LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir créé ce double cursus il y a dix ans à Strasbourg ?
PR VALÉRIE LAMOUR : À l’époque, je revenais tout juste des États-Unis après avoir fait un postdoctorat scientifique à l’université Rockefeller de New-York. Là-bas, les partenariats entre la médecine et la recherche étaient déjà très développés. Dans mon laboratoire, de nombreux médecins travaillaient de concert avec des chercheurs de la faculté de médecine de l’université Cornell et avec le centre de recherche contre le cancer. Au regard du très bon niveau des étudiants en médecine français et du terrain de recherche très riche dont nous disposons, il m’a paru pertinent de créer une formation similaire lorsque j’ai pris mes fonctions à Strasbourg en 2009. Le projet a pu voir le jour dans le cadre de l'Initiative d’excellence (Idex), programme d'investissement d'avenir obtenu par l’université de Strasbourg en 2013.
Quel est l’objectif de cette formation ?
Former des médecins-chercheurs en créant des ponts entre les nombreux domaines de recherches scientifiques qui existent sur le campus de l’université de Strasbourg et la recherche clinique au sein des hôpitaux universitaires. Que ce soit en chimie, en ingénierie ou en physique, certains étudiants en médecine aspirent à s’impliquer davantage dans le domaine scientifique. Grâce à cette formation, c’est désormais possible en proposant d’intercaler un master scientifique entre le 1er cycle et l’externat. Ces étudiants arrivent ainsi, à l’internat, avec un master en poche. Et même si tous les étudiants de ce cursus ne deviennent pas nécessairement des porteurs de projets scientifiques en leur nom, le simple fait d’avoir suivi une formation en sciences plus approfondie peut les amener à être de très bons ambassadeurs de la démarche scientifique dans leurs pratiques cliniques quotidiennes. Ces praticiens pourront par ailleurs appliquer plus rapidement les innovations scientifiques et technologiques au chevet de leurs patients. Et ceux qui voudront monter des projets de recherches auront déjà toutes les clés en main grâce à leurs connaissances du milieu.
À qui s’adresse cette formation ?
Nous recrutons nos étudiants une fois qu’ils sont admis en deuxième année d’études de médecine. La sélection se fait sur dossier et lettre de motivation. Nous les recevons ensuite individuellement pour évaluer leurs motivations et leurs capacités à suivre, en plus de leur formation de médecine (réputée déjà très exigeante), un master scientifique. Nous nous assurons toujours que les étudiants choisis ne seront pas mis en difficulté avec ce double cursus. Chaque année, entre 12 et 14 étudiants sont sélectionnés sur une moyenne de 25 à 30 candidatures.
Quel bilan tirez-vous de cette formation ?
Du côté des étudiants, l’engouement est renouvelé chaque année. En dix ans, nous avons quasiment doublé le nombre d’internes en médecine détenteurs d’un master scientifique. Au total, le double cursus a formé une centaine d'étudiants en médecine – et quelques-uns en pharmacie – avec près de 80 masters scientifiques validés. Pendant cette période, certains ont même pu publier pendant leur stage en laboratoire de recherche. Nous avons par ailleurs chaque année environ un à deux étudiants de nos promotions qui poursuivent en thèse dans la foulée de leur master. Depuis le lancement de cette filière, près de 15 thèses de sciences ont été entamées ou ont déjà été validées. C’est une belle réussite. Ce qui nous distingue également des autres doubles cursus est notre rayonnement à l’international. Près de la moitié de nos étudiants ont fait des stages de recherche à l’étranger. En ce qui concerne les étudiants en thèse, environ un tiers l’effectue à l’international. Cela crée une génération un peu mieux armée pour s’impliquer dans des projets de recherche. Du côté des enseignants intervenants, ils sont tous ravis de dispenser des cours auprès d’étudiants toujours très investis.
N’est-il pas difficile de garder ces futurs médecins-chercheurs dans le giron français ?
C’est évidemment un défi. Nous manquons aujourd’hui de vocations pour la carrière hospitalo-universitaires, avec un gros débat autour de l’attractivité pour ces missions. Nous espérons toutefois que ce type de formation contribuera, à terme, à recruter de nouveaux talents. Pour les universités, c’est toujours une crainte de voir partir ses étudiants à l’étranger le temps d’un stage ou d’une thèse. On se demande forcément s’ils vont revenir. Il faut à la fois qu’ils partent dans de bonnes conditions et que des dispositifs pour encourager leur retour soient mis en place. Finalement, les études de médecine sont si longues qu’essayer de retenir les étudiants à tout prix est contreproductif. S’ils sont déjà partis pendant leurs études, ils auront déjà eu cette expérience, cette respiration à l’étranger. Ce qui fait que ce ne sera pas un problème pour eux de revenir en France.
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