Paiement global forfaitaire à l'épisode de soins : l'expérience mitigée des Pays-Bas

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Publié le 10/03/2021
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Crédit photo : PHANIE

Voilà une expérience étrangère qui apporte plutôt de l'eau au moulin des détracteurs du paiement  à l'épisode de soins, évolution envisagée en France à titre expérimental en chirurgie (colectomie pour cancer, pose de prothèse totale de hanche et la pose de prothèse totale de genou). L'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) se penche, dans un rapport publié en février 2021, sur le financement intégré des soins de maternité aux Pays-Bas et en révèle quelques limites et obstacles.

Cette étude de cas, réalisée dans le cadre d'un travail comparatif de l'organisation de la médecine spécialisée dans cinq pays occidentaux (Allemagne, Angleterre, États-Unis, Italie et Pays-Bas) vise à « alimenter la réflexion globale sur l’organisation de la médecine spécialisée en France ».

Dans le modèle néerlandais, l'expérimentation sur le financement à l'épisode de soins part d'une enquête de 2004 révélant un taux de mortalité néonatale élevé dans ce pays (3 pour 1 000 nouveau-nés, contre 1,8 en France). Une réflexion a donc été menée en prenant en compte la structuration des soins de maternité autour de la sage-femme, considérée aux Pays-Bas comme la plus à même de prendre en charge une femme en bonne santé avec une grossesse sans complications. En 2012, 30 % des femmes ont accouché là-bas en soins primaires (dans des maisons de naissance ambulatoires) dont 16 % à domicile avec une sage-femme, 70 % ont accouché dans une maternité spécialisée.

200 000 euros pour s'organiser

Ce contexte a contribué à réorganiser les soins obstétricaux autour de réseaux professionnels de soins de maternité au niveau territorial. Ainsi, 76 « collaborations obstétricales régionales » ont été constituées autour des professionnels de santé intervenant dans la prise en charge des femmes enceintes (obstétriciens, sages-femmes, pédiatres, assistantes de maternité, auxiliaires puéricultrices). Ces réseaux sont organisés autour d’un ou deux hôpitaux et de cabinets de sages-femmes en soins primaires.

En 2017, huit de ces réseaux ont été sélectionnés pour expérimenter un paiement à l’épisode de soins pendant cinq ans. Cette réforme consiste en une « rémunération globale forfaitaire » (bundled payment) pour l’ensemble des acteurs intervenant dans les soins de maternité : sages-femmes, gynécologues et autres professionnels de santé impliqués. A l’heure actuelle, la plupart de ces soignants sont rémunérés à l’acte.

Des « organisations intégrées de soins de maternité » (dites IGO, en néerlandais) ont été créées pour rassembler les professionnels impliqués – sages-femmes, obstétriciens, etc. –, définir les protocoles de soins et les critères de qualité, et partager le financement. L’IGO intervient en tant que « contractant principal » et assume la « responsabilité clinique et financière » de tous les soins de maternité dispensés par les professionnels du réseau. Dans le cadre de l’expérimentation, chaque IGO reçoit une subvention de 200 000 euros du ministère de la Santé pour mettre en place l’organisation. Tous les professionnels impliqués ont leur mot à dire (par l’intermédiaire de leurs représentants) au sein du conseil d’administration de l’IGO, qui négocie les conditions de paiement. 

200 prix résumés en neuf modules

Aux Pays-Bas, ces forfaits globaux de maternité s'articulent autour de trois phases – périnatale, natale et postnatale et neuf modules de soins dont le contenu (accouchement standard, soins complexes, soins postnatals, etc.) est défini par l'autorité sanitaire néerlandaise.

Les prix et la qualité des soins sont négociés entre chaque assureur et l'IGO, à travers des contrats avec les différentes caisses. Pour les soins de maternité, l'ensemble de 200 prix habituels (cotations à l'acte) a donc été réparti au sein des neuf modules. Chaque contrat dure un an, en fonction d'objectifs de qualité et de coût/quantité – avec la possibilité de contractualiser pour trois ans si un plan de réduction des coûts et d'amélioration de la qualité et des résultats est défini.

Compétences lacunaires, conflits d'intérêts

Sans donner de résultats définitifs, l'évaluation étant toujours en cours, l'IRDES pointe plusieurs obstacles à ce financement intégré aux Pays-Bas, que ne manqueront pas d'utiliser les syndicats médicaux français hostiles à ce type de forfait global.

Côté soignants d'abord, la gouvernance d'une IGO chargé de contractualiser n'est « pas évidente » pour les professionnels de santé, qui n'ont pas forcément les compétences nécessaires en assurance, finance ou droit fiscal. Les négociations sont très complexes, « en raison de l'existence de conflits d'intérêts entre les fournisseurs de soins concernés, rémunérés à l'acte ».

Concurrence

Plus problématique, des « incertitudes » existent chez les professionnels quant aux conséquences financières des nouveaux modèles d’organisation. Bref, la mise en place d'un forfait global pour plusieurs intervenants n'est pas un gage de clarté. « Les différences de contrats entre les divers assureurs ont accru ces incertitudes », lit-on. De surcroît, l'environnement concurrentiel rend difficile l'instauration d'un climat de confiance entre professionnels, souligne l'étude. Enfin, l'attention peut se focaliser sur des questions techniques (définition des forfaits) plutôt que sur la qualité des soins des parcours…

Selon l'IRDES, ces expériences illustrent le fait que l’évolution du financement « arrive souvent comme la dernière étape d'une transformation organisationnelle amorcée depuis longtemps ». Et l'étude de conclure que « partager une vision médicale commune et des objectifs de soins centrés sur le patient semble être l’une des conditions pour créer une culture de coopération. » 


Source : lequotidiendumedecin.fr