Si la confiance reste forte entre les médecins généralistes et leurs patients, les uns comme les autres estiment que leurs relations se sont détériorées ces dernières années. Selon une enquête exclusive de Call Medi Call pour Le Généraliste, 38 % des médecins de famille et 29 % des Français ont ce sentiment. Les omnipraticiens jugent de plus en plus pressantes les demandes de leurs patients, tandis que ces derniers vivent mal le manque de disponibilité ou les retards de leur médecin.
Le colloque singulier a été singulièrement bousculé ces dernières années, et ce pour plusieurs raisons. Le nombre d’incivilités a explosé dans les cabinets médicaux. En 2018, les actes de violence déclarés par les médecins libéraux auprès du Conseil national de l’Ordre ont atteint un niveau record ; sur les 1 126 incidents enregistrés, 70 % concernaient un médecin généraliste. La crise de la démographie médicale a compliqué l’accès aux soins. La démocratisation de l’information médicale et la révolution du numérique en santé (sites de prise de rendez-vous, avis en ligne, réseaux sociaux…) ont aussi eu un impact considérable sur la relation médecin-patient. Ces derniers mois, deux épisodes ont illustré la montée des tensions, notamment sur les réseaux sociaux. En novembre dernier, le hashtag #Balancetonmedecin est devenu en quelques heures l’un des mots-clés les plus utilisés sur Twitter, des patients l’utilisant pour dénoncer un mauvais comportement ou une mésaventure avec un docteur. Ce à quoi des médecins ont répliqué avec #Balancetonpatient. Et en janvier, une frange de praticiens a été pointée du doigt pour avoir tenu des propos injurieux ou s’être moquée du physique de patients sur le forum Facebook Le divan des médecins, qui regroupe plus de 12 000 adhérents.
Si les médecins de famille conservent l’estime de leurs patients – les sondages se succèdent pour le montrer –, le colloque singulier semble toutefois avoir du plomb dans l’aile. C’est la raison pour laquelle Le Généraliste a chargé Call Medi Call de mener une enquête afin de savoir si les médecins de famille et les patients avaient le sentiment que leurs relations se dégradaient. Réalisée par téléphone en janvier et février auprès de 1 066 généralistes et 1 066 patients, cette enquête miroir montre qu’une majorité de médecins, comme de Français, continuent de considérer qu’ils ont de bonnes relations. En revanche, une part significative de généralistes (38 %), et dans une moindre mesure de patients (29 %), ont le sentiment que le colloque singulier s’est dégradé ces dernières années.
Malaise chez les médecins
Les médecins de famille qui ont cette sensation rejettent prioritairement la faute sur les patients. Ils considèrent leur patientèle plus exigeante ou moins respectueuse de leur profession. 44 % des généralistes ont même l’impression que les actes d’incivilité à leur encontre sont plus fréquents qu’auparavant (même s’ils sont moins nombreux – 30 % – à en avoir été eux-mêmes victimes). Le phénomène des lapins posés illustrerait le manque de considération ressenti puisque 54 % des médecins sont l’objet de rendez-vous non honorés.
Les médecins de famille s’estiment également davantage remis en cause que par le passé dans leurs choix diagnostiques et thérapeutiques (c’est le cas de près d’un généraliste sur deux !). Les patients mettraient également davantage de pression pour obtenir la prescription de médicaments, de certificats ou d’arrêts de travail, même si ces derniers ont une perception différente.
« Les résultats de cette enquête ne sont pas surprenants mais ils ont le mérite de mettre le doigt sur une réalité qui fait mal, commente le Dr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale. Ils ne traduisent pas que les rapports à proprement parler se tendent, mais qu’il y a désormais un stress ambiant en consultation. »
Aujourd’hui, quand on a un besoin, on n’a plus l’habitude d’attendre !
Dr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale
La crainte d’une mise en cause
Cette évolution aurait une conséquence consciente ou inconsciente sur le long terme. « Les médecins tiennent leurs patients pour exigeants tandis que les patients jugent leur médecin pas assez disponible. Plus que la conséquence des tensions démographiques, cette situation traduit une évolution sociétale, analyse le Dr Frappé. Aujourd’hui, quand on a un besoin, on n’a plus l’habitude d’attendre ! »
Cette situation serait d’ailleurs assumée en quelque sorte par les patients. « 18 % d’entre eux reconnaissent avoir déjà posé un lapin, cela traduit qu’ils ont conscience du phénomène », analyse le patron du CMG.
S’estimant mis sous pression, 39 % des généralistes redoutent plus qu’auparavant d’être mis en cause devant les tribunaux par un patient. Ce qui n’est pas sans conséquence sur leur exercice, ces praticiens étant un sur deux à affirmer demander des actes complémentaires pour conforter leur diagnostic.
Preuve que les temps ont changé, 77 % des médecins de famille ont le sentiment que les patients ne comprennent pas les enjeux de leur métier. Tandis que dans le même temps, les usagers estiment, eux, que 62 % des généralistes ne saisissent pas leurs demandes.
Des médecins jugés moins disponibles
S’ils sont proportionnellement moins nombreux que les médecins, trois patients sur dix considèrent que le colloque singulier s’est dégradé. Et selon eux, la faute en revient au premier chef aux généralistes, jugés moins disponibles ou trop souvent en retard. Et une part non négligeable (23 %) d’entre eux est désormais prête à exprimer son mécontentement en consultation, le plus souvent pour l’échec de précédents traitements. Pour autant, ce désaccord ne s’est traduit que dans 8 % des cas par un mouvement d’humeur.
« Cette étude montre que la relation paternaliste qui pouvait prévaloir jusqu’à aujourd’hui est bousculée, explique Gérard Raymond, président de France Assos Santé. Le changement au 21e siècle n’est pas d’avoir trouvé le génome, c’est d’avoir trouvé le patient. »
Et alors que les médecins vivaient comme une défiance l’interventionnisme des patients, ces derniers ne sont que 30 % à avoir l’impression de remettre en cause les diagnostics et les thérapeutiques, 38 % ayant demandé expressément la prescription de médicaments, un sur deux ayant osé solliciter un arrêt de travail qu’un praticien n’estimait pas nécessaire.
« Les médecins vivent mal cette transformation de leur relation avec les patients car cela perturbe leur savoir, poursuit Gérard Raymond. Dorénavant, les patients n’ont pas peur de s’affirmer pour se faire entendre. » De verticale, la consultation devient horizontale. « Le colloque singulier se déroule le plus souvent entre un expert de la maladie et un expert de sa maladie », estime le patron de la principale fédération d’association d’usagers. Si l’on extrapole les résultats de l’enquête, les patients se comportent dorénavant davantage comme des consommateurs, qui considèrent les médecins comme des prestataires de soins. « Oui, certains estiment qu’ils ont des droits et les médecins doivent apprendre à négocier », juge Gérard Raymond.
7,6/10
Note moyenne délivrée par les généralistes à leurs patientèle
7,2/10
Note moyenne attribuée par les patients à leur praticien
Le numérique moins impactant qu’il n’y paraît
Si le numérique en santé a constitué une petite révolution, la prise de rendez-vous en ligne n’a eu pour l’heure qu’un impact marginal sur les rapports entre médecins et patients. De même, très peu de patients ont émis un avis en ligne sur leur généraliste – qui d’ailleurs n’intéresse pas le professionnel, 43 % des médecins affirmant ne pas les regarder et 34 % assurant ne pas savoir quoi penser de ce sujet.
Au final, en dépit des tensions qui ont pu émerger dans leurs relations, patients comme médecins ont une relativement bonne opinion les uns des autres puisque les usagers attribuent en moyenne la note de 7,2 sur 10 à leur généraliste. Les médecins sont plus généreux encore en délivrant une note de 7,6 sur 10 à leurs patients. « Le généraliste aime ses patients, même quand il se fait engueuler ; il est sans doute plus tolérant à leur égard », observe Gérard Raymond
Fiche technique
Enquête croisée réalisée en janvier et février par Call Medi Call auprès de 1 066 médecins généralistes et 1 066 patients.