Attractivité

Hausse des démissions de PH, postes vacants : l'hôpital à l'épreuve

Par
Publié le 18/03/2022
Article réservé aux abonnés
Alors que les mises en garde s'enchaînent sur le manque d'attractivité de l'hôpital, l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH) a invité les représentants des principaux candidats à l'élection présidentielle à son dernier colloque.
Certaines spécialités comme la radiologie frôlent les 40 % de postes vacants à l'hôpital

Certaines spécialités comme la radiologie frôlent les 40 % de postes vacants à l'hôpital
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

En 2021, la pénurie de praticiens hospitaliers a atteint des sommets, jusqu'à frôler les 32 % de taux de vacance de postes, selon les données du Centre national de gestion (CNG). Et alors qu’en dix ans, le nombre de praticiens hospitaliers (PH) avait globalement progressé de 10 %, c'est aujourd'hui l'augmentation constante des démissions qui est au centre des préoccupations.

L'année dernière, 15,8 % des PH à temps plein qui ont quitté l'hôpital l'ont fait par démission (contre 13,5 % l'année précédente) pour 67,2 % de départs à la retraite. C'est en chirurgie et en radiologie que la part des démissions est la plus importante dans les sorties : respectivement 19,1 % et 18,8 %. Sans compter les transferts provisoires vers le privé sous forme de mises en disponibilité qui sont passées de 1 291 PH en 2012 à 5 560 dix ans plus tard. « L’hôpital ne fait plus rêver », s'est désespérée la Dr Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat des praticiens hospitaliers (INPH) lors d'un colloque à son initiative, la semaine dernière.

Devant les conseillers santé des principaux candidats à l'élection présidentielle, les PH ont déploré la pénurie de médecins et ont demandé des mesures fortes. « C’est sûr que quand vous dites à un obstétricien qu’il va gagner autant en travaillant trois jours dans le privé qu’à temps plein, la nuit et le week-end, dans le public, c’est réglé », a soufflé Jérôme Goeminne, président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS).

À l’hôpital, certaines spécialités comme la radiologie frôlent même les 40 % de postes vacants. Conséquence : le recours aux intérimaires augmente toujours, ce qui fait monter la facture annuelle à 1,5 milliard d’euros. « Est-ce acceptable ? Si on ne recourt plus aux intérimaires, que se passera-t-il ? », s’inquiète la Dr Bocher, qui pense « indispensable d’harmoniser les salaires et les conditions d’exercice ».

Malgré le Ségur de la santé, « des déceptions majeures ont vu le jour et des attentes subsistent du côté des hospitaliers », a regretté la présidente de l'INPH, qui ne tire pas un bilan plus élogieux du quinquennat pour les étudiants. « Les réformes des études médicales ne laissent pas d’interroger et les pièges sont toujours là pour la nouvelle génération » a-t-elle dit. Selon les organisations de jeunes, le taux d'abandon en cours de formation est estimé entre 10 et 20 %. « Prenons garde ! », a averti la Dr Bocher.

Pénibilité

La pénibilité du métier serait aggravée chez les jeunes par le sentiment « d’être de la chair à canon » hospitalière, a résumé Nicolas Lunel, président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Un contingent d’internes et d’externes interchangeable qui subit un encadrement lacunaire, faute de praticiens. « Le manque d’encadrement entraîne le manque d’humanité, et naît en nous cette peur : dans 20 ans, vais-je devenir ce médecin qui passe 30 secondes auprès d’un patient ? », a décrit l’étudiant toulousain.

À tous les étages, l’hôpital public n’attire plus. « Seuls 23 % des internes sont intéressés par l’exercice hospitalier selon une enquête que nous avons menée auprès de 6 000 d'entre eux », a détaillé Gaétan Casanova, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). Ni l’augmentation du numerus clausus – transformé en numerus apertus –, ni les revalorisations du Ségur n’auront suffi à faire revenir les PH pour l'instant. « L’augmentation du numerus clausus c’est vraiment de la com’, tous ceux qui ne proposent que ça, acceptent quelque part de ne pas s’occuper des déserts médicaux pendant 14 ans », a taclé le Pr Bruno Riou, doyen de la faculté de médecine Sorbonne Université. Alors que nombre de candidats proposent des augmentations mirifiques du nombre de médecins formés (15 000 pour Anne Hidalgo, 20 000 pour Valérie Pécresse), « personne ne parle de la régulation des internes dans les différentes spécialités, a souligné le Pr Riou. On ne se demande pas, par exemple, combien de chirurgiens pédiatriques nous aurons dans 10 ou 15 ans ».

Hôpital-entreprise

Face à ce sombre tableau, qu'ont proposé les conseillers santé des candidats ? « Une reprise immédiate et entière de la dette des hôpitaux », suggère Béchir Bouderbala, le représentant de Yannick Jadot, juriste en droit public. L’écologiste veut aussi « revoir les statuts des PH, pour assurer une plus grande protection sociale ». Il propose la fusion des six premiers échelons et souhaite aussi le recrutement de 100 000 soignants paramédicaux.

« L’attractivité pour les médecins hospitaliers, c’est davantage de liberté dans leur travail et c’est pourquoi nous voulons déléguer les tâches administratives et mettre fin à la tarification à l’activité », avance pour sa part la Dr Martine Garrigou, psychiatre retraitée et conseillère du candidat communiste, Fabien Roussel.

Sans pour autant revenir sur la T2A, le Pr Antoine Pelissolo, psychiatre, et conseiller d’Anne Hidalgo, fustige, lui aussi « le modèle de l’hôpital-entreprise ». Il souhaite associer davantage le personnel soignant à la gouvernance des hôpitaux et entend par ailleurs « redonner du sens » en « mettant par exemple en place un ratio de soignant par nombre de lits ». Le Dr Alain Durand, chirurgien-dentiste et conseiller d’Éric Zemmour, se dit lui aussi « choqué que l’on gère les choses d’un côté comptable ». Il veut revoir la gouvernance des hôpitaux « réintroduire les médecins dans les décisions ».

Leçons de la crise

Enfin, alors que le président de la République sortant n'avait pas encore dévoilé son programme, son référent santé, le Dr François Braun a dû contenter l'assistance de bribes. Emmanuel Macron souhaitera de toute évidence « faire tomber les barrières entre les professionnels de santé, les administratifs et les médecins, c’est que nous a appris la crise », a imaginé le président de Samu-Urgences de France.

À l’issue de ce tour de table, la Dr Bocher s'est dite prête « s'associer à ces transformations ». « Il faut réinvestir dans l’humain, revenir à une éthique du soin et mieux gérer les ressources humaines », a plaidé la présidente de l’INPH. « Le piège de la rentabilité se renferme sur une gouvernance par les chiffres, nous nous mobiliserons et les tentatives de nous faire taire seront vouées à l’échec », prévient-elle. À charge des conseillers de faire passer le message à leur candidat.

Léa Galanopoulo

Source : Le Quotidien du médecin