LE QUOTIDIEN : Quel regard portez-vous sur la longue séquence des négociations conventionnelles qui s’achève ? La Cnam a-t-elle utilisé la bonne méthode et la bonne stratégie ?
MARC LECLÈRE : Nous regrettons l’échec de l’an dernier et nous pensons même qu’il y a un devoir collectif d’aboutir ! Nous devons améliorer l’accès aux soins des Français et nous accorder sur la nécessaire revalorisation des médecins. Il ne faut pas croire qu’en étant payeurs et financeurs, nous sommes opposés à des revalorisations tarifaires.
La nouvelle méthode impulsée par la Cnam ces dernières semaines, avec davantage de concertations bilatérales et multilatérales était indispensable. Nous sommes très favorables à ce dialogue multipartite avec les médecins et nous avons été impliqués systématiquement à ces travaux. Entre financeurs et payeurs, nous avons des cycles de réunions bilatérales. Mais c’est la Cnam qui garde la main sur la conduite de la négociation. Nous ne co-construisons pas les propositions avec elle, mais, bien sûr, nous en discutons. Même si ce dialogue est perfectible – car parfois nous découvrons les mesures au dernier moment – il est franc et ouvert.
Estimez-vous que l’investissement de l’Assurance-maladie, qui permet notamment le passage de la consultation à 30 euros, peut répondre aux enjeux d’attractivité de la profession ?
Il est nécessaire de revaloriser les médecins libéraux, même si certains diront que ce n’est pas assez. Les propositions sur la table représentent un effort significatif, que la Cnam elle-même qualifie d’inédit.
Je pense que les bases sont bonnes et l’approche globale intéressante. En échange de revalorisations très substantielles, il y a des contreparties réclamées avec des engagements collectifs de la profession pour aller vers la qualité et la pertinence des soins, vers l’efficience des dépenses. Il faut à la fin trouver un juste équilibre entre l’attractivité de la médecine libérale, importante à nos yeux, et la soutenabilité des dépenses. C’est le seul levier d’économie qui reste si on ne veut pas dérembourser des prestations ou faire déraper les finances publiques.
Un généraliste génère en moyenne 700 000 euros par an de dépenses en médicaments, examens et arrêts de travail
Vous approuvez donc les objectifs collectifs de prescription et de pertinence des soins de la Cnam…
Nous devons faire le pari de la confiance aux médecins et de la responsabilité collective. Nous sommes convaincus que la profession médicale est consciente qu’elle a entre ses mains une prescription très importante des dépenses. Selon la Cnam, un médecin généraliste génère en moyenne 700 000 euros par an de dépenses en médicaments, en examens et en arrêts de travail. En ce qui concerne les objectifs chiffrés eux-mêmes, nous ne sommes pas médecins, donc nous ne rentrerons que partiellement dans le dialogue.
Ce qui nous intéresse, c’est l’état d’esprit. En tant que financeurs, nous savons que c’est dans l’efficience des soins que nous pouvons trouver des marges d’économies qui nous permettront d’améliorer le système de santé. En revanche, nous soutenons l’idée qu’il faut s’accorder sur les objectifs pour améliorer l’efficacité des dépenses. C’est aussi l’une des clés pour que nous puissions financer les revalorisations tarifaires nécessaires des médecins.
À quelle hauteur les complémentaires sont-elles prêtes à s’engager dans cette convention ? Comment co-financer les mesures sans augmenter les cotisations des assurés ?
Nous avons fait des estimations qui nous ont permis de qualifier de substantiel l’effort de l’ensemble des payeurs. Une telle convention représente plusieurs centaines de millions d’euros pour les seuls complémentaires santé. Il n’y a pas d’argent magique. Les revalorisations tarifaires des médecins se traduiront par une augmentation des cotisations des assurés sociaux. La seule hypothèse où ces revalorisations n’auraient pas d’impact, ce serait si l’efficience était au rendez-vous très vite !
Les complémentaires sont favorables aux paiements forfaitaires. Que pensez-vous du forfait médecin traitant unique ?
L’idée de regrouper le forfait patientèle médecin traitant (FPMT) et la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) dans un forfait unique avec des indicateurs de gestion du risque participe à une bonne logique de simplification. Cela nous paraît plus utile de dialoguer autour d’indicateurs de prévention et de pertinence que de “patientèle” où c’est moins notre rôle. Nous espérons surtout que la création de ce forfait unique permettra de donner un rôle différent aux complémentaires pour le financement de cette rémunération forfaitaire. Aujourd’hui, le financement du FPMT s’opère sous la forme d’une taxe et cela ne nous convient pas. Toutefois, cela n’est pas du ressort des médecins mais relève d’un dialogue entre les financeurs et l’État.
La rémunération par capitation pour les équipes volontaires est une nouveauté. Soutenez-vous cette idée ?
Cette rémunération forfaitaire à la capitation est une idée innovante. Mais honnêtement, je ne sais pas comment cela pourra fonctionner. Y aura-t-il un cofinancement entre l’Assurance-maladie et les complémentaires santé ? Ce recours à la capitation sera-t-il massif ? Comment cette rémunération sera-t-elle valorisée ? Nous ne rejetons pas l’idée, mais tout reste à construire.
Un aménagement des contrats de maîtrise des dépassements d’honoraires (Optam, Optam-Co) est annoncé. Auriez-vous été favorable à l’élargissement de l’Optam à tous les médecins ?
Derrière cette idée, on évoque une solvabilisation obligatoire des dépassements d’honoraires. Nous y sommes totalement opposés car c’est contraire à la liberté contractuelle des complémentaires ! L’uniformisation ne nous paraît pas une bonne chose. Mais dès lors que ces pratiques sont légales et encadrées, et qu’on ne nous interdit pas de les prendre en charge, alors le rôle des divers organismes complémentaires est de proposer de les couvrir ou non au-delà du ticket modérateur.
Le déconventionnement ne peut pas être une solution (…) Il faut croire au dialogue conventionnel
Les mouvements de déconventionnement collectif des médecins vous inquiètent-ils ?
Lorsqu’il s’agit d’actions spontanées et limitées, je peux parfois les comprendre. Mais le déconventionnement généralisé ne peut en aucun cas être une solution pour résoudre les difficultés d’accès aux soins des Français et les problèmes de revalorisation des médecins. Il faut croire au dialogue conventionnel.
Les complémentaires sont-ils prêts à financer davantage les actes de prévention ? Lesquels ?
Oui ! Nous avions proposé explicitement de cofinancer les consultations de prévention mais on nous a répondu négativement. L’an dernier, nous avons signé avec les dentistes un examen bucco-dentaire, cofinancé par la Cnam et les complémentaires. L’objectif est d’augmenter le recours à cet examen et de profiter de l’articulation entre assurance maladie obligatoire et complémentaire pour renforcer l’accès aux examens de prévention. De façon générale, nous sommes volontaires pour travailler au virage préventif dans le cadre conventionnel avec les syndicats de médecins libéraux et l’Assurance-maladie.
La Cnam accélère sa lutte contre les fraudes en santé. Quid des complémentaires ?
La fraude est une préoccupation des Ocam, même si c’est plutôt aux mains des fédérations. Le directeur de la Cnam Thomas Fatôme m’a dit qu’il souhaitait améliorer la collaboration avec les complémentaires santé sur ce sujet et nous y sommes disposés. Peut-être faut-il lever des freins juridiques, s’il en existe. C’est perfectible. Moins de fraudes, c’est plus d’efficience de la dépense en matière de santé.
Êtes-vous inquiet de la financiarisation du secteur, notamment des centres dentaires ou optiques ?
Les Français voient fleurir ces centres, mais il ne faut pas les stigmatiser par principe. Sans doute que certains font même du très bon boulot. Ne les mettons pas tous dans le même panier ! Supposer que la financiarisation du secteur est mauvaise en soi… Non, c’est un investissement. En revanche, ceux qui fraudent doivent être sanctionnés et poursuivis, sans état d’âme.
Le 100 % santé a été une réforme positive pour les Français mais certaines structures trouvent toujours un moyen de contourner les règles de notre système à leur profit. Tout doit être mis en œuvre pour les en empêcher. C’est autant d’argent en moins pour que les Français se soignent mieux.
Repères
1984 : Diplômé de l’école Polytechnique
2018 : Premier vice-président de la mutuelle Unéo
2019 : Président de la mutuelle nationale militaire
2021 : Président de la mutuelle Unéo, renouvelé en 2023, et administrateur de la Mutualité française
2021 : Président de l’Unocam
2023 : Vice-président de la Banque française mutualiste
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