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Dossier

2014-2017 : le grand chantier de la dispense d'avance de frais

Le « Tout tiers payant » comme si vous y étiez...

Publié le 11/10/2013

37% des actes des généralistes se font déjà en tiers payant. C’est la Sécu qui le dit, suggérant une réalité plus fréquente qu’on ne le croit. à la veille du coup d’envoi de la généralisation, notre dossier donne la parole aux confrères qui pratiquent massivement la dispense d’avance de frais. Et, notamment, aux généralistes réunionnais qui expérimentent le système de demain, selon un scénario proche de celui que suggère l’IGAS à la ministre.

Quand le Dr Alain Duport a entendu annoncer le tiers payant généralisé d'ici à 2017 – et ses confrères libéraux crier à l’étatisation – il a d’abord éclaté de rire. Pourquoi en faisait-on tout un plat ? Sur son île, La Réunion, « on baigne là-dedans depuis plus de dix ans ! ». Depuis 2001 en effet, le département d’outre-mer est pilote dans l’expérimentation de ce dispositif de tiers payant généralisé. La quasi-totalité des 761 généralistes réunionnais est désormais équipée d’un système informatique qui leur permet de télétransmettre et de dispenser leurs patients d’avance de frais.

Ces confrères de l’océan Indien ont donc quelques longueurs d’avance sur la métropole où des pionniers le pratiquent massivement, mais sans vraiment atteindre la dispense d’avance de frais pour tout le monde. Le tiers payant, on le pratique pourtant dans les cabinets de médecine générale de l’Hexagone. Un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose... c’est-à-dire, mine de rien, beaucoup plus souvent qu’on le dit. C’est en tout cas ce que met en évidence une enquête MG France réalisée à partir des chiffres du SNIIRAM, la base de données de l’Assurance maladie. En 2009, 37 % des honoraires des généralistes étaient issus de consultations en tiers payant. Ce qui est à la fois peu, comparé aux 90 % des radiologues, et beaucoup : cela représente tout de même plus d’une consultation sur trois.

Si le tiers payant est systématique là où il est obligatoire, c’est-à-dire pour les bénéficiaires de la CMU ou de l’AME et pour les accidents du travail, les généralistes font aussi du tiers payant quatre fois sur dix à leurs patients en ALD et trois fois sur dix pour les maternités. Mais, la Sécu étant, dans tous ces cas, le seul payeur, faire du tiers payant reste, de l’avis général, assez simple.

Au-delà de ce périmètre, la dispense d’avance de frais est encore possible, et pas si rare finalement, puisque selon l’enquête MG France, les autres actes du généraliste seraient, en moyenne, presque une fois sur quatre (23%) fait en tiers payant. Dans ce cas de figure, soit le praticien est face à un patient dont la mutuelle gère aussi la part Sécu, soit il accepte de pratiquer le tiers payant Sécu avec pluralité de payeurs. Ces généralistes qui ont fait du tiers payant leur règle sont souvent des militants de l’accès aux soins, mais pas toujours.

Les militants du tiers payant...

Dans la première catégorie, il y a ceux qui le font par conviction. Installée dans le populaire XXe arrondissement de Paris, le Dr Mady Denantes pratique, depuis toujours, le tiers payant social. Mais il lui arrive aussi, fréquemment, de ne demander à ses patients que les 6,90 euros de ticket modérateur. Et encore. Quand ils peuvent se le permettre. « Sinon, je les vois quand même, sans leur faire payer, dit-elle. Le tiers payant complet serait un souffle d’air pour nous. Il simplifierait la vie des médecins généralistes qui n’auraient plus à se poser la question : est-ce que mon patient peut payer ? » Comme elle, le

Dr Agnès Gianotti, dont le cabinet est situé à quelques arrêts de métro, dans le quartier de la Goutte d’Or à forte population immigrée (36 % contre 18 % en moyenne à Paris), serait « plus à l’aise, si je n’avais pas les sept euros à demander », sa patientèle étant essentiellement composée « de gens pauvres qui n’ont pas de mutuelle ». Tiers payant automatique pour 70 % d’entre eux qui ont la CMU ou l’AME et pour les autres sur la partie régime obligatoire. Et encore, le Dr Gianotti demande « systématiquement » s’il faut qu’elle patiente jusqu’au mois suivant avant de poser le chèque.

Ces généralistes pionnières, qui ont fait du tiers payant systématique une façon de « rendre accessible le premier maillon de la chaîne », arrivent jusqu’à renoncer à une partie de leurs honoraires. Elles ne sont pas les seules. De l’autre coté du périphérique, en Seine-Saint-Denis, le Dr Jean-Pierre Geeraert pratique lui aussi le tiers payant « massivement et pour tout le monde ». Dans le quartier défavorisé où il exerce, au Blanc-Mesnil, « même le ticket modérateur, ça fait beaucoup pour beaucoup de gens ». Mais, parfois, même quand il s’agit d’une obligation légale, comme pour l’Aide médicale d’État, faire du tiers payant rélève du parcours du combattant. Censé être un dispositif national, « les médecins ne sont pas payés dès qu’on sort du département ». « Du coup, raconte-t-il, je n’envoie même plus les feuilles de soins. » Et de citer également les contraintes de la déclaration médecin traitant à l’origine, selon lui, du « renoncement aux soins chez les étudiants » qui, mal remboursés, rechignent à consulter.

... Les pragmatiques qui le trouvent plus simple...

Généraliste à Sainte-Foy-lès-Lyon, aux abords de la capitale des Gaules, le Dr Charles-Henri Guez fait figure de bon élève en appliquant le tiers payant « comme prévu par la Convention, quand je perçois un frein à l’accès aux soins ». Au-delà des cas où c’est une obligation légale, le Dr Guez le propose également, sur la part obligatoire, aux étudiants, aux malades chroniques qui ne sont pas encore en ALD mais aussi… à ceux qui lui ont fait des chèques en bois ! Ainsi, il ne perdra qu’un tiers de la consultation au lieu de sa totalité.

Si le système est huilé quand la Sécurité sociale est le seul payeur, les règles du jeu ne sont plus les mêmes quand les mutuelles s’en mêlent. Alors que la pratique du tiers payant ne devrait pas poser problème avec les mutuelles qui font à la fois RO et RC, le Dr Guez assure ne pas pouvoir faire du tiers payant intégral avec celle des enseignants, la MGEN. La seule solution serait, selon lui, « que la Caisse solvabilise l’intégralité de la consultation ». Mais pour revenir au chantier actuel voulu par le gouvernement, généraliser revient, à ses yeux, à « mettre la charrue avant les bœufs ». Et de rappeler que, déjà, le tiers payant entraîne une surcharge de travail administratif pour sa secrétaire chargée de « vérifier les retours » et de « passer deux écritures au niveau de la comptabilité du cabinet : la première à la date de la consultation, la deuxième à la date du remboursement ».

Plus que de faire du tiers payant systématique, son confrère lyonnais, le Dr Frédéric Laborier, propose à ses patients qui ont des difficultés financières une remise de chèque différée. Tout en estimant sa pratique du tiers payant « extrêmement marginale », en dehors des CMU, AME et accidents du travail, il fait remarquer que « la population CMU est plus négligeante sur la présentation de la Carte Vitale ». Conséquence pour le praticien : un remboursement tardif et une perte de points dans sa rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) pour le volet télétransmission.

... Et ceux qui le font par confort

Enfin, il y a ceux qui font du tiers payant tout simplement par confort. Le Dr Christophe Lozac’h est de ceux-là, qui voit dans le tiers payant une façon comme une autre de simplifier son exercice et sa comptabilité. Généraliste à Maël Carhaix (Finistère), il a décidé de faire du tiers payant massivement sur la partie obligatoire de la consultation et aussi, quand c’est possible, sur celle complémentaire. « C’est plus facile, notamment quand je fais de nombreuses consultations », dit-il. Ce stakhanoviste breton qui a horreur de la paperasse n’a pas de secrétaire. Ainsi, le tiers payant lui évite de remplir des chèques et de faire ses comptes, même si, avoue-t-il, il ne vérifie jamais rien. « Le temps passé à le faire, estime-t-il, me ferait perdre plus d’argent » que de faire la chasse aux impayés. Le tiers payant intégral représente environ 30 % de son activité, mais si cela était possible, le Dr Lozac’h en ferait bien plus souvent. Condition sine qua non : « il faudrait que ce soit fait directement, comme chez le pharmacien! », suggère-t-il. Un montage qui pourrait bientôt se concrétiser, à l’instar de ce que propose le dernier rapport de l’IGAS et de ce que vivent une poignée de confrères... en plein cœur de l’océan Indien !

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