LE QUOTIDIEN : Vous venez d’être nommée présidente du Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris (SIHP). Quel est votre parcours ?
MARINE LOTY : Je suis actuellement en sixième semestre de médecine d’urgence et deviendra « Dr junior » à partir de novembre prochain. J’ai effectué mon externat à Tours et je suis arrivée à Paris pour l’internat en 2021. Il y a un peu plus d’un an, j’ai contacté le Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris (SIHP) pour des problèmes de rémunération de demi-garde. Je me suis rendu compte que j’avais envie d’en connaître plus sur le système de santé dans laquelle j’évolue, car, pendant nos études, ce n’est pas quelque chose que l’on apprend forcément. Après cet événement, j’ai donc décidé d’intégrer le pôle juridique du syndicat, pour faire respecter le droit des internes dans toutes ces spécificités. J’ai ensuite repris la vice-présidence et j’ai accompagné l’ancien président, Emmanuel Hay, dans ses différents rendez-vous avec les institutions (affaires médicales de l’AP-HP, CH, ARS etc.). Durant cette année, je me suis rendu compte que les droits des internes étaient bien souvent méconnus, voire ignorés et que leurs conditions de travail n’étaient pas toujours respectées. Ce sentiment d’injustice m’a motivée à aller plus loin dans le combat. Lorsque mon prédécesseur a démissionné en juillet, j’ai accepté la présidence par intérim. Une élection à laquelle je compte me présenter aura lieu en octobre. J’espère être reconduite.
Quelles seront les priorités de votre mandat ?
La question des violences au travail, qu’il s’agisse de harcèlement moral, sexuel ou de toutes autres formes de discriminations, va clairement être un des grands combats de mon mandat. C’est un problème systémique qui persiste, malgré le mouvement #MeToo, qui a un peu libéré la parole. Dans certaines spécialités, notamment la chirurgie ou l’anesthésie-réanimation, on constate que loi du silence prévaut encore. Ce sont des secteurs où la réputation compte énormément, car elle peut ouvrir la voie à une carrière universitaire et à l’attribution de postes prestigieux au sein de certains services. Quand on examine les témoignages reçus via la plateforme de stage Atlas, on remarque que ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent. Au syndicat, nous avons même établi une liste d’enseignants et de praticiens à surveiller. Pourtant, malgré les plaintes répétées depuis 5 à 10 ans concernant certains professeurs universitaires, il ne se passe presque jamais rien en dépit des multiples signalements.
Comment l’expliquez-vous ?
Beaucoup de situations inacceptables restent banalisées, voire cachées, car les internes ont peur de voir leur carrière remise en cause. Certains subissent même des intimidations lorsqu’ils témoignent et que des enquêtes contre un tel ou un tel sont menées. En fait, le problème c’est que la plupart des enquêtes sont très subjectives, car coordonnées par des médecins, qui peuvent potentiellement être amis avec les professeurs visés qui ont d’ailleurs souvent du pouvoir dans le milieu. Les enquêtes ne mènent souvent à rien et les témoignages tombent aux oubliettes. De ce fait, beaucoup d’internes préfèrent « serrer les fesses » pendant six mois en se disant que ça ira mieux au prochain stage…
Dans ce type de situations, y a-t-il des schémas récurrents ?
Dans les cas de harcèlement moral, il s’agit souvent d’un professeur universitaire qui s’en prend quotidiennement aux internes en leur assénant des propos humiliants du genre « vous êtes vraiment nuls ». Dans les cas de harcèlement sexuel, cela implique souvent un professeur et une ou deux internes par semestre. Il arrive aussi que cela soit le chef de service mais c’est plus rare. Souvent, ce sont des universitaires qui se sentent intouchables. D’ailleurs, de ce qu’on observe, les sanctions sont beaucoup plus drastiques sur les praticiens hospitaliers qu’elles ne le sont sur les universitaires.
Quelles actions comptez-vous mettre en place pour lutter contre ce fléau ?
Nous travaillons sur ce sujet depuis plusieurs années, en recueillant notamment les signalements et les témoignages d’étudiants en difficultés sur la plateforme de stage Atlas. À partir de ces témoignages, nous avons eu l’idée de lancer des questionnaires anonymes, pour permettre aux internes qui le souhaitent de raconter ce qu’ils subissent ou ce qu’ils voient en stage. Le fait que ces questionnaires soient anonymes nous permet de recueillir davantage d’informations. Les internes osent plus. Mais nous souhaiterions aller plus loin. Cet été, nous avons commencé à travailler sur un gros projet. L’idée serait de créer un parcours spécifique pour les victimes de violences intra-hospitalières, en premier lieu les internes. Ce parcours se ferait hors de l’hôpital, au sein d’associations par exemple, avec des professionnels qui ne sont pas des médecins et qui pourraient leur apporter un soutien psychologique et une aide juridique. Je pense qu'une aide extérieure, encadrée dans un parcours dédié, offrirait aux internes la possibilité de se libérer d’un premier poids. En parallèle, nous comptons mener un combat auprès des institutions (AP-H, cellules dédiées aux violences au travail etc.) pour tenter de faire évoluer le système d’enquête qui est aujourd’hui beaucoup trop opaque. L’idéal serait que toutes les enquêtes soient pilotées par des auditeurs externes.
« Pour la coupe du monde, un ami a proposé quatre fois le prix » : le petit business de la revente de gardes
Temps de travail des internes : le gouvernement rappelle à l’ordre les CHU
Les doyens veulent créer un « service médical à la Nation » pour les jeunes médecins, les juniors tiquent
Banderole sexiste à l'université de Tours : ouverture d'une enquête pénale