Négociations conventionnelles

Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam : « Notre copie va bouger »

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Publié le 07/03/2024

Au terme d’une semaine de réunions bilatérales avec les syndicats et avant la prochaine séance plénière du 14 mars, le directeur général de l’Assurance-maladie annonce au Quotidien qu’il est prêt à améliorer ses propositions sur plusieurs points des négociations. Visites, consultations longues, psychiatrie, cumul d’actes, mécanisme d’intéressement individuel sur la « juste prescription », clauses de revoyure : Thomas Fatôme promet des avancées mais rappelle le caractère « substantiel » des revalorisations et prévient les syndicats sur les « conséquences » d’un échec.

Crédit photo : ISA HARSIN/SIPA

LE QUOTIDIEN : Le 8 février, vous avez présenté une série de propositions en vue d’un accord global, incluant la consultation de référence à 30 euros. La plupart des syndicats de médecins libéraux ont jugé que le choc d’attractivité n’était pas au rendez-vous. Croyez-vous qu’un accord soit encore possible ?

THOMAS FATÔME : Nous avons mis sur la table des propositions très fortes. Je reste sur la logique d’un accord sur tout ou sur rien mais cela ne veut pas dire que ces propositions sont à prendre ou à laisser ! Notre copie va bouger, nous allons améliorer et préciser nos propositions pour la séance du 14 mars.

Conformément au mandat que m’ont confié les ministres Catherine Vautrin et Frédéric Valletoux, je reste déterminé à trouver les voies d’un accord. Mais j’invite aussi les syndicats à continuer à faire des propositions et à mesurer les conséquences éventuelles d’un échec. Quand on parle de propositions d’évolution de + 20 % sur certains honoraires, quand on se dit prêt à investir 700 millions sur le tarif de la consultation, le signal est déjà fort ! Et ce n’est qu’une brique de l’investissement global.

Mais les syndicats parlent plutôt de « rattrapage » au regard de l’inflation et du blocage des tarifs…

Ces propositions tarifaires sont en effet une réponse aux années de forte inflation, même si on ne peut pas faire comme s’il ne s’était rien passé depuis 2017. Mais avez-vous déjà vu beaucoup de secteurs ou de professions – salariés, indépendants, fonctionnaires – pour lesquels on parle d’échelle de revalorisation comprise entre 10 et 20 % ? C’est aussi cela que chacun doit apprécier.

Les syndicats contestent le calendrier flou des revalorisations et les contreparties exigées. Pouvez-vous apporter des éclaircissements ?

Sur les contreparties, je veux dissiper un malentendu. Nous ne rejouons pas le match du contrat d’engagement territorial avec des objectifs individuels. Nous souhaitons que la profession s’engage collectivement sur des améliorations chiffrées en matière d’accès aux soins et de pertinence. Les syndicats demandent un suivi très rapproché de la convention, il faut le faire au minimum chaque année et pas seulement au niveau national. Ils suggèrent des clauses de revoyure ? Oui, j’y suis prêt également. Nous avons deux chemins à tracer, celui des mesures financières et celui des engagements, et le calendrier fera partie des discussions finales. Mais il est important en amont de converger sur l’équilibre général de l’accord.

Avez-vous déjà vu beaucoup de secteurs ou de professions pour lesquels on parle d’échelle de revalorisation comprise entre 10 et 20 %  ?

Mais envisagez-vous pour les médecins des mécanismes de retour sur investissement au fil de l’eau liés à la réalisation des objectifs de qualité et de pertinence des soins ?

Oui. Sur les quinze programmes communs de qualité et de pertinence des soins [IJ, produits de santé, imagerie, IPP, examens, bizone, etc., NDLR], basés sur objectifs de santé publique, les engagements sont collectifs mais nous souhaitons instaurer des mécanismes d’intéressement de juste prescription, comme pour les biosimilaires et lorsque cela a un sens. Les médecins ont une partie des cartes en main. Moins d’antibiotiques, c’est moins d’antibiorésistance et moins de dépenses. Moins de patients polymédiqués, c’est aussi moins de dépenses et plus de santé publique.

L’assiette globale dont on parle, c’est 57 milliards d’euros de dépenses de prescriptions des médecins généralistes et spécialistes. Il n’est donc pas question de faire 50 milliards d’euros d’économies, comme certains syndicats l’ont prétendu, mais des marges de manœuvre existent.

Les spécialistes jugent que le compte n’y est pas. Vous entendez cette critique ? Quid de la consultation du médecin spécialiste ?

Plutôt qu’une mesure transversale sur la consultation spécialiste, nous assumons notre approche consistant à investir significativement sur l’accès au second recours en revalorisant l’avis ponctuel de consultant [APC] mais aussi à cibler des disciplines au bas de l’échelle des revenus, comme les pédiatres ou les endocrinologues, pour réduire des écarts substantiels de rémunération. Là encore, notre copie n’est pas figée. Nous allons améliorer les mesures sur la psychiatrie et sur les cumuls d’actes cliniques et techniques. C’est un travail fin, spécialité par spécialité.

Nous avons prévu un troisième « paquet » lié aux spécialités techniques avec l’augmentation de la valeur du point travail, bloquée depuis vingt ans, l’amélioration de l’Optam [option pratique tarifaire maîtrisée] et une enveloppe dédiée à la nouvelle CCAM.

Sur quels autres points êtes-vous prêts à améliorer vos propositions ?

Nous allons compléter nos propositions, notamment sur les visites à domicile en lien avec le SAS [service d’accès aux soins] et certaines consultations longues et complexes. Nous devons aussi travailler sur la PDS-A. Enfin, nous étudions des propositions autour de certaines conditions spécifiques d’exercice ou de territoire.

Redoutez-vous un échec ?

Je le redis très clairement : cette négociation n’est pas terminée. Mais nous nous approchons progressivement de la copie finale et chacun devra mesurer l’écart entre l’accord « rêvé » et ce qui est sur la table, et surtout les conséquences en cas d’absence d’accord. Car si, pour la seconde fois, nous aboutissions à un échec alors que les propositions sont substantielles, c’est le modèle conventionnel lui-même qui serait inévitablement questionné.

Vous proposez une refonte majeure pour les médecins traitants avec un forfait individualisé par patient, allant de pair avec la suppression de la Rosp et du forfait structure. Pouvez-vous garantir qu’il n’y aura aucun médecin perdant ?

Oui, il s’agit bien d’un investissement supplémentaire. L’augmentation moyenne liée à cette refonte forfaitaire sera de 2 700 euros par an par généraliste traitant. Si vous y ajoutez qu’un tiers des généralistes exercent en zone prioritaire, et verront leur forfait bonifié de 10 %, on atteint pour eux des augmentations de 5 000 euros par an environ. Il n’est à aucun moment question de faire des économies sur ces rémunérations forfaitaires. Ce forfait sera plus lisible, avec une brique de santé publique renforcée et la reconnaissance de la prise en charge de la précarité.

Cela fait dix ans que les médecins traitants nous disent que le système est trop complexe et qu’il faut supprimer la Rosp. Nous les avons écoutés sans abandonner les ambitions de prévention et de santé publique. L’Assurance-Maladie partagera avec les médecins tous les outils de simulation individuels.

L’augmentation moyenne liée à cette refonte forfaitaire sera de 2 700 euros par an par généraliste traitant

La capitation pour les médecins de groupe volontaires figurera-t-elle forcément dans cette convention ?

Cela fait partie de l’ensemble global. Nous souhaitons élaborer un modèle attractif et surtout un cahier des charges co-construit avec les syndicats sur cette rémunération forfaitaire de groupe. Il s’agit de proposer à des équipes de médecins volontaires de basculer tout ou partie de leur activité – ALD, personnes âgées – sur une rémunération forfaitaire. Nous ne sommes pas dans une approche unilatérale. Cela répond aux aspirations de nombreux praticiens, dans les maisons de santé mais pas seulement.

Une enquête de l’UFC-Que Choisir a relancé le débat sur le secteur 2. Avez-vous l’intention de revoir les règles du jeu ?

Notre priorité est d’améliorer l’Optam, qui permet une régulation contractuelle des dépassements d’honoraires. Nous avons mis des propositions sur la table pour les spécialités concernées. Aujourd’hui, 53 % de spécialistes éligibles ont adhéré à ce contrat et le taux d’adhésion continue à augmenter. Mais l’objectif n’est pas d’ouvrir de nouveaux droits à dépassements d’honoraires.

J’ajoute qu’il est indispensable que les complémentaires participent de façon lisible, avec nous, au financement de cette négociation. Même si les règles de couverture, notamment dans le cadre des contrats responsables, ne dépendent pas du champ conventionnel.

Êtes-vous inquiet des menaces de déconventionnement collectif ? L’UFML-S recense près de 5 000 lettres d’intention…

Je rappelle l’existence dans notre pays d’un véritable renoncement aux soins pour des raisons financières, contre lequel nous luttons, notamment au travers du 100 % santé. En 2023, nous avons recensé environ 70 médecins qui se sont déconventionnés, le phénomène reste extrêmement limité. Je regrette ces décisions et, à chaque fois, je demande qu’il y ait un échange approfondi avec le médecin concerné. Sortir de la convention, c’est exposer ses patients à des inégalités profondes dans l’accès aux soins.

La situation du pays, avec la perspective d’un plan d’économies sur la santé, pèse-t-elle de façon plus forte que prévu sur ces négociations ? Envisagez-vous un plan d’économies sur les ALD ?

Le contexte financier fait partie, comme toujours, de l’équation des négociations. Nous sommes sortis de la crise Covid avec un déficit très élevé de l’Assurance-Maladie, aux alentours de 9 milliards d’euros dans les dernières prévisions, mais nous aurons les comptes définitifs pour 2023 à la mi-mars. Vous avez vu que les dernières prévisions n’allaient pas dans le bon sens. C’est d’autant plus significatif, dans ce contexte, que l’Assurance-maladie trouve malgré tout des marges de manœuvre pour des revalorisations extrêmement importantes.

Concernant les ALD, il y a un travail d’évaluation et d’expertise du dispositif engagé du côté de l’État. Avec les médecins, nous travaillons à des mesures d’accompagnement pour mieux respecter l’ordonnancier bizone.

L’idée de moduler certains remboursements en fonction des revenus est-elle pertinente ?

Pas pour moi. Je reste très attaché au fondement historique de la Sécurité sociale, basée sur le principe de solidarité : chacun participe selon ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins.

Allez-vous mettre en place une « taxe lapins » pour pénaliser les patients indélicats ?

Le Premier ministre a fixé cet objectif. Les modalités sont en cours d’instruction du côté du ministère de la Santé. Si les partenaires conventionnels doivent jouer un rôle supplémentaire, on l’assumera. À ce stade, l’Assurance-maladie a tenu son engagement, c’est-à-dire des campagnes de communication sur le bon usage du système de santé auprès des assurés, avec un volet sur les rendez-vous médicaux non honorés. Et les retours sont très positifs !

Contestation tarifaire, combien de divisions ?

Selon le patron de la Cnam, seuls « 1 500 médecins » appliquent soit directement 30 euros, soit des DE systématiques. « Le nombre reste limité, rapporté aux 50 000 généralistes et aux 110 000 médecins libéraux en exercice », explique Thomas Fatôme à propos de cette guérilla tarifaire. Les caisses ont engagé à l’été des démarches pédagogiques, une deuxième série de courriers est parfois partie vers les médecins récidivistes. « Même s’il n’y a pas de sanction à ce stade, nous suivons de près l’effet de ces courriers. Cela n’a rien d’anodin, avertit le DG. D’ailleurs, dans certains territoires, des patients ont commencé à réagir. »

Propos recueillis par Cyrille Dupuis et Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du Médecin