Pénurie de soignants

À l'approche de l'été, les maternités prises en étau

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Publié le 17/06/2022
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En raison de la pénurie de soignants et parfois de difficultés financières, les maternités craignent un été catastrophique. Médecins et sages-femmes alertent sur des risques de drames.
À l’approche des grandes vacances, de nombreuses maternités peinent à recruter et à boucler leurs plannings

À l’approche des grandes vacances, de nombreuses maternités peinent à recruter et à boucler leurs plannings
Crédit photo : GARO/PHANIE

Moins médiatisées que les services d'urgences dont 120 sont actuellement contraints à une activité réduite, les maternités retiennent également leur souffle à l'approche de l'été.  « La catastrophe n’est plus devant nous, nous sommes dans une catastrophe, alerte d'Isabelle Derrendinger, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes (CNOSF). C’est une question d’heures, de jours, de semaines, avant qu'un drame ne survienne ». Les maternités ne seraient plus, selon elle, « en mesure d’assurer la sécurité physique et psychique des femmes qui accouchent en France ».

Sages-femmes et médecins partagent aujourd'hui les mêmes inquiétudes. Le Dr Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof), confirme des difficultés « partout, dans le public comme le privé, en région parisienne comme en province, dans les grosses comme les petites maternités. » « Le système fuit de partout, on va faire avec les moyens du bord », déplore le gynécologue de Seine-et-Marne, évoquant le recours aux intérimaires ou aux médecins diplômés hors UE qui n’ont pas encore validé leurs équivalences pour tenter de pallier le manque de personnel. Mais cela peut poser « des problèmes en termes de sécurité », souligne-t-il. En bout de ligne, « un stress pour les parturientes qui sont renvoyées vers d’autres maternités, parfois au dernier moment ». « En espérant qu’un décès n’arrivera pas cet été », redoute le Dr Bertrand de Rochambeau.

Alors que la part des femmes en âge de procréer résidant à plus de 45 minutes d’une maternité a déjà augmenté de 40 % entre 2000 et 2017, selon la Drees (le service statistique du ministère de la Santé), la situation devient de plus en plus critique dans une dizaine de maternités de niveau 1 et 2, en raison d’un manque de personnels suffisants pour assurer la sécurité des patients : Meulan-en-Yvelines, Chinon, Fougères, Saint-Côme, Carhaix, Sedan, Cahors…  À Nevers, la seule maternité du département a fermé ses portes huit jours début avril, suite à l’arrêt-maladie de 14 sages-femmes. Une solution provisoire a finalement été trouvée, en faisant appel à la réserve sanitaire, une première en métropole.

Manque de pédiatres

Signe que la crise se tend, les maternités de niveau 3 sont également touchées. Celle du CH de Saint-Denis, par exemple, connaît une pénurie de sages-femmes, dont le nombre est passé de 91 à 63 en l’espace d’un an et demi. À d'autres endroits, c’est un manque de pédiatres qui peut mettre ces maternités de haut niveau en difficulté.

Rattachée au CHU de Lille, celle de Jeanne-de-Flandre risque de « tomber » de six à quatre pédiatres cet été, indique le Dr Emmanuel Cixous, président du Syndicat national des pédiatres en établissements hospitaliers (SNPEH). La situation serait pire encore à la maternité du CHR d'Orléans où « il n’y a plus qu’un demi temps plein pédiatre pour la maternité », qui a dû faire appel à des libéraux. Le pédiatre au CH de Seclin dans le Nord pointe lui aussi le manque de gynécologues, d’anesthésistes-réanimateurs et surtout, de sages-femmes. « Pour cet été, il y a des trous dans les plannings, les tableaux de garde sont incomplets. Les gardes sont de plus en plus lourdes et difficiles, les équipes s’épuisent », lâche le président du SNPEH, qui demande une revalorisation des gardes des médecins ou la mise en place de quotas de personnels en fonction des besoins.

Les organisations de sages-femmes rappellent régulièrement leur revendication d'une révision des décrets de périnatalité datant de 1998 qui définissent notamment le nombre de professionnels de santé dans les salles de naissance. Une demande restée lettre morte jusqu'ici au ministère de la Santé.

En attendant, l’été s’annonce « terrible », selon Camille Dumortier, présidente de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), qui s’inquiète du manque cruel de maïeuticiennes. Le syndicat a sondé les établissements : sur 165 maternités répondantes (parmi 461 recensées par la Drees en 2019), 830 postes sont à pourvoir… Résultat : « on demande à tout le monde de faire des heures supplémentaires, mais le moindre arrêt maladie peut mettre tout le monde dans le dur », ajoute la responsable syndicale. Certaines sages-femmes ont dû « annuler leurs congés payés, et même, dans un cas, raccourcir un congé maternité ». « Ce n’est pas tenable sur le long terme », assène celle qui se dit « en colère ». Dans le même temps, les taux d’abandon durant les formations seraient « énormes ». « Avec 2 000 euros de salaire à l’hôpital pour un bac +5 (bientôt +6), la profession n’attire plus ! », tempête la présidente de l’ONSSF.

Course à la rentabilité

Au-delà de la question du manque de personnel, c'est parfois la problématique de la rentabilité qui s'oppose aux maternités. À Guingamp, « le GHT du territoire propose la fermeture de la maternité et de la chirurgie du centre hospitalier », indique Flora Bochet, co-présidente du comité de défense de l’hôpital public et de l'offre de soins du pays de Guingamp. Pour quelles raisons ? « On nous dit que nous n'avons pas assez de médecins, résume l’aide-soignante de l’hôpital. Or, il ne nous manque qu'un seul anesthésiste et nous disposons de suffisamment d’obstétriciens, donc nous sommes plutôt bien pourvus. » Selon elle, le véritable motif de fermeture est d’ordre financier : « la direction considère que notre chirurgie ne fait pas assez d’interventions. Ce qui est rémunérateur avec la tarification à l’activité, ce sont les césariennes ou les accouchements multiples ».

La menace de fermeture plane également, depuis plusieurs mois, sur la maternité des Lilas en Seine-Saint-Denis pour des raisons similaires. Si aucune solution n’est trouvée dans l’année qui vient, l’ARS Île-de-France pourrait ne pas renouveler son autorisation d’exercer à l'établissement. En dehors des difficultés financières récurrentes depuis plus de dix ans et de problèmes, comme partout, de recrutements (il manque six temps plein de sages-femmes mais aussi des obstétriciens), la rentabilité de la maternité serait en cause. Selon Corina Pallais, psychologue à la maternité des Lilas, « le non-renouvellement est présenté comme une menace par l’ARS car nous leur coûtons cher en faisant de la "physio" alors qu'elle cherche par tous les moyens à diminuer leurs coûts. » 

Marie Foult et Julien Moschetti

Source : Le Quotidien du médecin