Généticien de renom du CHU de Rouen, le Pr Thierry Frébourg est mort en 2021 des suites d’une erreur médicale. Dans le livre Frère unique, son frère, Olivier Frébourg, écrivain et éditeur, lui rend hommage tout en revenant sur la succession d’erreurs qui ont conduit au décès. Pour Le Quotidien, il revient sur son combat pour « faire éclater la vérité », tout en mettant des mots sur les maux de l’hôpital public.
LE QUOTIDIEN : Qu’avez-vous ressenti quand deux médecins du CHU de Rouen ont été sanctionnés par la chambre disciplinaire de Normandie de l’Ordre ?
OLIVIER FRÉBOURG : Ce n’est pas tout à fait une réparation, mais c’est le début d’une reconnaissance symbolique de la responsabilité des médecins qui ont commis de multiples entorses. C’est aussi la reconnaissance pleine et entière de fautes médicales. La chambre disciplinaire a pointé des manquements à l’éthique et au Serment d'Hippocrate absolument flagrants. Ces médecins ont validé dans leur service des procédures complètement erronées qui ont d’ailleurs été depuis revues. Ils ont aussi cautionné un communiqué mensonger de l’hôpital qui a voulu laisser croire que mon frère était mort d’une longue maladie.
Même si ces médecins vont faire appel, nous aurions préféré qu’on nous dise la stricte vérité, que le CHU présente des excuses publiques sincères. Ce qui est fou, pour nous, c’est que le CHU n’a jamais avoué ses erreurs. Ils ont toujours essayé de construire un scénario qui était à côté de la vérité. Plus on montait dans la hiérarchie de l’hôpital, moins les gens se sentaient responsables. Il a donc fallu passer par la justice et les divers recours qui nous étaient offerts pour faire éclater la vérité.
Selon le code de la Santé publique, l’ablation des cathéters nécessitait une présence médicale…
Tout à fait. Mon frère est mort d’un acte infirmier qui a été mal fait. Mais cette infirmière aurait dû être encadrée par des médecins qui étaient singulièrement absents ce jour-là, que cela soit avant ou pendant la plasmaphérèse. Par définition, le médecin est responsable et il encadre son personnel infirmier. Or, jamais ces médecins n’ont reconnu qu’ils se sont mal comportés. Et ils pensent d’ailleurs toujours avoir agi dans les normes et les règles de l’art.
Mon frère a donc été victime d’un dysfonctionnement majeur. Tout a été fautif dans cette procédure. Non seulement parce qu’on a mis à mon frère un cathéter jugulaire alors que ce sont normalement des cathéters latéraux qui sont posés. Mais aussi parce que cela n’a pas été fait en réanimation. Enfin, on a envoyé une infirmière peu expérimentée accompagnée d’une élève infirmière de première année. Rien n’a été fait pour parer à une situation potentiellement dramatique. Ces fautes terribles n’auraient jamais dû arriver.
Mais, quand vous regardez le rapport d’expertise réalisé par des médecins, il est totalement à charge. Sept fautes majeures ont été relevées. Cela signifie que nous n’avons pas totalement déraisonné dans notre analyse de la situation. Car, au-delà du combat de la famille, ce sont des médecins qui ont jugé leurs confrères.
Que dit cette erreur de l’état de santé de l’hôpital public ?
Dans notre famille, nous avons un amour et une admiration sans borne pour l’hôpital public. Il réalise des promesses formidables au quotidien. Il s’agit de distinguer ce qui s’est passé dans ce service et de ne pas en tirer de généralités. Je continue d’ailleurs à faire soigner mes enfants et mes parents à l’hôpital public.
Mais il est évident qu’on tire des leçons d’un drame comme celui-ci. La disparition de ce qu’on appelait les surveillantes générales, c'est-à-dire les cadres infirmières qui avaient beaucoup d’expérience, cela joue beaucoup sur un service. Aujourd’hui, les infirmières sont moins expérimentées, moins encadrées. Elles subissent une pression sans doute plus forte, ce qui peut susciter bon nombre d’accidents. La mort de mon frère révèle le malaise profond de l’hôpital public
Si on avait enlevé à mon frère son cathéter un lundi matin, dans un service de réanimation, avec un personnel véritablement formé et expérimenté, il serait sans doute encore de ce monde. Mais le médecin a décidé de changer le cathéter un vendredi, en fin d’après-midi. C’est l’heure où les hôpitaux se vident. On attend des médecins une valeur ajoutée humaine exceptionnelle, un peu supérieure à celle d’un individu ordinaire. Nous n’avons eu que de la médiocrité face à nous.
Dans votre livre, vous racontez que votre frère militait pour la reconnaissance de ses propres erreurs…
Oui, personne n’a voulu reconnaître ses erreurs. Nous n’avons pas eu non plus la moindre main tendue, le moindre mot de compassion. L’hôpital s’est transformé en parti politique. Nous sommes censés être à l’heure de la transparence, on est censés gagner en humanisme, et on a assisté à des comportements régressifs et obscurantistes qui ne rendent pas hommage à la dignité et à la fonction de médecin. L’hôpital et certains médecins du CHU se sont conduits comme de vulgaires politiques.
Est-ce que ce genre d’affaire peut participer à faire évoluer l’hôpital dans le bon sens ?
Je constate qu’il y a de plus en plus d’affaires liées à des erreurs médicales qui sortent dans les médias. Je reçois beaucoup de témoignages de personnes qui ont connu dans leur famille des situations similaires. Est-ce que cela veut dire qu’il y a de plus en plus d’erreurs médicales ? Je n’en sais rien. En revanche, c’est le rôle des politiques de prendre en charge cela.
Dans le cadre du décès de mon frère, le politique s’est tu. Que cela soit la direction de l’hôpital, l’ARS ou le ministère de la santé, personne n’a répondu présent. Et ça, ce n’est pas normal. Car ce sont eux qui doivent faire évoluer les mœurs de l’hôpital, sur le plan du droit et de la bonne pratique. J’en appelle donc aux politiques. Ils doivent faire bouger les choses et ne pas se cacher sous la poussière du tapis.
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