En France, 18 % des étudiants en médecine sont ou deviennent parents au cours de leur troisième cycle. Sophie, interne en 4e semestre de médecine générale à la faculté de médecine de Lille, en fait désormais partie. En mars, la jeune femme de 31 ans et son conjoint sont devenus parents d’une petite fille. « J’avais ce désir de devenir maman depuis quelque temps, confie-t-elle. Ayant fait une licence de psychologie avant ma PACES, mes projets de vie adulte étaient déjà un peu avancés par rapport à la moyenne. Je voulais toutefois attendre de passer le concours des ECN avant de me lancer. »
Dos d’âne sur la route
C’est donc une fois son concours passé, et son premier choix en médecine générale accepté, que Sophie tombe enceinte au cours de sa première année d’internat.
Lorsqu’elle apprend la nouvelle, en juin 2023, elle est en stage aux urgences. « Heureusement, j’ai eu une grossesse idéale mais c’était tout de même compliqué, glisse-t-elle. Ce service impose un rythme très intense et, avec les désagréments de la grossesse, c’était très dur et fatiguant de tenir, il faut bien l’avoir en tête. »
Pour prévenir un risque de fausse couche en cours de premier semestre, Sophie anticipe pour arrêter les gardes à partir de son troisième mois de grossesse. « J’ai pu m’arranger avec mes co-internes en septembre pour ne pas faire deux gardes qui m’ont été attribuées puis j’ai fait en sorte de ne plus en avoir aucune à partir d’octobre », se remémore-t-elle.
« À mesure que la grossesse avançait, je mettais de plus en plus de temps à mener mes tâches »
Pour son deuxième stage, elle privilégie un terrain de stage à proximité de sa résidence dans un service hospitalier de gériatrie qu’elle connaît de réputation. « Je savais que l’environnement ainsi que l’équipe médicale et paramédicale était très bienveillants, glisse-t-elle. J’ai aussi demandé à être en surnombre non validant [dans ce cas de figure le semestre ne peut être validé par l’étudiant, NDLR] ce qui m’a permis d’avoir un emploi du temps allégé, sans avoir à effectuer de garde », explique-t-elle.
Seul petit hic, les dos d’ânes sur la route. « Il y en avait beaucoup sur le peu de chemin que j’avais à faire et mes nuits étaient aussi de plus en plus fragmentées », se souvient Sophie. Avec les semaines qui passent, la jeune femme voit son état physique évoluer dans le mauvais sens. « La charge de travail était tout de même élevée, je faisais du 9 h 00 -18 h 30 tous les jours sans vraiment avoir de pause le midi. À mesure que la grossesse avançait, je mettais de plus en plus de temps à mener mes tâches, se souvient-elle. Je me suis sentie fatiguée et ralentie assez vite au niveau de ma réflexion, ce qui me donnait le sentiment de faire des journées à rallonge. »
Le congé maternité, cet inconnu
Dans ce contexte, son médecin décide de la mettre en congé pathologique deux semaines avant la date prévue de son congé maternité. Pendant son congé prénatal, Sophie réussit à s’en sortir à peu près convenablement sur le plan financier. « J’ai perçu des indemnités journalières (IJ) de la part de la Sécurité sociale et j’ai eu la chance de percevoir de la part de l’hôpital de Béthune un complément de salaire pour compenser le manque à gagner, souligne-t-elle. J’ai également eu le droit à une prime de naissance de la part de ma complémentaire. En revanche, je n’ai pas perçu de complément de revenu lié aux gardes que je n’ai pas pu effectuer pendant mon précédent stage. Je sais pourtant que certaines complémentaires le font. Il faut bien se renseigner sur les clauses du contrat », conseille la jeune femme.
Avec du recul, les informations dont elle bénéficie au cours de sa grossesse – celles relatives à ses droits en matière de congé maternité ou de validation de stages – sont parcellaires. « La plupart du temps, j’ai dû trouver l’information par moi-même, déplore-t-elle. Comme c’était une situation assez rare, les interlocuteurs administratifs de la faculté ou des affaires médicales vers qui je me suis tournée n’étaient pas toujours bien au courant. Mais ils étaient toujours très bienveillants. »
Un stage en psychiatrie plus adapté
À la fin de son congé maternité le 2 juin, elle entame un stage en psychiatrie, dans un service accolé à l’hôpital de Lens. Faute d’avoir trouvé un mode de garde adapté, elle est contrainte de poser dès le début de son stage une semaine de congé avant une reprise prévue le 11 juin. « Heureusement, son papa a pu la garder dès mon retour au travail », confie-t-elle.
Progressivement, Sophie parvient à s’organiser dans ce nouveau quotidien. « Ce qui est bien avec ce stage, c’est que j’ai suffisamment de temps sur ma pause déjeuner [environ 2 heures] pour tirer mon lait au calme dans une salle dédiée. En psychiatrie, nos droits sont respectés et le poids des responsabilités et de la fatigue est diminué par rapport à un service hospitalier classique », souligne-t-elle.
Dans un contexte différent, Sophie admet toutefois qu’elle aurait sûrement opté pour un autre terrain de stage. « Au regard de tous les choix que l’on a, j’aurais pu privilégier un stage à l’hôpital. Mais c’est un rythme et une organisation qui n’est vraiment pas adapté à l’allaitement et à la vie de parent, c’était juste inenvisageable, soupire-t-elle. C’est dommage car avec quelques adaptations [accès à la crèche hospitalière pour les internes, horaires aménagés et salles dédiés à l’allaitement, NLDR] tout ça pourrait être facilité. »
Nous sommes de plus en plus à franchir le cap de la parentalité
Sophie, interne en 4e semestre de médecine générale
Malgré des obstacles, Sophie veut croire qu’avec le temps, les choses iront « dans le bon sens ». « Dans des spécialités comme la chirurgie, cela semble encore compliqué mais en médecine générale nous sommes de plus en plus d’internes à franchir le cap car on se rend compte qu’avec un peu d’organisation, c’est possible ! »
Concilier parentalité et internat
De retour depuis peu sur les bancs de la fac, la future généraliste reconnaît une relative bienveillance de ses co-internes et des enseignants. « On m’a laissé entendre que si je me retrouve sans moyen de garde, je dois juste demander l’autorisation pour amener ma fille en cours, globalement c’est plutôt bien accepté », sourit-elle. Seul véritable bémol, l'absence de table à langer et de lieu dédié à l’allaitement au sein de l’université.
À l’heure où certains étudiants terminent leur formation à plus de 30 ans, il est urgent de mettre en place de véritables mesures pour concilier parentalité et internat. Ce combat*, porté cette année par l’Isni auprès du ministère de la Santé, est pour le moment en suspens. « On espère que le prochain gouvernement sera sensible à ce sujet », soufflait Guillaume Bailly, président du syndicat, au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale.
*Parmi les mesures portées, l’accès aux crèches hospitalières, l’extension de la période de validation des stages pour les internes enceintes à un an au lieu de six mois ou encore l’interdiction de faire travailler les femmes enceintes six jours d’affilée
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