LE QUOTIDIEN : La Cour des comptes vient de rendre un rapport en forme de réquisitoire sur la formation médicale continue. Seul un médecin sur sept a satisfait à son obligation de DPC sur le dernier cycle triennal. Comment expliquez-vous ce mauvais résultat ?
MICHÈLE LENOIR-SALFATI : Je le relativise ! La Cour s’est fondée sur les données transmises à l’Ordre des médecins par les financeurs, dont l’ANDPC. Or, quand on lit de façon attentive son rapport, la Cour relève que, hormis notre agence, qui prend en charge les médecins libéraux, les autres organismes sont bien en peine de donner complètement leurs chiffres…
Les médecins libéraux bénéficient en effet de la retranscription automatique de leurs actions dans le document de traçabilité transmis à l’Ordre. Quant aux médecins salariés, hospitaliers ou du secteur privé, leurs formations prises en charge par les employeurs ne sont pas déclarées automatiquement dans le document de traçabilité, ou transmises par un autre moyen à l’Ordre. Cela donne cette impression d’une profession qui s’engage peu ou qui se forme peu. Je suis convaincue que si on avait pu collecter toutes les données des financeurs, on aurait eu bien plus d’un médecin sur sept ayant rempli son obligation de DPC. C’est un axe d’amélioration.
L’échec s’explique donc d’abord à cause des médecins qui ne déclarent pas ?
C’est un fait : tout le monde ne déclare pas sur notre site. À part les médecins libéraux, les autres praticiens doivent faire une démarche volontariste, créer leur compte, saisir les données et il est probable qu’ils ne l’ont pas fait. Nous devons faciliter cette procédure de déclaration. C’est pourquoi nous allons renouveler notre proposition qui consiste à permettre à l’ensemble des professionnels – y compris ceux que nous ne finançons pas, c’est-à-dire les salariés et les hospitaliers – de s’inscrire via notre site. Notre système d’information leur permettrait de bénéficier de la même fluidité de déclaration auprès de l’Ordre. Nous attendons « un go politique » afin de pouvoir consolider les données et démontrer le véritable engagement des médecins.
Plutôt que de construire un immeuble, on ajoute un étage !
La Cour propose de supprimer l’obligation de DPC au profit de la nouvelle certification périodique. C’est une bonne idée ?
En l’état de la certification périodique, ce n’est pas une bonne idée. Pourquoi ? La Cour déplore elle-même que ce dispositif place au même niveau une offre de formation avec des garanties de qualité et d’indépendance, et des actions qui ne bénéficient d’aucun contrôle. Ensuite, en mettant en avant la participation aux congrès, la certification périodique fait un retour en arrière par rapport aux problématiques de liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. La Cour dit qu’il faut être plus exigeant et faire évoluer la certification périodique. Les référentiels ainsi que le financement devront être harmonisés.
Dans la perspective d’une refonte de la formation continue des médecins, l’Agence défend toujours la même position, celle de faire du DPC une brique socle obligatoire de la nouvelle certification périodique. Pour les médecins, il n’y aura pas une double obligation ! Il suffit d’intégrer aux référentiels de certification le fait que, tous les trois ans, un médecin doit avoir rempli deux actions de DPC prévues dans les orientations prioritaires. Plutôt que de construire un immeuble, on ajoute un étage !
Quelle que soit la décision politique par rapport à l’obligation du DPC, l’Agence – dont le rôle est conforté par la Cour – est prête à apporter toute son expertise au nouveau dispositif de certification périodique.
La qualité de certaines actions de formation est mise en cause. Est-ce une source d’inquiétude de votre côté ?
Oui. En 2023, l’Agence a refusé un tiers des actions déposées par des organismes de DPC. Certaines ne rentrent pas dans les orientations prioritaires ou ciblent n’importe quel public pour n’importe quel contenu. Il n’est pas si rare par exemple de voir que, pour la prise en charge de personnes âgées en Ehpad, certains organismes cochent les pédiatres et les auxiliaires de puériculture…
En fait, l’essentiel des problèmes porte sur la maîtrise des diverses méthodes de DPC. Pour l’audit clinique par exemple, une méthode d’évaluation des pratiques professionnelles, certains organismes ne savent pas construire les critères. D’autres ne savent même pas que cela doit se faire en référence à des pratiques cliniques. Jusqu’à présent, nous avons passé beaucoup de temps à contrôler et à refuser des actions et c’est normal. Nous allons passer à la phase de l’accompagnement pour aider les organismes.
Comment s’assurer que les formations prodiguées présentent toutes les garanties d’indépendance par rapport aux laboratoires ?
L’Agence demande systématiquement la déclaration d’intérêt des concepteurs et intervenants. Notre rôle est de vérifier que le contenu de la formation ne subit pas les influences des laboratoires. C’est par le contrôle a priori de chaque action que nous décelons les conflits d’intérêts. Je pense que, parmi toute l’offre proposée, c’est sans doute celle de l’Agence qui est la plus exempte de conflit d’intérêts. Mais il faut encore progresser. Nous y travaillons avec le Haut Conseil du DPC, notamment sur la participation aux congrès que nous ne reconnaissons pas pour l’instant comme une action validante, à cause du financement par l’industrie. Cela agace les médecins car les congrès sont des lieux habituels où ils vont se former notamment les spécialistes. C’est une vraie question.
Au fond, cela soulève le problème du financement de la formation continue des médecins. Souvenez-vous ! Le DPC a été inscrit dans la loi à la suite des Assises du médicament, animées par Édouard Couty. Ce dernier avait imaginé une taxe sur les produits pharmaceutiques pour financer des contenus de formation indépendants. Cette solution était envisagée et même inscrite dans le PLFSS 2012. Mais cela n’a pas été suivi d’effet. Dans un contexte économique tendu, c’est certainement une idée à relancer. Ce serait une vraie décision politique.
Vous avez mis en place un dispositif de signalement des irrégularités des organismes de DPC. Quel est ce bilan ?
Il y a très peu de signalements sur le contenu des actions. Dès que nous en sommes informés, nous désenregistrons immédiatement l’organisme de DPC. C’est le cas récemment d’une formation qui devait porter sur la prise en charge des douleurs chroniques. En fait, elle était orientée sur l’homéopathie, où il y avait d’ailleurs des conflits d’intérêts avec le laboratoire Boiron. Dans ce cas précis, nous avons porté plainte auprès du procureur de la République. L’organisme a été jugé au tribunal d’Albi et ses dirigeants condamnés pour escroquerie.
Aujourd’hui, l’essentiel des signalements concernent l’usurpation des comptes et la fraude d’organismes qui essaient d’être payés pour des actions non réalisées. À la suite de signalements, quatre organismes ont été désenregistrés en 2023, quatre autres vont l’être en 2024. Une dizaine de structures sont sous surveillance parmi lesquelles des grosses sociétés commerciales qui se livrent à des comportements frauduleux. Grâce à ces signalements, nous avons déjà réclamé 1,2 million d’euros d’indus sur les neuf premiers mois de 2024. Pour éviter ce type de fraude et protéger les comptes et données, l’Agence va passer à une solution d’authentification forte en 2025 sur les comptes de type France connect.
Enfin, je tiens à rappeler aux médecins que l’ANDPC ne les appellera jamais pour leur dire de s’inscrire à la moindre action. Lorsqu’ils sont sollicités par des sociétés, ils ne doivent jamais donner l’identifiant et le mot de passe de leur compte DPC.
Comment jugez-vous la situation financière du DPC ? Craignez-vous un effet inflationniste avec la certification périodique ?
Cette année, la dotation de toutes les professions tourne autour de 240 millions d’euros dont environ 86 millions d’euros pour les médecins. Mais entre le financement des orientations prioritaires du DPC, les formations relatives aux nouvelles compétences des pharmaciens et des infirmiers ou encore l’appui que veut donner la Cnam à l’axe « pertinence des soins », le budget est serré et on peut craindre, effectivement, une tension budgétaire à cause de la certification périodique.
Comme le suggère la Cour, nous travaillons à revoir le mode de financement notamment celui du e-learning qui est aujourd’hui payé comme du présentiel. Or, pour les ODPC, c’est de l’investissement puis de l’amortissement donc au bout d’un nombre d’inscrits, on ne devrait plus les payer à taux plein. Nous discutons aussi avec les représentants des professionnels sur le périmètre des indemnisations. Il s’agit de savoir si l’indemnité sert à valoriser l’engagement ou à compenser une perte de revenus. Aucune décision n’est prise. Mais si on réduisait le périmètre des indemnités compensatrices de toutes les professions de santé, on pourrait gagner environ 30 millions d’euros.
Vous avez fait l’objet fin avril d’une plainte pour harcèlement moral dans le cadre professionnel par une ancienne salariée de l’agence. Où en est cette affaire ?
Je vais déposer prochainement une plainte pour dénonciation calomnieuse auprès du procureur de la République. Mon regret est que cela soit relayé par la presse. Le personnel de l’Agence a été ulcéré par ce qu’il s’était passé. Grâce à son soutien, je continue mon action et je suis rassurée sur ma pratique et mes relations avec l’ensemble des salariés qui y travaillent parfois dans un contexte politique complexe.
Repères
1993 : Responsable de formation au sein du Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière et auditrice qualité
1999 : Responsable de la mission formation puis cheffe du service certification des établissements de santé à l’Anaes et la HAS
2010 : Adjointe au sous-directeur des ressources humaines puis sous-directrice à la DGOS
2014 à 2015 : Dirige la réforme du dispositif de DPC
2016 : Nommée directrice générale de l’Agence nationale du DPC
2022 : Fonction de DG renouvelée jusqu’en 2025
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