La mobilisation unitaire des médecins libéraux le 13 octobre a sans doute pesé au Sénat lors de l'examen de la proposition de loi Valletoux visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels. Tout comme la volonté d'apaisement exprimée par Aurélien Rousseau, et relayée dans nos colonnes. Les sénateurs de la commission des affaires sociales ont en tout cas préféré la voie du compromis avec les médecins, en amendant plusieurs mesures qui inquiétaient fortement la profession.
Première et non la moindre : la suppression du rattachement « automatique » des soignants aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), mesure décriée par les praticiens. Selon la sénatrice LR Corinne Imbert, rapporteure de ladite commission, ce dispositif est « contreproductif » car « susceptible de décourager les acteurs de s’investir dans ces collectifs de libéraux », créés en 2016. Le risque était aussi de créer des « coquilles vides », a admis la rapporteure. Lors du débat à l'Assemblée, la majorité présidentielle avait pourtant insisté sur la nécessité d'adresser « un signal politique » pour accélérer le maillage de ces structures dans tout le territoire, avec en ligne de mire l'objectif de 1 000 CPTS fixé par Emmanuel Macron d'ici à fin 2023.
Responsabilité partagée de la PDS-E
Les sénateurs de la commission ont ensuite réexaminé la question de la permanence des soins. Sous l'impulsion de la rapporteure, ils ont supprimé l’article ambigu qui visait à rétablir une obligation de participer aux gardes, jugeant « très incertaine » la portée juridique de ces dispositions et « précipitée » une nouvelle modification du cadre juridique de la PDS.
En revanche, une autre mesure sensible sur le « rééquilibrage » de la permanence des soins en établissement (PDS-ES) n'a été que légèrement amendée. Le texte prévoit que tous les établissements de santé – publics comme privés – ainsi que leurs praticiens peuvent être appelés par le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) pour assurer ou contribuer davantage à la permanence des soins (nuit et week-end), si nécessaire. L'article assume de vouloir permettre une contribution accrue des cliniques alors que le secteur public assume 82 % de la PDS en établissement. Corinne Imbert a introduit le principe de « gradation du processus », « avec une responsabilité des établissements avant celle de leurs praticiens ».
Exit l'indicateur territorial
Les sénateurs ont supprimé d'autres articles comme celui qui donnait le feu vert aux maisons de santé et aux cabinets libéraux d'avoir des fonctionnaires territoriaux. Exit aussi l'indicateur territorial de l’offre de soins, introduit à l’Assemblée pour évaluer la densité de l’offre de soins et donc faciliter la régulation. « Il existe déjà de nombreuses données statistiques qui permettent de documenter précisément les inégalités d’accès aux soins », a recadré la sénatrice.
Autre correctif bienvenu pour les jeunes, la commission a écarté l’article qui prévoyait que les offres de stage en zone sous-dense soient systématiquement les premières à être pourvues dans le cadre d’attribution des stages de la 4e année de DES de médecine générale. « Ces dispositions sont difficilement applicables au regard des modalités de répartition habituelles des stages de troisième cycle », se défend la commission.
Durcissement de l'intérim
Les sénateurs ont souhaité renforcer les mesures visant l'intérim médical. Alors que l'Assemblée a prévu l'interdiction de ce mode d'exercice « en début de carrière » (aux professionnels médicaux et paramédicaux, que ce soit dans les hôpitaux, les Ehpad ou les laboratoires de biologie), pour une durée fixée par décret, la commission des affaires sociales est allée plus loin. Elle fixe un encadrement de l’exercice intérimaire pour l’ensemble des professionnels, à tout moment de la carrière, de sorte que l’intérim ne puisse pas être un mode d’exercice à plein temps.
La commission a par ailleurs voté un amendement réduisant à trois mois (au lieu de six) le délai de préavis que les professionnels doivent communiquer à l’ARS et à l’Ordre avant leur cessation d'activité, sauf « cas de force majeure ». Les sénateurs ont jugé ce délai de six mois « inadapté aux contraintes pouvant peser sur les professionnels et à la situation des salariés ».
Pas d'attaque sur la liberté d'installation
Mais surtout, alors que le sujet avait fait l'objet de vifs échanges à l'Assemblée nationale, la commission a écarté un amendement coercitif porté par dix sénateurs des groupes LR, Union centriste et des Indépendants, visant à réguler l'installation des médecins dans les zones surdotées. Ce texte voulait introduire le principe du conventionnement sélectif (sur le schéma d'un départ pour une arrivée). Il n'y a donc pas eu de nouvelle attaque, à ce stade, sur la liberté d'installation.
Le texte adopté par la commission sera examiné la semaine prochaine en séance publique au Sénat, avant commission mixte paritaire et recherche d'un compromis définitif.
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