« Je ne suis plus éthique et j'ai perdu mon équipe » : à l'hôpital, pourquoi 1 000 médecins démissionnent de leurs fonctions administratives

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Publié le 14/01/2020

Crédit photo : S. Toubon

« "Va falloir que vous produisiez des séjours". Quand j'ai entendu cette phrase, moi qui suis habituée à prodiguer des soins, j'ai su que c'était le début du cauchemar. » 

Le Pr Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), a la voix qui tremble quand elle s'adresse aux journalistes réunis ce mardi 14 janvier dans une petite salle de la faculté de médecine qui jouxte son hôpital.

Elle fait partie des 20 chefs de service de l'établissement à avoir démissionné de leurs fonctions administratives, au même titre que plus de 1 000 praticiens hospitaliers – dont 600 chefs de service – ayant répondu à l'appel à la « désobéissance » du collectif inter-hôpitaux (CIH), lancé cet hiver après l'annonce du plan hôpital du gouvernement.

Le Pr Hartemann est lasse de « trier » les malades, les veilles de week-end, pour alléger la charge de travail de l'unique infirmière en service le samedi et dimanche pour s'occuper de 13 lits. Et puis, elle est lasse d'avoir « peur ». Peur que la direction lui supprime encore plus de moyens si son activité baisse et peur d'elle-même, quand elle s'agace de voir un lit encore occupé par un patient sur le départ, ce qui l’empêche de « faire du séjour »« Je ne suis plus éthique et j'ai perdu mon équipe infirmière », résume-t-elle, la mort dans l'âme. 

« Honteuse recherche de rentabilité »

À l’instar de la diabétologue, les revendications de la vingtaine de médecins du collectif inter-hôpitaux présents en conférence de presse tournent autour de la prise en charge du patient et sont teintées de culpabilité.

A l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), raconte le Pr Jean-Luc Jouve, chef du service de chirurgie orthopédique pédiatrique, 60 enfants ont vu leur opération annulée « le matin même faute de place en réa ».

A Saint-Denis, les médecins « ne sont plus en mesure de mener correctement leurs missions par manque d'effectifs, de lits et à cause du tout T2A [tarification à l'activité], qui se traduit par une honteuse recherche de rentabilité », témoigne un praticien, très ému.

Au CHU de Rennes, le Dr Antoinette Perlat, interniste, n'en peux plus des « incessants dilemmes humains » qui obligent les soignants à « laisser au siège toute la journée des personnes âgées » pour parvenir à boucler leurs tâches du jour. « On demande de l'aide aux familles pour nourrir les plus âgées et s'occuper des enfants », lâche-t-elle.

Tous ces médecins signataires de la pétition du collectif inter-hôpitaux ont décidé de ne plus assurer leur travail administratif pour protester contre la politique de « rigueur budgétaire » qui leur est imposée au quotidien et pour alerter une fois encore les pouvoirs publics sur la crise que traverse l'hôpital public.

Cesser leurs fonctions administratives ne « changera rien pour les patients et les soins mais l'absence de chef d'orchestre pourrait à moyen terme avoir un impact sur l'organisation du travail, la gestion des plannings et des congés », témoigne le Pr Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique à Robert Debré. En pratique, toutes les réunions à thématique économique ou financière seront boycottées, au même titre que celles des commissions médicales d'établissement (CME) et celles impliquant les tutelles sanitaires (ARS, HAS, etc.). 

Rallonge de 600 millions d'euros dès 2020 

Pour la troisième fois, le Pr André Grimaldi, chef de file du collectif inter-hôpitaux, a envoyé ce mardi un courrier à Agnès Buzyn pour lui soumettre les revendications des praticiens hospitaliers : une revalorisation « significative » de 300 euros net, en plus des primes déjà annoncées par Ségur ; une rallonge supplémentaire sur l'enveloppe budgétaire pour 2020 (ONDAM) de 600 millions d'euros ; la fin de la T2A ; la rénovation de la gouvernance et l'embauche de nouveaux personnels, en particulier en aval des urgences et des soins aigus. 

Ces demandes connues de la ministre de la Santé ont cette fois-ci été accompagnées de la liste du millier de médecins démissionnaires. « Notre démission entre en action maintenant, mais la ministre peut l'arrêter ! », précise le Pr Grimaldi. Les professionnels veulent croire que la ministre de la Santé, elle-même ancienne responsable d'une unité de soins intensifs d'hématologie à Necker-Enfants malades (AP-HP), comprendra leur position et « tiendra tête à Bercy ». Ils lui donnent jusqu'au 26 janvier pour ouvrir des négociations et lancer un « Grenelle de l'hôpital public ».

 


Source : lequotidiendumedecin.fr