LE QUOTIDIEN : Quelles sont les raisons de cette grève unitaire qui fédère tous les syndicats de biologistes libéraux, avec le soutien des hospitaliers, et pour laquelle vous apparaissez déterminés ?
DR JEAN-CLAUDE AZOULAY : Nous avions signé l’an passé, en juillet 2023 un protocole d’accord triennal [2024-2026] pour des évolutions de dépenses autorisées avec l’Assurance-maladie, sur des bases qui se révèlent être erronées aujourd’hui. Or, ces données de base nous sont fournies par la Cnam. En résumé, il avait été convenu que nous prenions pour référence l’enveloppe 2022 – sous-consommée aux alentours de trois ou quatre millions d’euros et que cette somme serait rajoutée aux crédits 2024, ce qui nous satisfaisait. La Cnam nous avait expliqué surtout – et des documents en attestent – que la hausse des volumes resterait sur la tendance des années précédentes, aux alentours de + 2,7 %. À partir de là, nous avons accepté un protocole qui nous permettait une croissance de + 0,4 % des dépenses par an. Mais cet été, on nous a dit que ce n’était plus du tout suffisant, qu’il fallait corriger immédiatement car les dépenses dérapaient. Forcément, nous sommes très en colère et cette grève est historique.
Où est-ce que le bât blesse aujourd’hui ?
En juin dernier, lors de la commission de suivi du protocole, le DG de la Cnam, Thomas Fatôme nous a annoncé que ses services s’étaient trompés. En définitive, pour les dépenses 2022, ce n’est pas l’Assurance-maladie qui nous devait quatre millions d’euros, mais nous, les biologistes, qui devions 28 millions ! Ensuite, le directeur nous a annoncé que les volumes d’examens biologiques avaient littéralement flambé depuis janvier 2023, entre + 5,5 % et + 6,5 %. C’est pourquoi, aujourd’hui, pour contenir cet emballement, il nous demande de réaliser des économies de 120 millions d’euros sur le dernier trimestre, soit 360 millions en année pleine !
C’est énorme alors que nous avons déjà consenti une baisse de 3,5 % des tarifs en début d’année. Ce n’est pas possible de supporter ces baisses unilatérales de l’enveloppe, sauf à diminuer l’offre de soins, ce qui est hors de question. En tant que médecin je n’appuierai jamais cette décision : je rappelle que les biologistes représentent 70 % des diagnostics en médecine.
Que vous répond le directeur de la Cnam ?
Ces derniers temps, nous échangeons dans la presse par interviews interposées, mais il se réfugie derrière le protocole, en nous affirmant : “Vous l’avez signé il s‘applique”. Pour Thomas Fatôme c’est “le protocole, tout le protocole, rien que le protocole”. Il dit que les règles du jeu étaient claires depuis le début, que les biologistes sont capables d’absorber les baisses. Mais nous avons signé en étant induits en erreur, alors même que nous avons fait confiance à l’Assurance-maladie. C’est de l’insincérité et de la mauvaise foi de la part de la Cnam.
Quels sont les risques demain pour la profession et la population ?
Nous alertons depuis plusieurs mois sur le risque, pourquoi pas, d’un “shutdown” à l’américaine [arrêt des activités faute de budget, NDLR], lorsque l’enveloppe de dépenses de la biologie médicale aura été consommée. Faute de moyens, tout peut s’arrêter. Nous devrions avoir épuisé l’enveloppe dont les biologistes disposent pour 2024 vers la mi-décembre. À partir de cette date, beaucoup de laboratoires de ville pourraient être contraints de fermer. La conséquence majeure, c’est que les hospitaliers auront du mal à faire face.
Avec ces baisses de tarifs, nous subissons une logique tellement financière que la menace concerne l’offre de soins elle-même et la survie de la biologie de proximité. Aujourd’hui, les quelque 12 000 biologistes, libéraux comme hospitaliers, sont extrêmement remontés. Notre mouvement de grève reconductible est l’ultime coup de semonce pour demander à la caisse de revenir à la table des négociations. Faute de quoi, le conflit pourrait s’installer dans la durée !
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