Comment va s’organiser la reprise d’activité post-confinement pour les médecins spécialistes de second recours ?
Dr Patrick Gasser : Beaucoup de patients avaient retardé leurs consultations dans les cabinets privés, mais la demande de consultations a explosé à l'approche du 11 mai, et ce déjà deux semaines avant le déconfinement. Cependant, il est encore difficile aujourd'hui de répondre à un patient qui demande « Quand puis-je consulter à nouveau ? ». Toute l'organisation des prises en charge a été revue et le temps de consultation sera allongé du fait des mesures barrière : prévenir le patient sur la désinfection des mains, sur la nécessité d'attendre dans sa voiture pour éviter que les patients se croisent en salle d'attente… Concernant le versant hospitalier, où pour la plupart des établissements de soins privés, l’activité a été quasi-nulle pendant le confinement, les gestes barrière sont toujours là et la situation est la même qu’en ambulatoire. Au niveau des interventions chirurgicales et des explorations endoscopiques de toutes spécialités, la reprise d’activité va augmenter mais ne sera pas à 100 % le 11 mai, ni même dans deux ou trois mois. Si la situation est stable et qu’il n’y a pas de deuxième vague, elle sera peut-être à 70 % en septembre, en raison des tensions sur les produits anesthésiques. Le retour à la normale prendra entre quatre et six mois s’il n’y a pas de rebond.
Parmi les spécialités de second recours, lesquelles seront particulièrement en tension ces prochaines semaines ?
Dr P. G. : Les médecins généralistes devraient avoir des difficultés à adresser rapidement des patients en cancérologie. En effet, les explorations se font de plus en plus sous anesthésie. Une autre discipline va être très impactée : la radiologie. Nos collègues radiologues vont être en tension de façon importante. Je pense par exemple à la mammographie. Cet acte était bien ancré dans la population et commençait à porter ses fruits. Avec le confinement, on a pris du retard : entre trois et six mois. La file active de nouvelles patientes pour le dépistage va arriver en même temps que celles qui ont dû reporter ces interventions. Peut-être faudra-t-il que les centres de radiologie aient des horaires plus larges, les samedis par exemple. Ces tensions posent la question de notre organisation antérieure : ne peut-elle pas être améliorée ?
Comment ?
Dr P. G. : Les crises permettent d’avoir un œil critique sur l’activité antérieure. Il faudra voir comment adopter de nouvelles attitudes de prise en charge. C'est le bon moment pour que chaque spécialité y réfléchisse. L'afflux de patients post-confinement va aussi nous amener à étudier la manière d'améliorer nos gains de productivité. Non pas sur le plan individuel et financier mais sur le nombre de patients pris en charge. Ne faudra-t-il pas, par exemple, faire davantage appel au partage de compétences ? Et cela grâce à de nouveaux métiers ou à des professionnels qui existent déjà et qui nous accompagneraient dans le cadre du salariat et amélioreraient nos organisations. Il y a une réflexion à mener sur ce sujet dans les mois qui viennent et dans toutes les spécialités, dont la médecine générale.
Le généraliste verra-t-il amplifié son rôle de priorisation et de tri des adressages aux autres spécialités en tension ?
Dr P. G. : Je l'ai déjà affirmé : je suis totalement opposé au rôle de gatekeeper (de l'anglais, « porte d'entrée », NDLR) du généraliste pour l'entrée dans le parcours de soins. Le généraliste a toute sa place dans le parcours de soins mais je ne crois pas à ce rôle de « tri ». Je pense cependant que les relations entre la médecine générale et la médecine spécialisée ne sont pas assez fortes. J’espère que la crise va renforcer ce lien. On a vu très clairement avec l'épidémie que notre modèle est obsolète. Cette crise nous enseigne que dans le futur, le généraliste gardera évidemment la charge de la coordination globale du patient dans ses pathologies, mais qu'il devra exercer de manière plus conjointe avec les autres spécialistes et pourquoi pas dans les mêmes locaux, ce qui était inenvisageable il y a 20 ans.
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