En près de quarante ans de carrière, la Dr Martin*, psychiatre installée à Auxerre (Yonne), dans l’est de la France, a été de nombreuses fois confrontée à des comportements inadaptés de la part de certains de ses patients. « La plupart du temps, c’était du registre de la séduction, de la drague, indique la spécialiste aujourd’hui âgée de 71 ans. Comme je suis à la campagne, on m’offrait souvent des petits cadeaux : des fruits, des légumes du jardin ou encore des bouquets de fleurs. Un jour, un patient m’a même offert un maillot de bain », se souvient-elle.
En psychiatrie, ces comportements seraient assez courants, explique-t-elle. « Tous mes confrères psychiatres ont un jour été exposés à ce genre de situations. Les hommes aussi se font draguer. Notre patientèle est un peu particulière, on sait en plus qu’il peut y avoir des transferts en psychiatrie. Mais dans la mesure où le patient arrête lorsqu’on dit stop et qu’on remet les pendules à l’heure, cela ne pose pas de problèmes, on est habitués. »
Harcelée jusqu’à son domicile
Mais dans certains cas, notamment lorsque les patients souffrent d’érotomanie, la situation peut rapidement dégénérer. C’est ce qui est arrivé à la Dr Martin* dans les années 1990, lorsqu'elle a été victime de harcèlement sexuel de la part de deux de ses patients. « Le premier était un homme qui, au départ, ne présentait pas de signes de délire, mais qui en a développé par la suite. Il avait trouvé mon adresse et venait chez moi à vélo, proférait des propos à connotation sexuelle, et m’avait même dit qu’il avait ramassé des vipères qu’il gardait dans son frigo pour moi – une symbolique évidemment sexuelle », raconte-t-elle. Malgré cela, la Dr Martin* continue de suivre son patient par éthique professionnelle jusqu’à ce que sa pathologie s’aggrave et qu’il se fasse finalement hospitaliser. « Il ne m’effrayait pas, c’était clairement un délire. Si j'avais dû continuer à le suivre, je l'aurais fait », confie-t-elle.
Je me suis demandé jusqu’où cette histoire irait
Dr Martin*, psychiatre libérale à Auxerre
Finalement, l’épisode le plus traumatisant pour la psychiatre est survenu quelques années plus tard, avec un « jeune homme très perturbé ». « Il était psychotique et faisait clairement une fixation sur moi, confesse-t-elle. Comme mon cabinet est situé à mon domicile, il savait où j’habitais. La nuit, il venait devant chez moi et criait mon nom. Il proférait également des propos sexuels très explicites à mon égard du type “je vais te baiser”. À l’époque, mon fils était encore petit, ce qui rendait la situation très difficile à gérer. Un jour, il est même allé jusqu’à esquinter une voiture en pensant que c’était la mienne », se remémore-t-elle.
Très inquiète de la situation, la médecin redouble alors de vigilance : « J’étais tout sauf tranquille, je me disais : “qu’est-ce qu’il va me faire la prochaine fois, jusqu’où va-t-il aller ?” On ne sait jamais ce qui peut leur passer par la tête. Quand je sortais de chez moi, je regardais à droite et à gauche pour m’assurer qu’il n’était pas dans les parages ».
Devant cette situation, la Dr Martin* décide d'arrêter de le prendre en charge. « C'était devenu ingérable, reconnaît-elle. Les choses se sont finalement apaisées lorsqu'après un passage à l'acte, il a été hospitalisé. L'un de mes collègues psychiatres de l'époque lui a alors ordonné de cesser de me harceler, en le menaçant de l'enfermer définitivement s'il persistait. »
Précautions
Si jusqu'à présent, la psychiatre se considère « chanceuse » de n'avoir été victime « que » d'agressions verbales, elle a néanmoins pris des précautions pour renforcer la sécurité de son cabinet. « À l'époque, j'avais un système d'ouverture où les patients entraient directement dans la salle d'attente en sonnant à l'interphone. Maintenant, c'est moi qui leur ouvre personnellement. J'ai également installé un bouton d'alarme sur mon bureau, en pensant que cela pourrait dissuader certains patients. »
Point positif, depuis qu’elle est en pré-retraite, la psychiatre ne ressent plus « ce sentiment d’insécurité qu’elle a pu ressentir autrefois ». « Je suis en cumul emploi-retraite depuis 6 ou 7 ans, et durant cette période, je n’ai accepté aucun nouveau patient. Je connais très bien ma patientèle, qui est désormais composée à 90 % de femmes. Il faut bien l’admettre, on est généralement moins importunée par les patientes que par les patients. »
Le harcèlement sexuel, risque professionnel majeur selon l’OMS
L’histoire de la Dr Martin fait écho à une récente étude mondiale, qui montre que les femmes médecins sont particulièrement exposées au harcèlement sexuel dans le cadre de leur travail. Ainsi, 52,2 % d'entre elles ont déjà subi du harcèlement sexuel de la part de patients, contre 34,4 % des hommes. Depuis plusieurs années, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) plaide pour classer le harcèlement sexuel comme un risque professionnel majeur.
*Son nom de famille a été modifié
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