Pr Guy Vallancien : « C'en est fini du médecin tout-puissant, ordonnateur de tout ! »

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Publié le 02/07/2021
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Crédit photo : Phanie

Grand avocat des délégations de tâches et de la montée en compétence des professions paramédicales, le Pr Guy Vallancien, médiatique chirurgien urologue et président de la Convention on Health Analysis and Management (CHAM), a pris ombrage de la polémique autour du déploiement des infirmières en pratique avancée (IPA) aux urgences. Il plaide en faveur d'un exercice paramédical très large et autonome et tacle les urgentistes « encore au XIXe siècle »… 

LE QUOTIDIEN : Vous êtes un fervent défenseur des délégations de tâches. Y compris aux urgences  avec les infirmières en pratique avancée ?

Pr GUY VALLANCIEN : Je suis de ceux qui considèrent qu'on doit avoir ce corps d'infirmiers en pratique avancée de première ligne et qui assurera des soins non programmés. Les IPA pourraient être à la fois intégrées dans les hôpitaux mais aussi déployées en ville ! Il faudrait même que les communautés de communes s'emparent du sujet. Un groupe de population allant jusqu'à 15 000 personnes devrait pouvoir s'offrir une IPA, lui fournir une voiture et les moyens de sillonner le territoire. Elle serait dotée du petit matériel nécessaire, qu'il s'agisse d'oxygène, d'un défibrillateur, d'attelles ou de médicaments de première nécessité.

Un smartphone financé par l'Assurance-maladie leur permettrait d'envoyer des images et de demander un avis auprès d'un urgentiste ou du médecin traitant. Cette organisation est d'une simplicité crasse ! Dans les services d'urgences, les médecins font déjà appel à des infirmières pour trier les patients. Ce sont elles qui s'entretiennent avec le malade, qui regardent si c'est urgent ou non, s'il faut le mettre sur la liste des traumatismes ou des AVC… Elles pourraient assurer des petites sutures, faire des pansements, s'occuper des entorses… Mais les médecins veulent absolument que cela se fasse sous leur dépendance.

Comprenez-vous la levée de boucliers, notamment de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF), qui dénonce une ubérisation de la médecine ?

Je trouve ça indigne de la part de ces médecins urgentistes. On ne peut pas parler d'ubérisation ou de médecine low cost au sujet des infirmiers. Cela fait trente ans que les urgentistes sont une profession insupportable de médecins généralistes qui ne veulent pas s'installer. Ils tentent de casser une dynamique qui est imparable. En agissant ainsi, ils vont simplement la ralentir.

Je trouve d'ailleurs scandaleux qu'on ait refusé le statut d'IPA aux infirmières d'anesthésie. Car elles font tout le boulot au bloc pendant que l'anesthésiste est devant son ordinateur. Leur colère est logique. Il faut leur déléguer des tâches mais aussi leur donner des responsabilités. C'est pareil pour les IPA aux urgences qui doivent pouvoir être autonomes avec la possibilité de transférer à un médecin quand elles n'ont plus la capacité. C'est une évolution complète de l'organisation des soins.

Vous ne craignez pas une forme de démantèlement de l'exercice médical ?

Mais l'exercice médical est fini ! Nous sommes au XXIe siècle, c'en est fini du médecin tout-puissant, ordonnateur de tout. Les urgentistes sont encore au XIXe siècle. Il y a plus de douze pays qui ont mis ça en place dont l'Australie, les États-Unis ou l'Angleterre. On est ringards !

Le médecin doit être celui qui assure uniquement la partie la plus complexe du soin. C'est pourquoi il faut réduire le nombre de médecins contrairement à ce qu'on raconte. On ne va pas combler les déserts par des toubibs dans des villages de 200 habitants. C'est un non-sens à la fois économique et sanitaire. On ne peut pas payer des bac +12 à faire des tâches de bac +3. L'ouverture du numerus clausus va nous apporter des médecins en 2031 ou 2032. Pour faire quoi ? Des chômeurs ! Il faut au contraire injecter des milliers d'IPA qui vont prendre leur place sur le terrain, dans les établissements et dans les campagnes. En deux ans, on peut transformer le pays.

En deux ans, vraiment ?

Pour une infirmière, deux ans de plus de formation jusqu'au niveau Master, c'est amplement suffisant pour lui donner la capacité et l'autonomie nécessaire à son exercice. Il faut aussi accélérer en appliquant la proposition de la députée Annie Chapelier qui veut créer des infirmiers cliniciens et des infirmiers praticiens.

Il y a enfin un travail à faire sur les carrières. Aujourd'hui, il est compliqué pour une infirmière de progresser tout en continuant à faire du soin. Si vous devenez cadre, vous êtes devant un ordinateur. Alors que beaucoup d'infirmières souhaiteraient progresser dans leur carrière en restant dans le soin. Il faut leur donner cette opportunité.


Source : lequotidiendumedecin.fr