Le Généraliste. Comment peut-on expliquer que la médecine, autrefois très masculine, se soit féminisée ?
Jusqu’aux années 50, la présence des femmes en médecine est faible. Au départ, les femmes ne prennent pas la place des hommes. Elles prennent les places laissées vacantes par les hommes. Médecine salariée, médecine de laboratoire, médecine scolaire… Toutes ces filières sont féminisées, alors que les femmes restent minoritaires dans les branches hospitalières comme la chirurgie et dans la médecine générale.
De quelles façons deviennent-elles généralistes ?
Le basculement se fait dans les années 80. Dans les années Tapie, alors que le numerus clausus baisse et les hommes commencent à déserter la médecine pour les grandes écoles – ils choisissent les métiers de la finance, les écoles de commerce et d’ingénieurs - les femmes deviennent de plus en plus nombreuses à s’inscrire. La féminisation des études médicales est due essentiellement à l’augmentation des filles et à la diminution du nombre de garçons qui s’inscrivent en première année. Contrairement à ce qu’on pense, les filles ne réussissent pas mieux le concours que les garçons : elles sont relativement sursélectionnées.
Est-ce que les femmes proposent un nouveau modèle de la médecine ?
Les jeunes femmes qui deviennent généralistes ne reproduisent pas le modèle du notable local d’il y a cinquante ans qui travaillait pour deux mais dont la femme ne travaillait pas… ou à son service. Ce modèle a disparu. Elles s’organisent différemment : elles travaillent en groupe, font peu ou pas de gardes, peu de visites… De ce fait de nombreux généralistes hommes modifient aussi leurs pratiques et le métier de généraliste à l’ancienne, constamment disponible, commence à être supplanté par un nouveau modèle de médecin à la carte. L’exercice libéral est moins aimé qu’autrefois par les jeunes générations qui sont formées à l’hôpital et dont les parents sont moins souvent issus qu’auparavant de milieux libéraux. Les nouveaux étudiants en médecine sont le plus souvent des enfants de cadres, d’enseignants ou de fonctionnaires de la fonction publique qui s’investissent plus volontiers dans ce secteur qu’en libéral. D’autant plus que le clivage entre professions libérales et salariées est en train de s’estomper…
On dit parfois que les professions qui se féminisent se dévalorisent. Est-ce vrai pour la médecine générale ?
Qui parle d’une profession dévalorisée ? Les médecins eux-mêmes, pas les gens ! Ce discours pessimiste, reproduit par certaines franges de la profession dont ses représentants, est un discours corporatiste qui s’auto-entretient mais qui ne correspond pas à la réalité. Regardez les enquêtes d’opinion : elles mettent les médecins en tête, en particulier les généralistes. Cette profession est loin d’être dévalorisée. Certes, ils ne gagnent pas comme les patrons du CAC 40 mais ils font toujours partie des 5 % des revenus les plus élevés, si comparés à ceux de la population générale. Le diplôme de médecine est une valeur sûre qui reste rentable toute la vie. Le nombre d’inscrits en première année, qui ne baisse pas, le confirme… Par ailleurs, la spécialité médecine générale est choisie de plus en plus tôt aux ECN. Je peux vous assurer que la plupart des étudiants arrivent avec l’idée en tête d’être un jour médecin généraliste. C’est au cours de leurs études qu’on leur casse l’image qu’ils ont de la médecine générale. C’est à l’hôpital.
La féminisation de la médecine générale est-elle destinée à perdurer ?
La féminisation n’est pas un phénomène stable. Ni inéluctable… Dans certaines facultés, le nombre de filles inscrites en première année régresse et les garçons reviennent. Ce qui me paraît logique dans une période de récession économique. En effet, le diplôme de médecine ne perd pas de sa valeur, au contraire de celui d’ingénieur. Ce diplôme est une valeur refuge en temps de crise économique. Par conséquent, la féminisation de la médecine peut même régresser si la situation économique s’aggrave.
«Travailler à guérir. Sociologie de l’objet du travail médical » par Anne-Chantal Hardy. Presses de l’EHESP, février 2013. 301 pages, 26 euros.
« Les généralistes femmes ne reproduisent pas le modèle du notable »
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