C’est un autre dossier délicat qui attend le futur ministre de la Santé du gouvernement Barnier : le risque de désengagement accéléré des visites à domicile par les médecins encore concernés. L’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux (URPS) Île-de-France relance en tout cas ce sujet, à la lumière d’une enquête qui traduit la lassitude de nombreux confrères (généralistes en cabinet ou au sein d’associations) et leur volonté de jeter l’éponge pour plus d’un tiers d’entre eux. Pourtant, la visite à domicile permet à la fois de maintenir les personnes âgées à domicile et de réduire significativement les passages aux urgences.
Cette activité de visite à domicile des généralistes serait même menacée de « fin programmée », avance la très active URPS francilienne qui représente 21 000 praticiens libéraux, en raison principalement de la « sous-valorisation » de ces actes mais aussi de l’épuisement des praticiens concernés.
Pour argumenter, l’URPS ML IDF s’appuie sur une enquête réalisée par courriel, au premier trimestre 2024, auprès de 974 médecins généralistes et gériatres libéraux franciliens. La démarche « a été complétée au travers d’entretiens auprès d’associations de visite et les associations de PDSA/SAS », précise l’Union.
32 patients suivis à domicile en moyenne
Premier enseignement : 72 % des généralistes libéraux en cabinet ayant répondu déclarent faire encore « régulièrement » des visites à domicile, ce qui relativise la thèse parfois relayée d’un retrait général de cette activité. En moyenne, 32 patients sont suivis à domicile dans leur patientèle. Dans 68 % des cas, le praticien réalise entre « une et cinq visites hebdomadaires » pour des patients qui sont fréquemment âgés de plus de 80 ans. Ces déplacements ont lieu très majoritairement au domicile même des patients ou en Ehpad et sont réalisés prioritairement (54 %) sur le temps déjeuner, entre midi et 14 heures.
Les patients chroniques sont visités en moyenne une fois par trimestre pour trois quarts des répondants et tous les mois pour 14 % d’entre eux. La distance moyenne entre le cabinet et le domicile des patients visités est de 4,6 km, avec un temps de déplacement de 30 minutes et un temps de consultation d'environ 45 minutes, ce qui confirme le caractère chronophage de cette activité. Les déplacements se font majoritairement en voiture (pour 65 % des généralistes), mais aussi à pied pour 20 % d’entre eux et à vélo pour 12 %.
Revalorisation requise
Mais pour « sauver les visites à domicile », un soutien financier apparaît désormais indispensable, avance l’étude. De fait, pour 96 % des médecins répondants, cette mission n'est pas correctement rémunérée. Et en ce sens, 37 % des médecins traitants installés en cabinet « envisagent d'arrêter de faire des visites à domicile dans un avenir proche », peut-on lire.
Les principales raisons évoquées ici sont le manque de reconnaissance financière et les difficultés de circulation et de stationnement, particulièrement fortes en région parisienne. « La visite à domicile permet pourtant de maintenir neuf patients sur dix chez eux, plutôt que de les hospitaliser. Il faut donc encourager la visite à hauteur de ses enjeux », insiste la Dr Valérie Briole, présidente de l’URPS ML IDF.
Au sein des associations, une lassitude également
Précision : lorsque les médecins traitants sont en incapacité de répondre à une visite à domicile, ils orientent volontiers vers les associations spécialisées dans 39 % des cas, vers le Centre 15 dans 37 % des cas ou vers les urgences dans 15 % des cas. Seuls 23 % de ces praticiens déclarent être en situation de prendre de nouveaux patients à domicile. Rares (7 %) sont les généralistes qui font des visites pour un patient en dehors de leur patientèle. Encore moins nombreux (3,4 %) sont ceux qui répondent à une demande de visite régulée par le 15…
Pour les médecins qui exercent au sein d’associations dédiées, la visite à domicile reste leur activité principale ou exclusive pour 50 % d’entre eux. Toutefois, souligne l’URPS, l’émergence des centres de soins non programmés et le développement du recours à la téléconsultation fragilisent également l’activité de visite à domicile « qui pourrait disparaître à terme » dans un contexte de vieillissement de la profession, d’insécurité et de dévalorisation de l’exercice libéral. Selon l’étude, 35 % des médecins exerçant en association de visite déclarent eux aussi vouloir « arrêter de faire des visites dans un avenir proche », ce qui traduit la même lassitude que pour les confrères en cabinet.
Éviter les hospitalisations
Pour inverser la tendance, l’URPS ML IDF propose de majorer fortement les visites « justifiées médicalement ou socialement » ; et d’appliquer le dépassement exceptionnel pour exigence du patient (DE) en visite non justifiée. Selon les médecins répondants, le bon niveau de rémunération pour une visite à domicile de jour serait compris entre 70 et 80 euros, à l’instar de la demande exprimée par SOS médecins. Le juste tarif serait de 100 € en début de nuit et 140 € en nuit profonde, contre des tarifs Sécurité actuels beaucoup plus bas (36,50 € en journée, 65 € en début de nuit et 70 € en nuit profonde). Autres préconisations de l’URPS : faciliter au maximum les déplacements des médecins et promouvoir les interventions des services sociaux d’aide à la personne pour éviter des hospitalisations.
L’intérêt de redorer le blason des visites est à la fois économique et de santé publique : passer une nuit sur un brancard lorsqu'on est âgé de plus de 75 ans augmente de 40 % la mortalité hospitalière, selon une étude dans 97 services d’urgence. Le risque de complications hospitalières est accru, ainsi que la durée moyenne du séjour, un impact délétère encore plus marqué chez les patients fragiles et dépendants. Quant au recours à une ambulance, à la demande du Centre 15, il coûte en moyenne « 300 euros » en Île-de-France, aller-retour – la prise en charge aux urgences étant évaluée en moyenne à 227 euros, soit un total moyen de 527 euros, calcule l’URPS. Bien au-delà d’une simple visite…
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