Édouard Couty (médiateur national) : « L'hôpital est par nature un lieu d'affrontement et non de conciliation »

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Publié le 08/03/2018
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COUTY

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Vous avez été nommé médiateur national en janvier 2017. En quoi consiste votre travail ?

ÉDOUARD COUTY : Je dois proposer une organisation de la médiation en cas de situation conflictuelle à l'hôpital public entre professionnels de santé, praticiens, soignants, internes et étudiants. Cela représente pas loin d'un million de personnes. Dans l'Éducation nationale, dans la police ou à la SNCF, il se dit qu'1 % d'une population donnée est un jour ou l'autre concerné par la médiation. Selon mes calculs, je me préoccupe donc de 8 000 à 10 000 cas particuliers !

Dans cette masse, 70 % des conflits peuvent être traités en interne, à l'hôpital. Les commissions médicales d'établissement créent de plus en plus des commissions ad hoc, souvent appelées « vie hospitalière », dont la priorité est de diagnostiquer au plus tôt les tensions entre professionnels, voire de les prévenir. S'il est déjà trop tard, elles se chargent de trouver un compromis entre les belligérants. Elles retravaillent alors le périmètre de l'activité médicale de l'un, trouvent un arrangement si l'un des protagonistes exerce sur plusieurs établissements ou font jouer la mobilité. 

Quel type de dossiers traitez-vous ?

Je me charge des dossiers lourds, ancrés dans le temps, qui concernent à 95 % des médecins uniquement. Ces cas peuvent dans un second temps dégénérer en conflit opposant médecins et direction hospitalière. J'ai traité et résolu une dizaine d'affaires en un an. Le médiateur peut être saisi par le cabinet de la ministre, les tutelles régionales, le centre national de gestion, un hôpital, etc. L'association nationale Jean-Louis Mégnien de lutte contre la maltraitance et le harcèlement au sein de l’hôpital public (voir ci-dessous) me fait aussi remonter des dossiers.

Quelle est votre recette ?

À Paris, je travaille avec une commission de médiation composée d'une dizaine de membres volontaires et bénévoles, dont des médecins, un psychologue et trois directeurs d'hôpital. On se réunit toutes les six à huit semaines. L'idée est de commencer la médiation avant qu'il y ait un contentieux juridique. Un binôme de la commission se rend sur le terrain, écoute, voit et essaye de trouver des solutions de sortie de crise. Le médiateur n'est ni un juge, ni un procureur.

Si la commission est dans l'impasse, je prends la main. Je recontacte les parties et essaye de trouver un accord. Si je bute, j'arrête, et l'affaire se poursuit devant la justice. Si je parviens à mes fins, je rédige un projet de contrat de médiation que j'adresse aux principaux concernés, qui peuvent l'amender avant de le signer. Une clause stipule que la situation doit être évaluée dans le temps. Je crois qu'il s'agit d'une bonne méthode : tous les dossiers traités depuis un an se sont conclus sur un contrat. Ça marche aussi car je mobilise des praticiens pour résoudre des conflits médicaux. La parole des pairs a un poids certain. 

Avez-vous constaté des schémas systématiques dans les conflits entre médecins ?

Dans les litiges entre PU-PH, oui. Le chef nomme son dauphin pour lui succéder, ce dernier veut alors tuer le père : voila une situation récurrente. Pour le reste, aucun médecin n'est à l'abri d'un conflit ou d'une situation de harcèlement. En médecine, toutes les spécialités peuvent être concernées. Il n'y a pas de modèle unique. Le contexte et les personnalités changent à chaque cas. J'ai également constaté que tout n'est pas noir ou blanc. Le harceleur peut être en réalité le harcelé, et vice-versa. 

Comment en est-on arrivé là ?

Le harcèlement et la souffrance au travail à l'hôpital existent depuis longtemps mais l'omerta était la règle du jeu absolu. Cette époque est révolue. Les femmes, notamment, n'acceptent plus cette chape de plomb, la parole est plus libre. Toutefois, l'hôpital est par nature un lieu d'affrontement et non de conciliation. On y entre sur concours, il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. Dans les services, on retrouve de nouveaux enjeux de pouvoir…

La réforme de la gouvernance [avec la loi Bachelot, NDLR] a modifié les équilibres de pouvoir – entre médecins et avec la direction. Ce n'est pas digéré. Ajoutez à cela la très forte pression économique qui pèse sur les épaules des soignants et vous aurez une image assez précise de la toile de fond des conflits hospitaliers.  

Avez-vous les moyens de travailler ?

À mon arrivée au ministère de la Santé, j'avais un petit bureau et un temps partiel de secrétariat. Je suis en train de recruter un PH avec une expérience dans la médiation pour m'épauler. À terme, je souhaite instaurer un système de médiation régionale en réseau, en suivant le principe de la commission créée à Paris. Si un différend n'est pas réglé en interne, le médiateur régional peut être saisi. Si le problème persiste, le médiateur national intervient.  

Il me manque aussi un cadre. La médiation à l'hôpital doit être officialisée par un décret en Conseil d'État qui établira l'organisation et le fonctionnement. Cela devrait être fait cet été. J'ai prévenu la ministre de la Santé : pour l'instant, je ne prends plus de dossiers. J'en ai encore une cinquantaine à traiter !

 

 

Propos recueillis par Anne Bayle-Iniguez Le chef nomme son dauphin pour lui succéder, ce dernier veut alors tuer le père : voila une situation récurrente. Le harceleur peut être en réalité le harcelé, et vice-versa.&n

Source : Le Quotidien du médecin: 9640