Le flot de réponses des praticiens à l’appel à témoignages du Quotidien, dans le cadre de la grève du 13 octobre, prouve, s’il en était besoin, la réalité du ras-le-bol, voire de l’exaspération de la profession. À des degrés certes divers mais toutes spécialités et générations confondues.
Il y a celles et ceux qui affirment tout de go que la question tarifaire est le principal moteur de leur volonté de cesser leur activité. « La rémunération indécente des généralistes est mon but dans cette grève. L’irrespect et la maltraitance de l’État à notre encontre sont révoltants », témoigne depuis la Nièvre la Dr Frédérique Jacquemin. « En grève pour la revalorisation des honoraires. Les charges flambent, la paperasse prend un temps fou. Depuis quelques années, travailler plus pour gagner moins, ça suffit ! », renchérit sa consœur normande, la Dr Ève Labarre, installée à Pont-Audemer. Manifestement, l’échec des négociations conventionnelles et le règlement arbitral qui a accordé une revalorisation de 1,50 euro reste difficile à digérer. « Une aumône », peste un confrère généraliste sur notre site.
D’autres, en sus du combat tarifaire, listent leurs griefs pêle-mêle, « la crainte de dérives concernant la délégation des tâches », les « menaces de contraintes supplémentaires sur l’exercice libéral » le « mépris de la CPAM et de l’ARS voire de nos dirigeants politiques, la dégradation de nos conditions de travail ».
« On nous prend pour des billes »
Ce sentiment de « maltraitance » – un terme fort, parfois utilisé – et surtout de manque de reconnaissance conduit des novices de la grève à rejoindre le combat. « Le gouvernement nous prend pour des billes, fulmine ce confrère anonyme. Il y a encore deux ans, on nous applaudissait pour avoir soigné les patients malgré le Covid et là, on nous donne un os à ronger : 1,50 euro brut moins 70 % faites le compte… En 34 ans d'exercice libéral je n'ai jamais fait grève, mais là, stop… Je ferme le cabinet du 13 au 15 ».
Naturellement, au palmarès des raisons de la colère, la proposition de loi (PPL) sur l'accès aux soins portée au Parlement par le député (Horizons) Frédéric Valletoux figure en bonne place, avec son possible lot de contraintes sur les gardes ou l'organisation. « Cette loi Valletoux est une menace pour l’exercice libéral. Les médecins n’ont pas à faire les frais de la mise à mal de l’hôpital public », explique un autre médecin.
« Remettre les ronds de cuir à leur place »
Le mécontentement s'exprime aussi chez les spécialistes, à l'heure où leurs syndicats ont relayé l'appel à la grève. « En libéral, si on ne travaille pas 50 heures, difficile d’avoir des revenus décents, avec l’importance des charges fixes ! Et avec la fatigue et l’épuisement, bien difficile de travailler à ce rythme toute sa carrière ! Le temps d’écoute, l’empathie sont pénalisés », confie la Dr Myriam Voet, psychiatre dans le Jura, qui fera grève, « même si en retraite en fin d’année ».
Ce spécialiste ORL, pourtant en colère, ne rejoindra pas le mouvement de grève, estimant que cela revient à « se tirer une balle dans le pied car il faudrait ensuite rattraper ce retard et recaser tous les patients ». Mais il se prend à rêver de moyens d’action radicaux comme « arrêter tout versement à l'Urssaf ». « Je pense que des résultats seraient très rapidement obtenus… N'oublions pas que c'est nous, médecins, qui travaillons, produisons et avons le pouvoir, avec un minimum de concertation, de remettre ces administratifs et autres ronds de cuir à leur place ».
Jeune génération désabusée ?
Sans doute plus inquiétant pour l’avenir de l’exercice, les jeunes médecins semblent parfois rattrapés par ce désenchantement. « Je suis interne en dernier semestre de médecine générale, raconte ce junior. Les raisons pour lesquelles je ferai grève sont l'augmentation des contraintes sur l'exercice libéral et la dégradation des relations avec l'Assurance-maladie (qui) ne cesse de prendre les médecins pour des pions avec des mises sous objectifs [de prescriptions] qui n'ont pas toujours de sens ».
« Nous sacrifions nos vies pour ce métier et au final pour quoi ?, alerte la Dr Mélanie Chastel, jeune généraliste installée à Aubagne. Alors, entendre que nous sommes des nantis corporatistes qui gagnons 8 000 euros par mois… Je ne gagne pas la moitié de ça et je passe à côté de ma vie de famille. Selon l’évolution des négociations (…) j’envisage de me déconventionner ou de changer de métier dans les cinq ans à venir ».
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