La levée du confinement ouvre une seconde étape dans la lutte contre le coronavirus. En plus de la reprise du suivi au long cours de leur patientèle, les médecins généralistes devront assumer de nouvelles missions. Chargés de tester les patients et d’identifier les personnes de leur entourage potentiellement contaminées, les médecins de famille seront en quelque sorte les vigies devant alerter en cas de nouvelle flambée épidémique.
Son rôle de chef d’orchestre du parcours de soins avait été mis en sourdine ces dernières semaines. Depuis la fin, lundi 11 mai, d'un confinement national de 55 jours, les généralistes vont pouvoir retrouver leur pupitre. Après avoir eu le sentiment d'être tenus à l'écart des discours des politiques, directement impactés par une forte baisse de leur activité (-40 % sur les six premières semaines de la crise), les médecins de famille ont maintenant un rôle bien défini dans la lutte contre l’épidémie. En leur confiant la mission centrale d’identification des cas contacts et de prescription de tests en ville, le Premier ministre Édouard Philippe a reconnu leur responsabilité pour assurer le bon déroulement du déconfinement et éviter une éventuelle deuxième vague épidémique. Reprogrammation des suivis de patients chroniques suspendus pendant le confinement, déclaration des cas contacts, dépistage, reprise du travail, missions de santé publique… La reprise d’activité des cabinets, après plusieurs semaines au ralenti, ne devrait pas être de tout repos.
Les représentants de médecins libéraux sont toutefois convaincus de la capacité de la médecine de ville à jouer sa partition, après avoir longtemps réclamé les moyens pour assurer le premier recours dans des conditions optimales. Le Collège de la médecine générale s’est engagé dans un communiqué au nom de tous les médecins : « Trop souvent ignorés des politiques publiques, en particulier dans la prise en charge des patients Covid non graves en début d’épidémie, les généralistes ne se défausseront pas des responsabilités qu’ils assument quotidiennement et qu’on leur reconnaît enfin. » Le patron du syndicat MG France, le Dr Jacques Battistoni, assure que ces missions essentielles pour la période post-confinement font déjà partie de l’ADN du généraliste : « Il est le mieux placé pour assurer cette prise en charge globale du patient, car c'est son cœur de métier », a-t-il rappelé lors d’une conférence de presse.
Détection des cas Covid et « tracing »
Afin de contenir au maximum l’évolution de l’épidémie après le déconfinement, le généraliste aura la charge de prescrire des tests virologiques lorsque des cas suspects de Covid-19 se présenteront en consultation. Le gouvernement a promis la réalisation de 700 000 tests virologiques hebdomadaires à partir du 11 mai, afin de permettre aux médecins de ville de dépister leurs patients et de tracer les cas pour les isoler. Le généraliste aura donc aussi une mission d’identification des cas contacts (ou contact tracing) et devra renseigner dans le téléservice "Contact Covid" d’Ameli Pro les coordonnées des patients testés positifs et facultativement de leurs cas contacts proches.
Si cette démarche d’identification fait débat, soulevant des questionnements éthiques et déontologiques (voir p. 10), trois syndicats de médecins libéraux, le SML, MG France et la CSMF, affirment dans un communiqué que le médecin généraliste est le meilleur casting pour tester, tracer, accompagner les cas de Covid. « Le médecin traitant, le plus souvent généraliste, est le mieux placé pour assurer le diagnostic de ces cas isolés et éviter qu'ils ne contaminent leur entourage, parce qu’assurer ce diagnostic est son travail habituel », affirment-ils.
Cette investigation, menée avec l’aide de brigades de l'Assurance maladie, sera valorisée 55 € pour le généraliste (G+MIS). Dans les structures pluriprofessionnelles, les généralistes pourront s’appuyer sur leur équipe pour réaliser le contact tracing. « Naturellement, en maison de santé, cette mission ne reposera pas sur le seul médecin traitant et pourra se faire en équipe, analyse le Dr Pascal Gendry, président d’Avec Santé (ex-Fédération des maisons et pôles de santé). Nous avons également la chance d’avoir un coordinateur pour s’occuper de toute cette partie des protocoles et organisations. »
Accompagner les patients fragiles
La fin du confinement coïncide avec la reprise de l’activité professionnelle pour nombre de travailleurs, et une attention particulière doit être portée à ceux présentant un surrisque. Là encore, le médecin généraliste jouera un rôle majeur dans l’accompagnement des patients. « Le généraliste est le plus à même d'aider les patients à évaluer le risque en fonction de leur pathologie préexistante. Il pourra aussi se rapprocher de la médecine du travail qui connaît mieux la situation professionnelle du patient », explique le Dr Jacques Battistoni. « Le collège travaille actuellement sur des recommandations sur "médecine du travail et Covid", poursuit le président du CMG, le Dr Paul Frappé. Ce rôle du généraliste est très important car les patients ont besoin d’entendre que leur situation est gérée individuellement et qu’on ne les range pas dans des cases ». Au-delà des patients actifs, il s’agira également de conseiller les personnes âgées et/ou fragiles sur leurs sorties et de répondre à leurs interrogations. L’Ordre des médecins, le CMG et la Fédération des spécialités médicales (FSM) réclament toujours une consultation longue revalorisée dans le cadre du Covid permettant de reprendre les examens complémentaires différés et le suivi des patients chroniques de plus de 70 ans et en affection longue durée (ALD). Celle-ci viserait notamment à les éclairer sur l'incidence de leurs pathologies ou les facteurs de risque. Mais pour l’instant, seuls le suivi et le contact tracing des patients Covid+ ont fait l’objet d’une revalorisation.
Reprendre les suivis
Le retour au cabinet des patients chroniques qui avaient déserté les soins pendant le confinement devrait justement représenter un important travail de réorganisation pour le médecin pendant cette période transitoire. Reprise des suivis, reprogrammation des consultations… après plusieurs semaines sans voir leur généraliste, les patients ont repris rendez-vous. S’il est encore trop tôt pour dire si une vague de patients va se présenter au cabinet ces prochains jours, le site leader de la prise de rendez-vous en ligne, Doctolib, alertait sur ce phénomène quelques jours avant le déconfinement. Le nombre de rendez-vous pris après le 11 mai sur le site avait bondi de 60 %. Une bonne nouvelle pour les généralistes, qui s’inquiétaient des retards de soins pour leurs patients les plus fragiles. « Il va falloir désormais travailler sur le cas de nos patients âgés polypathologiques, qui ont perdu de l’autonomie au cours de ce confinement ou ont vu leur pathologie se dégrader, explique le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel. Nous allons devoir établir un plan personnalisé de santé pour ces patients avec l’aide de l’infirmière, pourquoi pas en téléconsultation assistée ». Le généraliste mayennais réclame pour ces suivis complexes, comme l’ont fait l’Ordre et le Collège, une revalorisation de l’acte à 55 € (consultation très complexe), avec la possibilité de facturer une deuxième consultation complexe bilan à 46 € un mois après.
Pour le Dr Pascal Gendry, la question du second recours va être un enjeu de taille du déconfinement (lire aussi l'interview du Dr Patrick Gasser, p. 9). « Le généraliste va devoir temporiser un peu plus et préparer les usagers à ce que leurs soins soient différés », explique le généraliste mayennais. Il insiste aussi sur le rôle qu’auront les médecins de famille dans la prise en charge de la santé mentale ces prochaines semaines. « De nombreux patients ont souffert de l’isolement pendant le confinement, il faudra les prendre en charge » témoigne le Dr Gendry. Un constat partagé par le Dr Jean-Christophe Nogrette, président de MG France Limousin : « Nous voyons déjà arriver des patients en grande tension psychologique dans la population. Il faut qu’on arrive à les rassurer. »
Sécuriser la venue des patients
Dans la continuité des organisations mises en place pendant le confinement, accueillir les patients Covid et non-Covid de manière sécurisée, en évitant les contaminations sur le lieu de consultation, sera un autre gros enjeu du déconfinement. Certains centres Covid ambulatoires devraient poursuivre leur activité afin d'y accueillir les patients suspects, et les mesures d'accès simplifié à la téléconsultation seront maintenues au moins jusqu'à fin mai. « Dans les territoires où les centres seront maintenus, cela simplifiera l’organisation du cabinet. Pour les autres, l’enjeu sera d’organiser l’accès aux soins : prévoir des tranches horaires spéciales Covid par exemple. Cela sera toutefois plus compliqué pour les médecins qui font du sans rendez-vous ou qui n’ont pas de secrétariat physique car il n’y aura pas de filtre », prévient le Dr Duquesnel.
Faire de la prévention
Enfin, les omnipraticiens devront jouer un rôle majeur de prévention auprès de la population pour véhiculer les bons messages de santé publique. « C’est déjà ce que nous faisons au quotidien mais là, on nous le demande de manière explicite », commente le Dr Battistoni. Gestes barrière, intérêt de l’isolement en cas de suspicion de Covid, port du masque… déconfinement rime aussi avec éducation thérapeutique. À l’heure où le gouvernement promeut de plus en plus le port du masque pour la population, les généralistes auront aussi pour mission d’en expliquer le bon usage. « Un des principaux messages à transmettre sera la notion de protection collective, "je ne me protège pas moi-même mais les autres" », ajoute le Dr Battistoni.
Les médecins de famille, déjà impliqués en première ligne de l’épidémie ces deux derniers mois, vont donc poursuivre leur mission après le 11 mai. Au plus près de leurs patients qu’ils connaissent bien, ils auront un rôle majeur pour assurer le bon déroulement du déconfinement. « Si on veut que cette étape se passe bien et que les gens y adhèrent, il faut qu’il y ait de l’humain et de la prise en compte individuelle. Bref, une mission taillée sur mesure pour le généraliste », conclut le Dr Paul Frappé.