Majoritaires sur les bancs de la fac, les femmes ne représentent encore qu’un tiers des généralistes installés en libéral. Mais, si cette tendance se poursuit, elles seront plus nombreuses que les hommes à l’horizon 2020 ! Cela induira-t-il un bouleversement dans la façon de travailler ? La question se pose en cette Journée mondiale des femmes... Et les avis sont partagés. Même parmi les consoeurs !
C’est une tendance qui s’affirme au rythme soutenu de 1 % par an. « Depuis l’augmentation du numerus clausus dans les années 2000, la féminisation de la médecine se confirme », souligne le président de la section démographie de l’Ordre, Patrick Romestaing. Tous modes d’exercice confondus, on comptait en France, en 1990, 30 % de femmes parmi les médecins. Elles sont aujourd’hui 43 %, selon le CNOM, et seront a priori majoritaires à partir de 2022, selon les dernières projections de la Drees. La médecine générale ne fait pas exception à cette tendance. Déjà, deux internes en médecine générale sur trois sont des femmes qui représentent désormais 41 % des généralistes en activité.
Seul bémol à ce mouvement : les consœurs sont incontestablement moins nombreuses dans les cabinets : encore seulement une sur trois parmi les médecins libéraux. Ce rapport démographique, encore très défavorable au « sexe faible » en médecine ambulatoire, serait-il le signe que les jeunes femmes s’en détournent ? On a beaucoup glosé sur la prétendue désaffection des femmes pour la médecine de ville. Plus que les hommes, elles affectionneraient l’exercice salarié, hésiteraient à sauter le pas de l’installation, déserteraient les déserts médicaux… Des clichés en partie confirmés par les statistiques : une femme médecin sur trois à l’hôpital contre un homme sur quatre ; 54 % des remplaçants sont des femmes ; on trouve moins de 30 % de généralistes femmes en zone rurale (voir aussi notre infographie)...
La médecine générale change de sexe
Ces constats ont la vie dure, mais seraient moins vrais aujourd’hui. En 1999, l’Ordre des médecins criait au loup en estimant qu’il faudrait « trois médecins femmes pour remplacer deux médecins hommes partant à la retraite ». En d’autres termes, l’arrivée des premières ne parviendrait jamais à compenser les départs en retraite des seconds. Étude après étude, ce discours est désormais, en partie, remis en cause. Le CNOM a enregistré en 2012, chez les moins de 40 ans, une proportion de femmes s’installant pour la première fois en libéral de 6 % contre 4,5 % pour les hommes, « ce qui montre qu’elles ne sont pas – au moins pas plus que leurs confrères – réticentes à ce mode d’exercice », confirme Patrick Romestaing. Mais, surtout, au regard des statistiques, on s’aperçoit que plus on est jeune, plus on est femme. Ultra-minoritaires parmi les seniors (14 % chez les plus de 65 ans), les femmes ont rejoint la parité chez les généralistes dans la tranche d’âge 40-50 ans et elles sont déjà carrément majoritaires chez les trentenaires (60 % des 30-39 ans, 73 % chez les moins de 30 ans).
Doucement, mais sûrement, les femmes sont donc en train de s’imposer en nombre. Vont-elles pour autant révolutionner la façon d’exercer ? Pas sûr. Même si l’appétence des jeunes pour l’exercice collectif, le temps partiel et la qualité de vie n’est pas une vue de l’esprit, rien ne dit que le chromosome XY soit si décisif pour caractériser la « génération Y »… « Il n’y a pas de différence de façon d’exercer entre les femmes et les hommes des jeunes générations, avance Patrick Romestaing. Le choix d’exercer différemment ne dépend pas de l’influence de la féminisation, mais d’une évolution de la société. »
Anne-Marie Magnier, enseignante en médecine générale à la faculté Paris VI Pierre-et-Marie-Curie, abonde en ce sens. Pour elle, les filles et les garçons, c’est du pareil au même. Si les jeunes générations réclament aujourd’hui « un meilleur équilibre vie professionnelle-vie familiale », ce n’est pas à cause de la féminisation mais c’est plutôt une « question générationnelle ».
Un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée
La théorie du genre serait donc transposable à la façon d’exercer la médecine générale ? Voire… Chargée de la « mission femmes médecins » de MG France, Nicole Bez n’est pas tout à fait du même avis. « Les femmes n’exercent pas la médecine de la même manière que les hommes », affirme-t-elle. Habituées à faire « trois ou quatre choses en même temps », à travailler et à s’occuper de la vie de famille, elles sont polyvalentes et par conséquent « mieux organisées » que leurs confrères. « Elles vont plus à l’essentiel », résume-t-elle. Un comportement contagieux pour la médecine générale de toute une génération ? « Ce que les femmes ont apporté c’est un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. »
Bénéfique pour leurs proches, mais aussi pour leurs patients et pour elles-mêmes, ce nouveau mode d’exercice, plus zen et en phase avec soi-même, serait un vrai plus pour la profession, puisqu’il pourrait en partie protéger les médecins du burn-out. « En même temps, nuance Nicole Bez, il ne faut pas généraliser. Il y a autant de femmes que de caractères ! »
De son côté, Dany Guérin, présidente de l’Unof Gironde, admet ne pas encore avoir réussi à répondre à cette éternelle question. « Quand j’ai commencé mon activité, raconte-t-elle, les femmes prenaient plus leur temps. Maintenant, je ne vois plus de différences chez nos remplaçants qui ont une façon de travailler identique, qu’ils soient filles ou garçons, dit-elle. Ces derniers ont rattrapé les premières dans leur désir d’un exercice plus tranquille. » De plus en plus proches, avec le temps, les comportements, le temps de travail et les modes d’exercice des femmes et des hommes médecins généralistes s’influenceraient donc mutuellement.
Au point de se confondre ? Pas tout à fait. Ou du moins, pas encore dans toute la gamme d’activité. Plus nombreuses sur les bancs de la Fac, les femmes n’occupent pas, par exemple, les postes d’enseignants qui restent le quasi-monopole des hommes. Un constat qui réduit leur capacité d’influence sur la façon d’exercer ? En écoutant Rebecca Rogers, on en est presque convaincue : « Seulement 18 % du corps professoral de Paris VI est composé de femmes », reconnaît la chargée de mission pour la parité hommes-femmes à l’université Paris-Descartes. Historienne américaine, elle devait organiser, à l’occasion du 8 mars, une journée débat sur la parité hommes-femmes et s’inquiète du manque de mixité qui affecte tout particulièrement la médecine : « Ce n’est pas normal que le haut de la hiérarchie universitaire soit occupé par des hommes alors que la majorité des étudiants sont des femmes, dit-elle. Que la mixité soit respectée, cela a aussi une valeur symbolique ».
Minoritaires parmi les profs et dans les syndicats
Encore aujourd’hui, en dépit de la féminisation des amphis, l’image du médecin qui est renvoyée est celle… d’un PU-PH homme ! Nicole Bez se souvient, comme si c’était hier, de son internat qu’elle a fait en 1976 : « Les hommes nous reprochaient de prendre leurs places. Ils nous disaient qu’on aurait mieux fait de rester à la maison avec nos enfants ! » Minoritaires parmi les profs, les femmes le sont également dans les rangs des syndicats. Présidente d’URPS depuis 2010, Dany Guérin a hésité avant de se lancer. « Quand ma fille était petite, on m’avait proposé de prendre des responsabilités nationales au sein de mon syndicat, la CSMF. J’ai refusé. Je ne me voyais pas laisser de côté mon rôle de mère ».
Le début d’un partage des tâches ?
Alors, dans ces conditions, la femme est-elle l’avenir de la profession ? Pour la sociologue Martine Bungener, la réalité est plus complexe. Ce sont justement les contraintes auxquelles sont soumises les femmes encore plus que les hommes qui sont à l’origine de la féminisation de la médecine. « Si la médecine générale n’avait pas bougé, les femmes n’y seraient pas allées. Elles n’ont fait que renforcer un mouvement initié entre 1970 et 1990 par les jeunes générations qui ne voulaient plus travailler comme leurs aînés ».
En résumé, les femmes n’ont peut-être pas été le moteur du changement, mais elles s’y sont massivement inscrites. Exercice de groupe, plages horaires plus restreintes… Les aspirations des femmes et celles des nouvelles générations de généralistes se rejoignent. « La féminisation de la médecine a commencé par la spécialisation, poursuit Martine Bungener. En médecine générale, elles sont arrivées plus tard parce que son exercice présentait trop de contraintes comme, par exemple, l’obligation des gardes. » Or, si le volontariat de la garde est acquis depuis 2002, l’exercice de groupe ou la baisse du nombre de visites ces dernières années permettent de passer moins d’heures au cabinet et de faire des semaines plus courtes. Mais pour les jeunes généralistes hommes, « c’est la même chose ».
Si une réelle différence persiste, ou mieux, se développe à l’intérieur des cabinets, c’est « une appétence particulière des femmes médecins pour la prévention des cancers féminins », concède la sociologue. Du fait du manque de gynécologues de ville et de l’essor de l’exercice en groupe, il est fréquent, selon elle, que les généralistes hommes appartenant à une même maison ou pôle de santé, envoient leurs patientes chez leur collègue pour des frottis ou des conseils sur les mammographies. Ainsi, la patientèle demeurant au sein du même cabinet, les gestes gynécologiques et le déshabillage de la patiente sont plus faciles à appréhender pour le médecin généraliste femme que pour leur collègue masculin. C’est le début d’un « partage des tâches sexué », estime-elle. Et, qui sait, c’est peut-être aussi avec ce genre de « partage de Yalta » que l’avenir de la profession est en train de s’écrire...