La comparaison est du ministre de la Santé Aurélien Rousseau : souffler « article 51 » dans l’oreille d’un médecin, cela revient à murmurer « ARS » — agence régionale de santé. Effet épouvantail immédiat. Pourtant, derrière cette dénomination improbable se profile l’organisation du système de santé de demain. Et trois (r)évolutions au long cours : passer d’une logique de médecine individuelle à celle d’équipe de soins au service de parcours coordonnés renforcés ; du curatif au préventif et du paiement à l’acte aux rémunérations forfaitaires.
2024 constitue une année charnière. Depuis le vote de l’article 51 du budget de la Sécu pour 2018, les professionnels de santé volontaires engagés dans la création de parcours de soins coordonnés ont bénéficié de financements régionaux dérogatoires pour mener à bien leur projet d'innovation en santé. En cinq ans d'existence, 144 expérimentations ont été autorisées par les pouvoirs publics, chacune bénéficiant d’une enveloppe pour majorité forfaitaire, d’un accompagnement et d’une évaluation au fil de l'eau. Environ 1,2 million de patients souvent fragiles (précaires, seniors, enfants) ont bénéficié d’un suivi pluridisciplinaire et personnalisé dans des champs divers (perte d’autonomie, handicap, cancer, polypathologies).
Casse-tête
À partir de l'an prochain, ces projets innovants portés à bout de stéthoscope par des équipes hospitalières, libérales ou issues du secteur médico-social, vont entrer dans une phase de généralisation. Jusque-là dérogatoire, leur financement doit basculer dans le droit commun (à la faveur de l’article 22 budget de la Sécu 2024). Objectif : passer de 144 enveloppes régionales saupoudrées aux quatre vents à des budgets nationaux calibrés par parcours et non par projet.
Le chantier — mené par le ministère de la Santé et la Cnam — s’annonce dantesque. Il doit sanctuariser les projets ayant fait leurs preuves et mettre fin à d’autres qui, dans leur phase expérimentale, n’ont pas porté leurs fruits. Le gouvernement a déjà porté son dévolu sur quatre parcours : l’obésité pour les patients en échec thérapeutique, la rééducation cardiaque en ville ; la rééducation respiratoire à domicile ; et les troubles du langage et de l’apprentissage chez les enfants.
Côté casse-tête, la construction du portefeuille sur l’obésité est un cas d’école. Dix expérimentations très différentes ont été poursuivies, comme Proxob en Auvergne-Rhône-Alpes (suivi à domicile de l’enfant), Pralimap en Guadeloupe (prise en charge d’une classe de 4e) ou Emno en Bourgogne-Franche-Comté (association de consultations individuelles et éducation thérapeutique numérique de l’adulte). De dix cahiers des charges, il faudrait n'en faire qu’un, auquel de nouveaux soignants pourront se référer s’ils souhaitent se lancer dans l'aventure.
Sorties rocambolesques
Les parcours qui apportent une réponse à la désertification médicale sont également plébiscités pour la généralisation. L'expérimentation bretonne OsyS, qui autorise des pharmaciens d'officine à apporter une réponse à des situations relevant du premier recours (cystites, angines, petits maux) va être étendue au Centre-Val de Loire, à l’Occitanie et à la Corse. « Ce projet est porté par l’URPS pharmaciens avec l’accord de l’URPS médecins, explique Natacha Lemaire, chargée du dossier au ministère de la Santé. C’était important de ne pas froisser ces derniers, d’autant que l’expérimentation a été prolongée en début d’année, au pire moment des précédentes négociations conventionnelles. Sur le coup, ça n’a pas aidé ».
Autres idées de terrain gagnantes : celles qui bâtissent des ponts entre la ville et l’hôpital. À Besançon et Angers, des équipes œuvrent pour prévenir la perte d'autonomie de patients après une hospitalisation. Le domicile est sécurisé sept jours sur sept, de 7 heures à 21 heures, durant une période allant de cinq jours à un mois. But de la manœuvre : éviter « les sorties hospitalières rocambolesques » et réduire de 20 % les chutes à l’origine de réhospitalisations, délétères et onéreuses, témoigne Astrid Nier, en charge du projet Eliad. « Le patient, l'hôpital, la Sécu, tout le monde y gagne ! témoigne l'infirmière de formation. Nous aussi, en étant payés au forfait plutôt qu'à l'acte : on ne compte pas notre temps ».
Modèle boiteux
Si les projets les plus imposants (Équilibres, un paiement au temps passé pour des soins effectués par 160 infirmiers à domicile auprès de 20 000 patients, ou Onco'Link, un suivi à distance par 34 hôpitaux et des centaines de libéraux de patients sous anticancéreux oraux) et les plus éprouvés dans le temps (DiVa, un suivi intensif des AVC par des équipes pluridisciplinaires mixtes ville/hôpital, relancé en novembre) tirent leur épingle du jeu, d'autres ne passeront pas la barre de la généralisation. Mauvaise clé de répartition budgétaire, statut juridique bloquant, cohorte surdimensionnée, modèle économique boiteux, cahier des charges incertain, absence d'adhésion des acteurs : les raisons d'échec sont légion.
C'est le cas du forfait de réorientation des urgences (FRU) pensé en 2016 par Olivier Véran, consistant à accorder 60 euros à l'hôpital pour chaque patient non examiné renvoyé vers la ville, une initiative curieuse qui avait mécontenté les médecins libéraux à l'époque. Ce dispositif, moins pertinent aujourd'hui avec le déploiement du service d'accès aux soins universel (SAS), vit ses dernières heures.
D'autres innovations ont capoté. Lancé en 2019, le projet Di@pason entendait impliquer la biologie délocalisée (mesure de l’INR par un prélèvement capillaire via un laboratoire de poche connecté) dans le suivi de 10 000 patients chroniques sous AVK, à domicile ou en Ehpad. Une ambition qui s'est soldée par un requiem en mai. Déployés en Île-de-France, les centres de soins ostéoarticulaires ambulatoires de la MGEN n'ont pas plus convaincu. « Quand les résultats ne sont pas au rendez-vous, on arrête, tranche Natacha Lemaire. C'est toujours un enseignement pour la suite. »
Cette réforme du système de santé par l'innovation organisationnelle et financière semble ainsi au milieu du gué. Certes, en 2023, les projets ayant passé le cap de l'évaluation finale sont plus nombreux que les recalés. Mais sur les 144 parcours autorisés, 127 sont encore en phase de déploiement (et seulement 14 sont terminés). La révolution devra attendre.
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