LE SPEP (Syndicat des psychiatres d’exercice public) est monté au créneau, rapidement suivi par d’autres syndicats (voir encadré) pour réagir à une circulaire du 11 janvier signée par les ministres de l’Intérieur et de la Santé. Le texte, adressé aux préfets, précise les modalités des sorties d’essai pour les patients en hospitalisation d’office (HO).
Les syndicats voient dans la circulaire une application directe du discours d’Antony prononcé le 2 décembre 2008 par le président Sarkozy, annonçant un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques. Plusieurs éléments de la circulaire sont, disent-ils, « très inquiétants ». La décision de l’acceptation ou du refus de sortie par le préfet n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, rappelle la circulaire, se fondant sur un arrêt du Conseil d’État de 1997 qui fait jurisprudence. « Jusqu’alors, cette décision de sortie d’essai constituait un acte médico-administratif, explique au « Quotidien » le Dr Angelo Poli, président du SPEP. Le médecin présentait sa demande au préfet, puis le médecin inspecteur départemental l’étudiait et le préfet signait, dans 99 % des cas. Nous étions dans un genre de modus vivendi, il pouvait y avoir des discussions et, en cas de conflit, le procureur pouvait être saisi, c’est vrai, voire la CDPH (la Commission départementale des hospitalisations psychiatriques). Désormais, et ce depuis le discours de 2008, le gouvernement a mis la pression sur les préfets. On leur dit : "Votre responsabilité est engagée, vous devez contrôler, vous devez être sûr avant de signer une sortie". Nous médecins, nous estimons que nous sommes grands, et que nous réfléchissons avant de demander une sortie. »
Le texte indique également que la sortie doit être motivée par des « éléments objectifs ». « On nous demande de plus en plus de garanties, de donner de plus en plus de détails sur les conditions de sortie de ces patients. Nous risquons d’êtreacculés à la limite du secret médical. Or, ceux qui sont pris en charge en HO se trouvent précisément, la plupart du temps, dans des situations précaires. Quand on sait pertinemment qu’un patient vit de façon isolée, comment connaître l’identité de la personne qui va l’accompagner pendant sa sortie ? »
La circulaire souligne ensuite qu’un « délai inférieur à 72 heures ne saurait être admis » entre la demande et la date préconisée de sortie. « Nous devons donc prévoir nos demandes de sorties systématiquement à l’avance, même celles qui pourraient requérir une décision en dernière minute. Jusqu’à présent, il était possible, dans certains cas exceptionnels, d’obtenir une réponse du préfet dans la journée même. Par exemple, pour un patient qui souhaitait rejoindre une tante venue de Bretagne pour un week-end et qui ne l’avait su que le vendredi. »
Enfin, les circonstances de l’hospitalisation, date, antécédents d’HO, et notamment en UMD (unités pour malades difficiles) doivent être relatées et « précisées par le chef d’établissement ». « En théorie, nos directeurs doivent donner leur autorisation pour toute entrée ou toute sortie de patients mais dans la réalité… ils nous font confiance. »
Présumés délinquants.
La circulaire n’apporte donc pas clairement de grand bouleversement dans le mode de fonctionnement des sorties d’essai, mais les psychiatres y lisent en filigrane la stigmatisation de ces patients, sous couvert de la sécurité publique. « On est dans la logique sécuritaire. Nos patients sont considérés comme des délinquants potentiels, donc des êtres dangereux. Or, si l’on regarde le nombre de crimes par habitant, le taux n’est pas plus important chez ces patients que dans la population générale. Le risque de passer à un acte violent est même inférieur à la moyenne. Et puis, on fait une confusion entre les patients HO, qui ne représentent que 1 % de nos malades et les 12 à 13 % qui comprennent les patients en HO mais aussi les patients en HDT (hospitalisation sur demande d’un tiers). Cette circulaire vise donc à stigmatiser les personnes dont nous nous occupons, considérées plutôt comme des délinquants potentiels que des sujets souffrant de troubles susceptibles d’être soignés. Et elle tente ainsi de réduire les possibilités de sorties d’essai d’hospitalisation d’office, alors que celles-ci constituent des modalités de préparation à la sortie et de réinsertion qui existent depuis plus de cinquante ans et dont des milliers de patients bénéficient. »
À côté du « renforcement sécuritaire », le SPEP voit dans aussi tout bonnement ce texte comme une façon de « décrire ce qui se faisait déjà dans les cas difficiles mais de rendre compliqués les cas simples. »
Exception française.
En pratique, l’application stricte ou pas de la circulaire dépendra de la sensibilité, de la personnalité, du vécu, même, du préfet. Les syndicats indiquent cependant qu’ils ont déjà des cas confortant leurs inquiétudes. À Nantes, le Dr Rachel Bocher a déjà essuyé trois refus de sortie non justifiés depuis le11 janvier.
Et puis, derrière toute circulaire, il y a la loi. Celle qui régit les conditions d’hospitalisation d’office date de… 1838. Modifiée en 1990, elle devait être révisable dans les cinq ans. Le texte n’a encore pas été touché. « Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait formulé une proposition, dans le même esprit sécuritaire, mais face à la fronde des syndicats, alliés aux présidents de CME et aux associations de patients, et en période électorale, il avait laissé tomber son projet. Le même qui revient sur le tapis aujourd’hui. » La France se distingue en tout cas au sein de l’Europe dans sa gestion administrative et non judiciaire des autorisations de sorties d’essai.
En attendant le débat (?) sur cette loi, le SPEP mobilise ses troupes et, en concertation avec les associations de patients (l’UNAPAM, Union nationale des amis et familles des malades psychiques, et la FNAPSY, Fédération nationale des patients en psychiatrie), réfléchit à une action visant l’abrogation de cette circulaire. « Ou bien à la rédaction d’un autre texte, à condition que nous, professionnels soyons consultés. »
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