charge des patients ».
Six lits sur dix supprimés en pédopsychiatrie entre 1986 et 2013
Mais le nerf de la guerre, c’est bien l’attractivité des métiers de la psychiatrie. Si le nombre de psychiatres en activité a progressé de 21% entre 2010 et 2023, « la croissance des effectifs correspond principalement à celle du nombre de retraités actifs (+345 %), dont la part est passée de 3,7 % à 13,6 % de l’effectif total » en l’espace de treize ans. Les autrices du rapport alertent ainsi sur le vieillissement des médecins psychiatres : « au 1er janvier 2028, 19,3 % des actifs réguliers auront atteint l’âge de départ à la retraite », préviennent-elles.
La situation est d’autant plus criante en pédopsychiatrie où 58 % des lits d’hospitalisation ont été supprimés entre 1986 et 2013. Résultat, en 2023, 123 enfants de moins de 15 ans s’étant présentés aux urgences du CHU de Nantes pour des idées suicidaires ou une tentative de suicide n’ont pu être hospitalisés et ont dû retourner sans soins à leur domicile. « Avec 1 000 praticiens en moins d’ici 2035, il faudrait au moins doubler le nombre d’étudiants formés à la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au cours des quinze prochaines années », écrivent les députées dans leur rapport.
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