Près de 11 millions de patients sont aujourd’hui inscrits dans le dispositif des Affections de longue durée (ALD), soit 17 % de l’ensemble des assurés sociaux (1). Ces patients bénéficient d’une couverture à 100 % des frais en rapport avec l’affection désignée. Quatre groupes de pathologies les plus fréquentes permettent l’ouverture des droits au dispositif ALD. Il s’agit des maladies cardio-neurovasculaires (32 % des assurés), du diabète (25 %), des tumeurs malignes (20 %) et des affections psychiatriques de longue durée (14 %). De nombreuses autres affections « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse », donnent droit au dispositif. D’où l’importance d’un accompagnement spécifique face à ces patients que l’on suit pendant plusieurs années voire, plusieurs décennies.
Suivi au long cours
« L’accompagnement de ces patients est un suivi au long cours », fait remarquer le Dr Paul Frappé, président du Collège de médecine générale. « Leur prise en charge s’inscrit dans le temps et permet de faire connaissance, de créer des liens et de prioriser les actions en fonction de la situation personnelle, sociale et familiale du malade ». Il est donc nécessaire de se centrer sur la personne, de connaître son projet de vie et son objectif de soin. Le Dr Margot Bayart, vice-présidente du syndicat MG France, insiste également sur l’aptitude relationnelle du médecin pour comprendre les réactions et identifier les éventuels mécanismes de défense du patient. Ceci permet de s’adapter aux capacités de compréhension des malades et d’utiliser les mots justes pour être bien compris.
« Pour un suivi correct des patients atteints d’affections lourdes, nous devons obtenir leur confiance », complète le Dr Jean-Louis Bensoussan, généraliste dans la région de Toulouse et secrétaire général de MG France. Le revers de la médaille de cet accompagnement dans le temps est qu’il peut être chronophage. Le suivi de ces patients doit être programmé. « Les patients avec des affections chroniques doivent être un souci permanent dans l’esprit des généralistes qui les suivent, conseille le Dr Frappé, afin qu’ils puissent anticiper et gérer progressivement les problèmes qui vont se présenter. Il y a une notion de programmation qui permet de ne pas être pris au dépourvu ». Mais il y a aussi une notion de connaissances.
La théorie ne suffit pas
« Il faut savoir être humble dans ses connaissances, accepter de revoir son positionnement thérapeutique et assumer la nécessité d’emmagasiner sans cesse de nouvelles connaissances », observe le Dr Bensoussan. Si la formation est fondamentale pour apprendre le métier et connaître les spécificités de chaque pathologie chronique, elle est selon le Dr Bayart insuffisante. « Le cursus des études médicales permet une connaissance technique de la pathologie. Mais le patient n’est pas une pathologie. Il doit être abordé dans sa globalité en tenant compte du fait qu’en touchant une chose, on peut en dérégler une autre ». Et ce, tant sur un plan médical, que familial, social ou professionnel. « Il est nécessaire de faire correspondre la médecine à la personne », conseille la généraliste.
Suivre des patients atteints d’affection chroniques, c’est ainsi accepter de revoir son rapport à la connaissance. Le médecin a son expertise, mais c’est le patient qui ressent la maladie dans toutes ces composantes. « La crise sanitaire actuelle liée au coronavirus interroge les patients et les soignants sur leur rapport à la maladie et à la mort. Elle prouve également que l’apprentissage évolue tous les jours et combien il est important de savoir où trouver l’information pertinente lorsque l’on n’a pas l’expérience de la pathologie », remarque le Dr Frappé.
L’actualisation des connaissances sur les affections lourdes et chroniques est fondamentale. « Les publications nourrissent la curiosité scientifique mais pas la pratique », explique le président du Collège de la médecine générale. Pour lui, il existe différentes voies d’accès à la connaissance. Chaque spécialité médicale développe des recommandations. Les sociétés scientifiques proposent une multitude de ressources documentaires et les associations de patients sont également une mine d’information précieuse. « L'application à la lettre des recommandations scientifiques n’est pas toujours souhaitable », complète le Dr Bensoussan.
Les groupes d’échanges des pratiques peuvent s’avérer très utiles lorsqu’une décision doit être prise. « Cela permet de ne pas rester seul face à ses doutes, à sa pratique et à sa souffrance de médecin », confie le Dr Bayart qui conseille également le travail en pluriprofessionnalité ou en réseau, comme pour les soins palliatifs. Car, une pathologie lourde est une souffrance pour le patient, mais aussi pour le soignant. « On suit le patient dans la durée et parfois jusqu’au décès. C’est difficile. Une complicité se crée avec le malade et cette relation impacte notre histoire personnelle », poursuit-elle. Un point de vue partagé par le Dr Bensoussan : « Je conseille aux jeunes généralistes de s’inscrire dans des groupes de pairs pour s’enrichir des connaissances des autres, échanger sur les pratiques et les éventuelles difficultés ».
Un contexte particulier pendant la crise du coronavirus
La crise sanitaire actuelle vient confirmer cela. L’humilité face à la connaissance s’impose une nouvelle fois. « Il n’y a pas deux cas de Covid qui se ressemblent, explique le Dr Bayart. C’est comme si on était sur un champ de mines et on doit sans cesse adapter nos pratiques ». Nul ne sait dire quelles seront les conséquences du coronavirus sur les affections chroniques. Une chose est sûre, pour le Dr Frappé : « le confinement a modifié les habitudes des patients, et ils échappent au suivi médical. Par exemple, le confinement a des répercussions sur les patients diabétiques qui changent leurs habitudes alimentaires et font moins d’exercice ». Ce qui, une fois la crise sanitaire passée, pourra avoir de lourdes répercussions pour ces patients avec une perte de chances.
Depuis plusieurs semaines, les organisations de médecins généralistes tirent la sonnette d'alarme sur la baisse de fréquentation des cabinets par les patients chroniques (lire notre dossier). Dans le contexte actuel, le suivi des patients polypathologiques doit donc être adapté. Pour le Dr Bensoussan, il faut graduer la prise en charge, palier au plus pressé et différer ce qui peut l’être. « Les généralistes continuent à être très présents physiquement ou via la téléconsultation et les patients qui nous consultent sont heureux de nous voir ! », conclut-il.
(1) Source Caisse Nationale d’Assurance maladie, chiffres pour l’année 2017
V.A.
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