Vrai moyen de pression ou action d'éclat symbolique ?

La grève du codage à l'hôpital en question

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Publié le 28/10/2019
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Dans plusieurs hôpitaux, principalement franciliens, les médecins ne codent plus leurs actes pour protester contre une logique financière accusée de plonger l'hôpital public dans la crise. Un mode opératoire symbolique mais dont les résultats restent à démontrer.
La grève pourrait désorganiser le travail du médecin DIM et retarder la facturation

La grève pourrait désorganiser le travail du médecin DIM et retarder la facturation
Crédit photo : PHANIE

Si cela ne tenait qu'à elle, le Dr Joëlle Laugier réduirait la nomenclature des actes hospitaliers à sa portion congrue : « découragement R45.3 et colère R45.4 ».

Le trait d'humour de la généraliste de l'hôpital Delafontaine (Saint-Denis) a fait mouche auprès du millier de médecins et soignants réunis le 10 octobre pour la première assemblée générale du collectif inter-hôpitaux – qui foulera avec 13 autres associations et syndicats les pavés parisiens demain à midi dans un « cortège funéraire » pour défendre l’hôpital public. Un exploit alors que l'amphithéâtre bondé qui abritait la réunion s'écharpait depuis de longues minutes sur l'opportunité d'une grève du codage.

« Geste politique » pour certains, mesure « contre-productive » pour d'autres, ce mode opératoire original, plus feutré qu'une manifestation à ciel ouvert, ne fait pas l'unanimité. Trois semaines après l'appel au boycott finalement voté en AG, 17 sites hospitaliers, dont 14 en Ile-de-France, ont arrêté de coder totalement ou partiellement. Hors Paris, les pédiatres du CHU de Clermont-Ferrand et de Marseille (deux sites de l'AP-HM) font de même.

Moyen de pression financier

En fait de grève, il s'agit plutôt d'une « rétention » du codage à laquelle se livrent les praticiens. « En réalité, nous codons les patients mais nous ne transmettons pas l'information à l'administration », précise le Pr Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique de Robert-Debré (AP-HP). Dans cet établissement, la grève, qui touche l'immense majorité des services, répond à des règles strictes. « Le respect des patients, un engagement écrit de chaque chef de service et la soumission chaque semaine au vote de la poursuite ou non du mouvement », énumère le PU-PH.

Telle qu'imaginée par ses partisans, la grève du codage est un moyen de pression financier sur les tutelles, un grain de sable dans les rouages de la tarification à l'activité (T2A). Mais pour le Dr Thierry Gaches, secrétaire général du Syndicat national des médecins de départements d'information médicale (SDIM), cette action ne saurait dépasser le cadre symbolique. « La grève du codage en actes d'hospitalisation n'a finalement que peu d'impact, à part revoir l'organisation du DIM et retarder la facturation », analyse le praticien du centre hospitalier de Cornouaille de Quimper-Concarneau (Finistère).

Les médecins peuvent-ils malgré tout se voir sanctionnés pour un défaut de codage ? En pratique, un article du code de la santé publique − issu de la loi Bachelot de 2009 − prévoit une retenue sur salaire pour les praticiens qui ne transmettent pas dans les temps « les données médicales nominatives nécessaires à l'analyse de l'activité et à la facturation de celle-ci ». Une sanction impossible à appliquer en l'état, assure le Dr Gaches. Grève ou non, les médecins continuent à remplir les documents (dossier patient, compte rendu d'opération, lettre de sortie, etc.) qui permettraient à un tiers de coder à leur place. « Ils transmettent de fait toujours les informations nécessaires au recueil de l'activité, à la valorisation et à la facturation », explique le praticien de 47 ans.

Mesure contre-productive

Plusieurs directeurs hospitaliers s'inquiètent toutefois des retombées financières d'un tel mouvement. À commencer par le patron de l'AP-HP, Martin Hirsch, qui, le mercredi 16 octobre, a envoyé un courrier d'alerte à ses équipes médicales. À court terme, il met en garde contre le coût qu'implique, « au détriment d'autres dépenses » le recours à des prestataires privés pour réaliser les codages manquants. À moyen et long terme, le défaut de recouvrement des actes non codés expose l'hôpital à des « mesures d'économies pour compenser cet effet retard ». « C'est donc l'ensemble des activités de l'AP-HP qui auront à en supporter les effets qui n'auront pas de conséquence sur d'autres acteurs mais sur notre propre capacité de financement des projets », prévient le DG. 

Derrière le déséquilibre budgétaire, c'est l'emploi qui est menacé, craint Jérémie Sécher, président du Syndicat des managers publics de santé (SMPS) pourtant « solidaire » des revendications. « C'est une mesure qui est très efficace d'un point de vue symbolique mais totalement contre-productive d'un point de vue financier, pour l'emploi et en particulier les CDD de soignants », analyse le manager. Un effet collatéral en totale contradiction avec les revendications des grévistes qui demandent notamment des embauches supplémentaires dans les établissements.

C'était bien là la crainte des médecins les plus hostiles à cette méthode. « On emmerdera plus les directeurs que Buzyn », avait fait remarquer le Dr Renaud Péquignot, vice-président de l'intersyndicale Actions praticiens hôpital (APH), avant le vote en AG.

Faute d'éléments chiffrés, rien ne prouve pour l'instant que la grève porte ses fruits. Les avis divergent. Jeudi 17 octobre, la locataire de Ségur a convoqué en urgences les présidents de plusieurs commissions médicales d'établissement (CME) de l'AP-HP. « Nous avons évoqué la crise que traverse l'hôpital public mais il n'a pas été question du codage », tempère le Pr Noël Garabédian, président de la CME centrale du CHU francilien. Le Pr Stéphane Dauger, lui, y voit au contraire le signe d'un « affolement général qui est en train de monter ».

Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin