« On a évité la saturation, on peut être fiers du travail accompli » : l’épidémie de Covid-19 vue par un urgentiste d'Épinal

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Publié le 25/04/2020

Crédit photo : FX Moronval

Il y a près d’un mois, le Dr François Xavier Moronval évoquait ses craintes alors que les experts annonçaient l’arrivée massive dans les hôpitaux de malades atteints de Covid-19. Aujourd’hui, l’urgentiste, qui exerce à l’hôpital d’Épinal, dans une région très affectée par la maladie, confie au « Quotidien » son soulagement d’avoir passé ce cap. Mais il redoute l’arrivée d’une seconde vague de patients, victimes d’un renoncement aux soins.

LE QUOTIDIEN : Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui alors que la pression sur les hôpitaux semble avoir diminué ?
Dr FRANÇOIS-XAVIER MORONVAL : Le flux de patients a diminué mais cela reste très tendu. Nous sommes beaucoup plus sereins aujourd’hui qu’il y a un mois. Tous les indicateurs étaient au rouge. On voyait la vague arriver et on imaginait le pire. Nous étions très inquiets sur notre capacité à prendre en charge tous les patients. Est-ce que le système allait tenir ? C’est un soulagement de voir qu’on a pu faire face. On a été proche de la saturation mais on n’a laissé personne de côté. On y est arrivé parce que le confinement a été efficace, et grâce à notre capacité d’adaptation et à un énorme élan de solidarité dans l’hôpital et en dehors. Tout le monde a fait front, il n’y a eu aucune défection. Quand un soignant tombait malade ou était confiné, il y a en avait deux ou trois autres pour reprendre son tour de garde. On peut tous être fiers de notre travail.

On a beaucoup parlé du manque de protections et de respirateurs. Cela n’a pas été votre cas ?
Nous n’avons jamais travaillé sans masque. Ça été parfois tendu sur les gants, sur les charlottes, les surblouses, mais il n’y a jamais eu de pénurie. Là encore, la solidarité a beaucoup joué entre les établissements et on a bénéficié de nombreux dons. C’est pareil pour les respirateurs. Ça a été tendu au début mais l’ARS a bien géré la situation.

Comment l’hôpital s’est-il organisé pour faire face ?
Les effectifs de jour ont été doublés, le nombre de lits de réanimation multiplié par trois, notamment en transformant le service de cardiologie. Et puis nous avons monté un « mini-hôpital » sur le parking de l’établissement avec des constructions modulaires, pour accueillir les patients en attente des résultats de tests virologiques. Au début de l’épidémie, ces tests étaient réalisés à Nancy et cela prenait parfois deux jours. Ce dispositif annexe nous a permis de ne pas être à saturation et d’avoir des circuits de patients distincts pour limiter les risques de contamination. À l’entrée de l’hôpital, les patients étaient accueillis dans une tente mise en place par la protection civile. C’est là que nous faisions un premier tri entre les patients à suspicion Covid et les autres.

Hôpital Epinal Covid-19

Vous avez reçu des renforts de l’extérieur ?
Oui. Là encore, il y a eu un élan de solidarité incroyable. Des médecins de ville, des généralistes et des spécialistes, sont venus spontanément nous aider. Une clinique nous a envoyé des renforts en personnel paramédical et quelques médecins. Nous avons aussi reçu de l’aide d’autres régions grâce au service mis en place sur Internet par l’ARS.

Avez-vous bénéficié de transfert de malades vers d’autres régions ?
Indirectement, oui. Les transferts de patients en train organisés depuis Strasbourg vers l’ouest de la France ou vers l’Allemagne et le Luxembourg ont permis de libérer de la place dans certains hôpitaux. Nous avons pu y transférer nos propres patients. Sans cela, nous aurions sans doute été à saturation et en difficulté pour accueillir tout le monde.

Comment abordez-vous les prochaines semaines ?
La situation reste tendue et on sait qu’il y aura très probablement de nouvelles vagues, qu’on espère moins intenses après le 11 mai. Depuis quelques jours on se préoccupe de la prise en charge des patients en post-réanimation. Ils sont parfois restés plus de deux semaines en réanimation et cela nécessite de la rééducation. L’autre préoccupation, c’est une seconde vague de patients, des gens atteints de maladies chroniques qui ont renoncé à consulter par peur d’être contaminés ou parce qu’ils ont suivi les consignes à la lettre. Depuis quelques jours, on les voit arriver parfois dans un état de santé très dégradé. Dans certains cas, ils ont arrêté leur traitement par manque de médicaments.


Source : lequotidiendumedecin.fr