Mouvement tarifaire

Avec ces généralistes qui font du 25 euros hors la loi…

Publié le 13/02/2015
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Annoncé de longue date, le mouvement tarifaire prend tout doucement forme sur le terrain. Témoins, cette dizaine de confrères qui, depuis le début de l’année, pratique une cotation de ses actes que l’Assurance Maladie refuse à la profession. Une façon d’appeler tant à une équité avec les autres spécialistes qu’à une revalorisation qui tarde à venir.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Après la fermeture des cabinets, le boycott de la télétransmission et la grève de la PDS, place désormais au mouvement tarifaire ? En tout cas, une dizaine de généralistes s’y sont mis. Répartis un peu partout dans l’Hexagone ces confrères entendent ainsi concentrer actions et réclamations sur la valeur de leurs actes. Depuis le 23 décembre, pour les premiers d’entre eux, ils cotent leurs actes selon un barème que l’Assurance Maladie ne leur reconnaît pas. Certains ajoutent la fameuse « MPC » (majoration forfaitaire transitoire) de 2 euros au C de leurs consultations, d’autres recourent plus largement que l’Assurance Maladie ne l’entend à la notion de « visite longue » pour facturer leurs déplacements.

Affiches et explications

En grève le 6 janvier dernier, Gérard Bossevain a commencé à demander la MPC à ses patients dès le lendemain. À force d’affiches dans la salle d’attente et d’explications à l’issue de chaque consultation, ce généraliste périgourdin sensibilise sa patientèle à cette majoration depuis près d’un mois. « On ne dit pas que le C est à 25 euros mais que c’est 23 euros, plus 2 euros qui sont attribués à toutes les spécialités sauf à la médecine générale, détaille-t-il. « Et c’est très chronophage d’expliquer tout ça. » À chaque occasion, il explique les conséquences concrètes à ses patients : « le C à 23 euros est remboursé mais les 2 euros sont de votre poche ». S’il demande a priori systématiquement la majoration, Gérard Bossevain affirme qu’il ne la réclame pas à ceux qui n’ont pas les moyens, les bénéficiaires de la CMU, les jeunes… « Certains font la sourde oreille et arrivent avec leur chèque de 23 euros, reconnaît-il, mais la majorité comprend et certains sont très favorables. »

Installé en Ardèche, Alain Carillion applique lui aussi la MPC depuis début janvier. Mais, contrairement à son confrère de Dordogne, il ne la pratique que sur les actes en tiers payant. « C’est un acte militant que je n’ai pas à faire supporter aux patients », se justifie cet adhérent à MG France. Ce qui ne l’empêche pas d’expliquer à tous « que la médecine générale est une spécialité qui n’est pas reconnue en tant que telle au niveau tarifaire ». Chaque semaine, « je cote Cs et MPC sur deux ou trois actes », décrit-il. Pas plus « car l’Assurance Maladie rejette systématiquement ces actes, ce qui me crée un manque à gagner ». Dans un message avertissant le Dr Carillion du rejet de deux factures, l’Assurance Maladie d’Ardèche note une « incompatibilité nature de prestation/spécialité ». Et informe le généraliste en ces termes : « Vous avez saisi le code acte : MPC, (..) prestation (..) incompatible avec votre spécialité exécutant », l’invitant à « revoir votre facturation et la retransmettre ».

L’avenant de « la honte »

Loin d’être une nouveauté, la majoration pour coordination est issue de l’avenant 19 à la Convention. Autrement dit du côté de MG France, celui « de la honte » qui octroie une majoration de 2 euros aux spécialistes. Depuis le 1er janvier 2007, toute une série de spécialistes s’est vue reconnaître la possibilité d’appliquer « une majoration forfaitaire transitoire pour la consultation au cabinet du médecin ». Des endocrinologues aux médecins de santé publique en passant par les réanimateurs et les chirurgiens, ils sont plus d’une quarantaine de spécialistes habilités à percevoir cette majoration. Quarante-cinq exactement dont sont exclus les généralistes. Et la récente promotion de leur pratique au rang de spécialité n’a eu aucune incidence sur le sujet. « ça fait 30 ans que la médecine générale prend de la place, c’est 9 ans d’étude, 3 ans d’internat , rappelle le Dr Agnès Moretti. Il n’y a pas de raison qu’on n’ait pas aujourd’hui cette MPC. » Pour cette généraliste de Chinon, il ne s’agit pas d’une revalorisation tarifaire mais d’une « mesure d’équité » car rien « ne justifie une différence tarifaire au niveau de la qualité du boulot fourni ».

Des visites cotées VL

Outre la MPC associée au C, les généralistes plaident pour une revalorisation globale de leurs tarifs. Et notamment ceux applicables aux visites à domicile, normalement facturées 33 euros. Une somme qu’Agnès Moretti qualifie d’ « insupportable » à l’heure où les personnes visitées sont « toujours des patients lourds ». « On ne voit pas que des grippes, des angines ou des gastros », s’emporte cette généraliste de… Touraine (ça ne s’invente pas!) dont l’essentiel de la patientèle à domicile souffre de « maladies cardio, neuro, de Parkinson, d’Huntington, de maladies démentielles » ou nécessite des soins palliatifs. Elle a donc décidé d’appliquer la cotation VL, pour « visite longue », à certaines de ses visites. Facturé 56 euros, ce type de visites ne peut être tarifé qu’une fois par an. Selon la nomenclature de l’Assurance Maladie, elle concerne les patients atteints de maladie neurodégénérative, renseignée officiellement auprès de la Sécu, et se fait en présence des aidants habituels.

Des conditions d’éligibilités restrictives qui empêchent les généralistes d’y recourir facilement. « Or nos patients n’ont pas toutes ces pathologies mais on est en lien avec leur famille, on fait tout le temps de la coordination », rapporte Agnès Moretti. Elle souligne, en creux, l’allongement de la durée passée aux domiciles, sans compter les trajets qui s’effectuent dans « un secteur de 30 km de diamètre ». Autant d’aspects qui plaident en faveur d’une augmentation de la tarification des visites.

Éveiller les radars de la Sécu sans être taxé de volonté d’enrichissement : un point d’équilibre délicat à atteindre. Car, pour que la pratique tarifaire d’Agnès Moretti puisse être qualifiée de transgressive, elle doit viser des personnes non éligibles à la cotation VL. « Il faut que la Sécu ne rembourse pas la VL », explique la généraliste tourangelle dont le but revendiqué est de « rentrer en conflit avec la Sécu, d’aller devant les tribunaux » et lui « faire admettre que ces consultations valent 56 euros ». Pour l’instant, elle n’applique cette cotation qu’à ses patients pris en charge à 100 % : « S’ils doivent payer, je ne le fais pas car sinon il s’agit d’un dépassement d’honoraires ». Comme son confrère ardéchois, elle ne touchera pas l’argent des visites facturées 56 euros puisque la Sécu ne reconnaît pas cette cotation pour les patients auxquels elle l’applique. À défaut de pratiquer cette transgression systématiquement, elle le fait « de temps en temps, au coup par coup?», confiant en avoir fait « trois la semaine dernière ».

Le tribunal ne leur fait pas peur !

Prochaine étape : les tribunaux. On l’aura compris, la perspective de se retrouver devant le TAS (Tribunal des affaires sociales) ne fait pas peur à ces généralistes. Plus encore, ils attendent ce moment qui leur permettra de défendre leurs positions. « La Caisse me fait régulièrement des retours de refus », affirme le Dr Pascal Dureau. Je les garde et quand il y en aura assez, j’irai devant le tribunal ». Et « ça ne va pas tarder », ajoute ce généraliste de Vénissieux qui « pratique une MPC protestataire ». Même si sa ligne de défense n’est pas encore arrêtée, il assure qu’avec son avocat « on va attaquer sur le fond ». L’avenant 19 en d’autres termes. Car le dispositif de la MPC a fait, rappelle-t-il, l’objet d’une décision d’annulation du Conseil d’État en juin 2008. Un verdict qui n’a pas empêché la Caisse de le maintenir jusqu’à présent. Et Pascal Dureau de considérer que « la nomenclature n’est pas au-dessus de la loi ».

Compte tenu de ces motifs, on ne s’étonnera pas que, parmi les généralistes engagés dans le mouvement tarifaire, on compte un bon nombre d’adhérents à MG France. Il faut dire que le thème de cette MPC volée est un grief récurent de l’organisation de Claude Leicher depuis quelques mois. Même si l’on se garde bien d’avancer une consigne.

Comme du côté des autres syndicats, l’heure est à la prudence, le souvenir de la condamnation en 2008 de la CSMF pour avoir appelé à des actions tarifaires similaires reste vif. Sans oublier la difficulté, pour certaines structures, de ménager les intérêts de ses différentes composantes. « Jouer les généralistes contre les spécialistes sur ce sujet-là est une très mauvaise solution », affirme le Dr Claude Bronner, vice-président de la FMF. Si son organisation n’est pas aux avant-postes dans ce mouvement, il indique que « la FMF met, avec plaisir, sa cellule juridique à disposition des médecins qui seraient inquiétés ».

À l’aube d’un mouvement plus large

Trois ou quatre à l’origine, une dizaine ensuite, combien sont les généralistes contrevenants aujourd’hui ? Aucun syndicat ne se risque à évaluation ou recensement. Pour l’heure, on a encore affaire à des précurseurs d’un mouvement, mais dont les rangs pourraient rapidement s’étoffer. Exerçant dans un cabinet de groupe, Agnès Moretti a convaincu ses cinq confrères de la suivre dans sa mobilisation pour l’équité tarifaire. En Ardèche, « beaucoup de généralistes ne connaissent pas la MPC ou l’ont oubliée », justifie Alain Carillion. Je reçois depuis quelques jours des coups de fil de confrères qui me demandent comment faire », ajoute-il. Je leur explique la démarche à suivre, les préviens que la procédure est longue et les avertis des risques qu’ils encourent ». Pascal Dureau pense pour sa part, que « ce mouvement contestataire syndicaliste précède un mouvement plus large. Nous sommes dans la phase d’amorce qui va être plus large quand les médecins auront compris ». Et là, « ça va exploser d’un coup ».


Source : Le Généraliste: 2709