Pénurie de pédiatres au CH de Montluçon : médecins et habitants craignent des mises en danger « imminentes »

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Publié le 24/08/2022

Crédit photo : DR

Plus de 24 000 personnes ont déjà signé la pétition pour que « les enfants du centre de la France puissent, eux aussi, être soignés ». Lancée par le collectif de soignants et de patients « Les Orphelins du Soin de Montluçon », elle rappelle que le service de pédiatrie du CH de Montluçon est « en grande difficulté » depuis des années, que « l'effectif médical s'amenuise et s'épuise ».

En raison de la dégradation d’exercice, un certain nombre de pédiatres ont posé leurs démissions car ils ne « cautionnent plus la façon dont on les traite, et donc la façon dont sont traités les enfants ». Le collectif considère que, si des solutions dignes de ce nom ne sont pas prises en urgence, les mises en danger sont « imminentes ».

La Dr Hiba Trraf est l'une des pédiatres démissionnaires au CH de Montluçon. Contactée par « Le Quotidien », elle affirme que seuls trois praticiens - 2,8 équivalents temps plein (ETP) - travaillent dans le service, alors qu’il en faudrait sept pour qu’il fonctionne correctement. À titre de comparaison, le service pédiatrie du CHU de Clermont-Ferrand compte 7 ETP, avec une activité deux fois plus importante.

Des trous dans le planning

Celle qui est à l’origine du collectif, avec la cheffe de service et le Comité de défense de l'hôpital de Montluçon, a décidé de partir en octobre prochain, en raison de la dégradation des conditions de travail et de problèmes récurrents de sous-effectif. À cette date, des pédiatres du CHU de Clermont viendront faire des gardes de 24 heures Mais, dans le nouveau planning mis en ligne (du 1er novembre au 31 décembre), « il reste 10 jours avec zéro pédiatre », s’inquiète la Dr Trraf.

Si toutefois la direction parvenait à boucher les trous du planning, les pédiatres « ne s’occuperaient que de la maternité, de la « néonat » et des urgences vitales ». Selon les représentantes du collectif, dès novembre prochain, toutes les consultations programmées, (une centaine par mois), toutes les consultations non vitales, (soit 95 % des urgences) et l’hospitalisation de pédiatrie (26 lits d’hospitalisation), sont vouées à disparaître.

Si la direction fait son possible pour recruter des pédiatres (offres d’emploi postées, salaires augmentés de 20 %, prime de solidarité territoriale, logements fournis par l'hôpital, etc.), « ce n’est pas cela qui suffira à attirer les médecins », craint la Dr Trraf. Pourquoi ? « Car la quantité de travail est monstrueuse pour l’effectif que l’on est. Même pour 20 000 euros par mois, personne n’acceptera de faire une garde sur trois. »

Risque de décès

Les conséquences pourraient être désastreuses dans les semaines et mois qui viennent, « jusqu’au décès des enfants, si on n’arrive à combler les trous dans le planning », redoute la pédiatre. À titre d’exemple, « si une dame accouche, si son enfant est en état de mort apparente, il aura besoin d’une réanimation, mais cela ne sera pas possible ». Même chose si l’enfant fait un état de mal épileptique.

Il y a deux mois, un enfant de 10 jours a franchi les portes de l’hôpital. « Elle avait du mal à boire ses biberons, elle était en insuffisance cardiaque sévère, avec un trouble du rythme très sévère », se souvient la praticienne qui a dû faire une réanimation intensive pour la sauver, avant de la transférer au CHU de Clermont-Ferrand. « Si elle avait dû faire une heure de route en plus sans les soins préalables qu’on lui a prodigués, je pense que cela ne se serait pas bien passé du tout », confesse-t-elle.

La situation est particulièrement problématique, dans un contexte, où « on est à 100 km de Moulins, de Vichy et de Clermont-Ferrand », rappelle Pierrette Guichon, présidente du Comité de défense de l'hôpital de Montluçon. En cas d’urgence, l’ARS Rhône-Alpes lui aurait promis de mettre à disposition de l’hôpital un hélicoptère. « Mais si 4 à 5 enfants ne vont pas bien au même moment, il faudra les transporter aux urgences de ces villes. Et, en 100 km, il peut se passer plein de choses désagréables… », observe Pierrette Guichon.

Réunion de crise avec le ministère ?

C’est la raison pour laquelle la Dr Trraf regarde l’avenir avec pessimisme. « J’ai peur pour les enfants », même si, depuis la création du collectif, elle espère que « le gouvernement mette enfin son nez dedans, pour permettre à des pédiatres de venir ». Sortir de cette impasse nécessitera selon elle une réunion de crise avec le ministre de la Santé, pour que les médecins soient entendus. Il faudra ensuite « faire un état des lieux » de la situation (taux de natalité, pathologies, densité de population, etc.) « pour la mettre en regard avec la démographie médicale », poursuit la pédiatre.

Si le médecin est « contre l’imposition arbitraire et générale du lieu d’exercice de tous les médecins », elle pense toutefois qu’il va falloir « les réquisitionner intelligemment ». En demandant par exemple à des pédiatres « de venir 15 jours, avec des salaires plus décents, des avantages en nature, et surtout en diminuant l’activité à Montluçon, pour rouvrir des lits ailleurs ».

Lettre ouverte au Président de la République

Une manifestation est prévue le samedi 17 septembre à 11 heures devant l’hôpital, afin d’alerter l’opinion publique et les autorités sur la situation des services de l’hôpital de Montluçon, et tout particulièrement de la pédiatrie.

Une manière de rappeler les messages martelés par une lettre ouverte envoyée au Président de la République il y a quelques mois. « Nous vous demandons de prendre toutes les mesures nécessaires à la survie de la pédiatrie. Ne tournez pas la tête, regardez-nous, vous devez agir maintenant », écrivaient les signataires.


Source : lequotidiendumedecin.fr