Les négociations conventionnelles sont suspendues sine die. L’annonce officielle est intervenue tôt ce jeudi matin, confirmant l’information éventée la veille par Le Quotidien. Dans un message adressé aux syndicats, Thomas Fatôme, le DG de la Cnam, a pris acte de la situation, « contraint de reporter la cinquième séance multilatérale de ce jeudi 4 avril suite à la décision de certains syndicats représentant les médecins spécialistes de suspendre leur participation aux négociations ».
Sabotage
La pilule des arbitrages de la campagne tarifaire 2024 (+4,3 % pour les tarifs MCO du secteur public mais +0,3 % pour le secteur privé lucratif), ne passe décidément pas chez les spécialistes libéraux.
Quatre syndicats – Avenir Spé-Le Bloc, l’UFML-S, le SML et la FMF qui doit encore sonder ses troupes – ont ainsi affiché ce jeudi matin, lors d’une conférence de presse commune organisée à la hussarde, leur soutien au mouvement de grève totale des cliniques à compter du 3 juin, annoncé la veille par la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) pour protester contre cette campagne tarifaire, jugée inique et humiliante pour le secteur privé lucratif.
Le message des syndicats de spécialistes se voulait clair : avec cet étau tarifaire, les conditions ne sont plus réunies pour continuer à négocier sereinement. « Nous sommes déjà en train de procéder à la déprogrammation des opérations de patients en prévision du 3 juin », a expliqué le Dr Philippe Cuq, chirurgien vasculaire et coprésident d’Avenir Spé-Le Bloc, intersyndicale majoritaire parmi les spécialités de bloc. Une nécessité compte tenu de l’« attaque manifeste » faite, selon lui, contre la médecine libérale. « On veut interroger ce gouvernement, renchérit la Dr Sophie Bauer, présidente du SML. On ne peut pas claironner partout que l’accès aux soins pour tous est la priorité et de l’autre saboter sciemment une prise en charge de proximité qui est faite dans les territoires par les cliniques privées ».
Cette rébellion commune a été montée « en moins de 48 heures, du jamais vu », insiste le Dr Jérôme Marty, généraliste et président de l’UFML-S. « Il ne sert à rien de discuter des tarifs quand nombre d'établissements privés risquent de disparaître », ajoute-t-il. Selon la FHP, la part d'hôpitaux privés en déficit, déjà passée de 25 à 40 % entre 2021 et 2023 pourrait atteindre 60 % en 2024.
Un report, des conséquences incertaines
Signe que l’heure est grave, les syndicats contestataires en appellent directement au Premier ministre et au président de la République. Plusieurs d’entre eux ont confié que ce n’est pas avec la Cnam, le ministère de la Santé (qu’Avenir Spé rencontrait cet après-midi), ni même avec Bercy que l’avenir des médecins libéraux se joue, mais bien au plus haut sommet de l’État. Le bras de fer est donc engagé pour parvenir à réévaluer les tarifs de l’hospitalisation privée avant la date butoir du 3 juin et la décision d’arrêt d’activité des cliniques (sauf les actes vitaux, comme les dialyses et chimiothérapies, et les maternités).
Une conférence de presse conjointe de la FHP et des syndicats de spécialistes libéraux frondeurs devrait intervenir « d’ici une dizaine de jours » pour expliquer aux patients les raisons de la colère et du mouvement de grève des soins. « Avec des tarifs aussi bas, veut-on sciemment faire disparaître le secteur libéral ? », assène le Dr Patrick Gasser (Avenir Spé-Le Bloc) qui demande « une réponse nette du sommet de l’exécutif ». Tous ont toutefois insisté sur le fait qu’une voie de passage reste possible. « Notre action n’est pas dirigée contre les négociateurs de l’Assurance-maladie et notre participation aux discussions n’est que suspendue », explique le Dr Gasser.
« Chacun pour sa pomme ? », tacle la CSMF
Reste que ce coup de théâtre plonge les négos dans l’incertitude. Quid des généralistes ? Des spécialités cliniques les plus mal loties ? Le DG de l’Assurance-maladie a aussitôt déploré « le retard pris dans l’aboutissement des négociations avec les médecins libéraux ». Quant au ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, il regrette lui aussi cette interruption et appelle à ne pas « mettre en péril » les progrès vers une meilleure rémunération des professionnels et en faveur de l'accès aux soins. Il affirme au passage que l’État a avancé des « propositions très signifiantes » de revalorisation et promet de rencontrer bientôt aussi les représentants des cliniques.
Placés eux aussi devant le fait accompli, les syndicats médicaux qui n’étaient pas présents à la conférence de presse de jeudi matin n’ont pas caché leur malaise, voire leur irritation. « Non invitée », la CSMF ne mâche pas ses mots. Si la centrale polycatégorielle affiche son soutien au mouvement de grève des cliniques, son président, le Dr Franck Devulder, déplore les « postures » de certains syndicats de spécialistes qui « pénalisent les pédiatres, psychiatres, endocrinologues, généralistes qui pour la plupart n’exercent pas à l’hôpital public ou privé ». « On se bat pour un choc d’attractivité pour ces spécialités cliniques au bas de l’échelle des revenus. Et là, le message envoyé par Avenir Spé et les autres est qu’on fait fi de leurs attentes », s’agace le gastroentérologue de Reims au Quotidien. La Dr Nadia Simon, vice-présidente des Généralistes-CSMF, tire à boulets rouges sur ceux qui ont décidé de prendre « en otage toutes les spécialités médicales qui attendaient beaucoup de cette négociation, et tout particulièrement les spécialités cliniques (…) ». La généraliste déléguée à l’exercice coordonné redoute que « l’on soit entré dans l’ère du “chacun pour sa pomme” ».
De son côté, MG France refuse à ce stade de mettre de l’huile sur le feu. Contactée ce jeudi par Le Quotidien, sa présidente, la Dr Agnès Giannotti, dit « comprendre les difficultés des spécialistes » exerçant dans les cliniques privées. La généraliste parisienne « prend acte » de cette suspension mais réclame une reprise rapide des pourparlers pour que « soit rapidement débloquée cette situation délétère qui menace gravement l’accès aux soins de la population ».
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