Elle accueille et installe les patients, les mesure et les pèse, gère la télétransmission, la paperasse et le règlement. Depuis cinq ans, Amélie, assistante médicale, permet de redonner du temps médical au Dr Thual, généraliste à Bréhan. Son pôle de santé breton fait figure de précurseur au plan d’Emmanuel Macron qui prévoit la création d’au moins 4 000 postes d’assistants d’ici à 2022.
Oreillette Bluetooth vissée sur la tête, Amélie Goujon prépare une lettre d’adressage. Celle-ci n’aura plus qu’à être signée. L’assistante du pôle médical du Ti Lann, à Bréhan (Morbihan), se lève et se dirige vers la vaste salle d’attente : « Monsieur, c’est à vous ».
Amélie ouvre la porte de l’un des deux cabinets mitoyens du Dr Nicolas Thual. Christian, 68 ans, patient du pôle depuis trois ans, s’assoit. Amélie prépare la table d’examen, ouvre le dossier médical sur l’ordinateur, récupère la carte Vitale et retourne à l’accueil. Après quelques minutes, la porte séparant les deux cabinets jumeaux s’ouvre. En ce mercredi matin de septembre, Mathilde Rio, une interne, vient d’en finir avec sa précédente consultation et enchaîne avec celle-ci. Dans ce pôle de Bretagne créé en 2004, tout a l’air neuf, hormis un téléphone fixe tout droit sorti du dernier millénaire. Entre ses murs gris, on n’a pas attendu le plan santé pour se doter d’une assistante médicale. « Au début, nous avons été largement décriés par des confrères qui nous reprochaient de faire la course à l’acte », se souvient Nicolas Thual.
Les temps ont changé. Mi-septembre, les syndicats de médecins libéraux ont dans leur grande majorité applaudi l’annonce par Emmanuel Macron de la création d’au moins 4 000 postes d’assistants médicaux d’ici à 2022. Les premiers sont attendus en 2019 dans « les quartiers prioriataires pour l’accès aux soins et les zones sous-denses ».
Pour être éligibles au financement d’un tel poste, les praticiens devront remplir plusieurs conditions : avoir un exercice collectif (cabinet de groupe ou maison de santé), être inscrits dans un exercice coordonné (CPTS) ou s’engager à le faire. Ils devront en contrepartie apporter un bénéfice mesurable à la population en termes d’accès aux soins et de qualité des soins, notamment en augmentant le nombre de patients suivis et en s’engageant dans des programmes de prévention.
Avec le patient à l’accueil et à la sortie
« Il était temps », souffle Nicolas Thual. Depuis l’arrivée d’Agnès Buzyn, les choses avancent, estime le quadragénaire, mais la législation est parfois en retard sur les initiatives de terrain. « Nous sommes un peu hors-la-loi dans nos cabinets, explique le généraliste. On n’attend pas les autorisations, on crée, on fait. » La preuve : la formation des futurs assistants médicaux reste officiellement à définir, alors qu’Amélie Goujon occupe son poste depuis cinq ans déjà. Employée du pôle du Ti Lann depuis une dizaine d’années, l’ex-secrétaire a vu la liste de ses missions s’allonger au fil du temps. En plus de ses tâches administratives originelles (courriers, comptes rendus...), Amélie prend la mesure du poids, de la taille, du périmètre abdominal qu’elle rentre dans le dossier médical, assure la préparation de vaccins ou de matériel pour les plaies… Elle s’occupe également de la télétransmission et des règlements, ou encore de la préparation de documents tels que les arrêts maladies. Certaines tâches (documents à remplir pour les assurances, dossiers d’entrée en Ehpad) restent à la charge du Dr Thual. « On a copié sur les dentistes du pôle médical, qui ont des assistantes dentaires », raconte Nicolas Thual.
20 % de temps médical supplémentaire
Ce poste lui a permis d’augmenter de 20 % son activité médicale, estime le Dr Thual, grâce notamment à une limitation des déplacements dans le cabinet : les patients ne peuvent plus l’alpaguer entre deux consultations. Le généraliste n’a également plus à attendre qu’un enfant ou un senior soit déshabillé pour l’examiner. « Désormais, une consultation de vingt à trente minutes comprend quasiment 100 % de temps médical », souligne le Dr Thual. « En fait, on s’offre du confort », confie-t-il.
Il a aussi pu accueillir de nouveaux patients, alors même que la taille de sa patientèle est largement supérieure aux moyennes locales. Mais dans le même temps, « le taux de revoyure diminue », assure-t-il. « Cela permet de les accueillir plus sereinement, souligne Amélie Goujon. Quand ils ont besoin d’un papier, cela passe plus facilement avec moi. Ils savent que je vais être réceptive, avoir le temps, et qu’ils n’ont pas besoin d’embêter le médecin. »
Besoin de locaux adaptés
Si le poste d’assistant permet un gain significatif de temps médical, il représente pour l’instant un coût important, estimé par les syndicats à 50 000 euros. On attend d’en savoir plus sur le financement des 4 000 postes promis par Emmanuel Macron (dont tout ou partie devrait être pris en charge par l’Assurance maladie).
Au pôle du Ti Lann, Amélie Goujon perçoit 1 500 euros nets par mois (pour 35 heures par semaine), soit 3 000 euros charges comprises, dixit Nicolas Thual. Selon lui, le poste s’autofinance par l’activité supplémentaire qu’il lui permet de pratiquer. Mais alors que les assistants médicaux de demain devraient venir en appui de plusieurs médecins au sein de structures collectives, le généraliste estime que l’assistant doit être dévoué à un unique praticien.
Avoir un assistant peut représenter « un coût en termes de structures », relève le Breton. En effet, point d’assistant sans double cabinet. À l’avenir, les praticiens devront selon lui adapter l’ordonnancement de leur lieu d’exercice. « Il va falloir créer un poste d’architecte spécialisé, estime le Dr Thual. C’est bien beau de faire rentrer dans nos murs des professionnels. Mais on se retrouve souvent avec des structures pas du tout adaptées à ce genre d’organisation, surtout quand elles ont été fabriquées par des collectivités. »
Une responsabilité professionnelle à préciser
Les contours précis de cette nouvelle profession, comme celle des infirmières de pratique avancée, devront être définis en termes de responsabilité professionnelle. Car pour l’heure, le pôle du Ti Lann se trouve dans un flou juridique. Des précautions ont toutefois été prises. Ainsi, Amélie Goujon ne mesure aucun enfant de moins de trois ans, afin d’éviter toute chute, qui verrait la responsabilité du Dr Thual engagée. Autre point sensible : celui du secret médical, dont la transgression pourrait exposer à des poursuites. « Pour l’instant, le cas ne s’est pas produit mais cela mérite que sur le plan juridique tout cela soit cadré », note le praticien.
Justement, que pensent les patients des assistants médicaux ? Le Dr Thual assure n’avoir eu aucun retour négatif. « Cela s’est fait très naturellement et les patients se sont progessivement adaptés à cette organisation », précise le médecin. Contactée par Le Généraliste, France Assos Santé n’a pas eu de remontée négative depuis l’annonce des 4 000 postes d’assistants médicaux. « Ce métier doit être bien pensé pour assurer au mieux la prise en charge des patients », avertit toutefois l’association de patients.
À la sortie de sa consultation au pôle du Ti Lann, Christian confie : « En tant que patient, le plus important, c’est que le médecin ait le temps de faire le bon diagnostic. (…) Si l’assistant fait gagner du temps, c’est tout gagnant. »