Négociations conventionnelles

Le G à 30 euros, mais à quel prix ?

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Publié le 16/02/2024
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Volonté d’investir dans la médecine libérale ou effet d’annonce ? Le 8 février, la Cnam s’est engagée à augmenter le tarif de la consultation (G) à 30 euros. Mais ce qui s’apparente à un geste positif ne va pas sans une armada de conditions. Le tout dans un contexte politique et économique pour le moins sablonneux.

Réunion des partenaires conventionnels le 8 février

Réunion des partenaires conventionnels le 8 février
Crédit photo : Harsin/Phanie

Près d’un an après le fiasco de février 2023, qui avait abouti à un règlement arbitral a minima, les partenaires conventionnels se sont retrouvés le 8 février pour un premier round décisif où la Cnam a dévoilé en partie son jeu.

D’emblée, le directeur général Thomas Fatôme a adressé un signal fort à la médecine générale. C’est dit, et même écrit : la nouvelle convention médicale contiendra des « revalorisations importantes », dont la consultation chez le généraliste à 30 euros, contre 26,50 euros. De source syndicale, cette mesure tarifaire pourrait coûter 800 millions d’euros à la Sécu en année pleine. Ce qui n’est pas rien, mais qui est considéré comme un minimum par les médecins pour rattraper l’inflation, créer un effet de souffle et ainsi relancer l’attractivité d’un métier en crise.

Dans son projet, la Cnam n’a pas oublié les médecins de second recours. Plusieurs évolutions tarifaires (d’ores et déjà jugées « insuffisantes » par les syndicats) sont sur la table, comme la hausse de l’avis ponctuel de consultant (APC), qui valorise l’expertise à la demande du médecin traitant à 60 euros (au lieu de 56,50 euros). Pédiatres et psychiatres font l’objet de mesures personnalisées.

Si l’accord est sous conditions de la Cnam, les médecins, eux, sont sous surveillance de Bercy

Autre geste structurant : une refonte des trois forfaits existants (forfait patientèle médecin traitant, rémunération sur objectifs de santé publique, forfait structure), moulés dans un nouveau forfait médecin traitant unique (lire p. 17). Associé à la possibilité accordée aux libéraux volontaires exerçant en groupe et en équipe d’être rémunérés sous une forme « intégralement forfaitaire », sans aucun paiement à l’acte, c’est en réalité une petite révolution qui se joue.

Sous le vernis, des gages

Serait-ce au prix de la tête des médecins ? Car sous le vernis passé par Thomas Fatôme, une grande part d’inconnue persiste dans ce deal. En habile négociateur, le patron de la Cnam s’est bien gardé de dévoiler le calendrier d’application de ces revalorisations ou l’enveloppe globale allouée à cette nouvelle convention. Outre cet angle mort des négos, un autre mystère inquiète la profession : quelle place sera celle du nouveau forfait unique ? Faut-il craindre une cannibalisation du paiement à l’acte, dont les médecins tirent encore 82 % de leurs revenus ?

Certes, le G à 30 euros est un premier pas significatif. Mais les syndicats l’ont vite compris, il ne vient pas sans contreparties. Et si l’accord est sous conditions de la Cnam, les médecins, eux, sont sous surveillance de Bercy. Le temps est à la sobriété économique. Pour boucler le budget 2025, l’État est à la recherche de 12 milliards d’euros d’économies, dont six potentiellement dans le giron de la Sécurité sociale.

« Un médecin généraliste prescrit chaque année en moyenne pour 700 000 euros »

Thomas Fatôme, directeur général de l’Uncam

Pour financer la hausse du tarif de la consultation, Thomas Fatôme attend donc de la part des médecins qu’ils calment les ardeurs du stylo sur l’ordonnance. Médicaments, arrêts de travail, transports sanitaires, examens biologiques… Au chapitre de la pertinence des soins, rien n’a été oublié ! « Un médecin généraliste […] prescrit chaque année en moyenne pour 700 000 euros, soit quatre fois le montant de ses honoraires », a justifié Thomas Fatôme au Figaro. Si les médecins veulent leur G revalorisé, il leur faudra faire des efforts pour réduire leurs prescriptions, par exemple de 90 % pour certains examens biologiques inutiles et de 10 % pour les antibiotiques. Quand ? Dès 2025. Là, la Cnam a sorti son calendrier.

Gabriel Attal resserre l’étau

Si la capacité de l’Assurance-maladie à financer cette convention laisse songeur, la ribambelle de contreparties sur l’accès aux soins qu’elle réclame à la profession n’a rien d’une rêverie. La hausse à 30 euros, « j'y suis favorable mais ça doit être aussi avec un engagement des médecins […] à prendre plus de patients », a confirmé mardi le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, sur France 2. Les libéraux devront, par exemple : s’engager à stabiliser la part de patients ALD sans médecin traitant au « seuil frictionnel » de 2 % dès 2025 ; augmenter le nombre de primo-installés en médecine générale au rythme de +5 % par an ; maintenir le nombre de consultations à 5 000 actes par an minimum. Cerise sur le gâteau, la Caisse souhaite un renforcement des gardes en première partie de nuit pour atteindre 100 % de taux de couverture, contre 95 % actuellement sur ce créneau.

Ce sujet hautement inflammable n’est pas apparu par hasard dans la discussion conventionnelle. À Matignon comme à l’Élysée, les cerveaux cogitaient de longue date pour pousser, sans y toucher, la médecine de ville à revenir sur le chemin des gardes. Lors de sa déclaration de politique générale au Parlement, le Premier ministre, Gabriel Attal, a resserré l’étau : « Depuis 2017, nous déployons le service d’accès aux soins (SAS), qui permet d’améliorer l’accès à la santé, a-t-il détaillé aux sénateurs. D’ici l’été, je souhaite que chaque département en soit doté. Si ce n’est pas le cas, si les réponses sont toujours insuffisantes, je n’ai pas de tabou, et des obligations de garde pour les médecins libéraux pourraient être décidées. »

Comment la Cnam compte-t-elle inciter les médecins déjà surchargés à travailler plus ? Faut-il y voir un retour déguisé du contrat d’engagement territorial (CET), rejeté avec force par les syndicats il y a un an ? Que nenni, rassure la Caisse. Ces différents objectifs, y compris sur la permanence des soins, sont désormais définis « collectivement » et non « individuellement » pour chaque praticien. Mais collectifs ou non, que se passera-t-il si, un jour, les engagements ne sont pas tenus ?

La question se pose d’autant plus que Thomas Fatôme a laissé tomber son flegme habituel pour assurer à plusieurs reprises une petite chose aux syndicats : cet accord, « c’est à prendre ou à laisser ». C’est tout ou rien. Ce n’est pas entre les deux. Mais c’est donnant-donnant.

Donnant-donnant désarmant

La Cnam compte sur la tenue de nouvelles bilatérales en février pour amender son projet global. Le jeu reste donc ouvert. Faute de précisions sur les détails des contreparties et l’entrée en application de l’accord, les syndicats ne peuvent qu’en dénoncer « le flou ». MG France et la CSMF ont beau réclamer la suppression des stabilisateurs économiques (qui repoussent traditionnellement de six mois l'entrée en vigueur des mesures conventionnelles), la Cnam et, à travers elle, le gouvernement, font la sourde oreille.

Le reste de la partie s’annonce compliqué. Si Thomas Fatôme a bien un mandat pour parvenir à un accord, la pression de Bercy risque de peser lourd dans l’arbitrage budgétaire définitif. Dans ce contexte, le soutien de Catherine Vautrin, numéro quatre du gouvernement, et de Frédéric Valletoux, dont la nomination a été très contestée par les syndicats, serait un signal fort pour la profession. Face à l’hôpital en crise, la médecine de ville aura-t-elle elle aussi son « Ségur de la santé » pour pouvoir enfin se réinventer ?

Les 7 mesures capitales

- G à 30 euros (mais quand ?) : consultation généraliste G (C + MMG) – hors téléconsultations – revalorisée à 30 euros. Le calendrier et le périmètre (effecteurs, lieu, modalités d’exercice) de cette augmentation sont à ce jour inconnus.

- APC à 60 euros : avis ponctuel de consultant (APC, qui valorise l’expertise à la demande du médecin traitant) passe de 56,50 euros à 60 euros. Même schéma de revalorisation pour l’APY (psychiatres ou neurologues).

- ESS renforcées : 40 000 euros dès la rédaction d’un projet de santé d’une équipe de soins spécialisés (ESS). Dotation annuelle en sus comprise entre 50 000 euros et 100 000 euros en fonction du nombre de professionnels de santé.

- Révolution capitation : possibilité pour les médecins libéraux volontaires exerçant en groupe et en équipe d’être rémunérés sous une forme 100 % forfaitaire. Deux options : « capitation intégrale » versée en une fois ou formule permettant de choisir la taille de la patientèle sur laquelle le dispositif s’applique.

- Exit la Rosp et le forfait structure : création pour le médecin traitant d’un nouveau forfait unique annuel par patient, composé d’une part fixe calibrée selon la complexité du patient et d’une part variable avec des bonus prévention cumulatifs de +5 euros par indicateur validé. Diverses majorations (10 à 30 %) prévues.

- +5 % pour l’assistant médical : augmentation de l’aide pérenne versée aux médecins à l’embauche d’un assistant. Possibilité d’avoir un deuxième contrat si les objectifs du premier sont atteints.

- Engagements collectifs sur l’accès aux soins : stabilisation de la part de patients ALD sans médecin traitant au « seuil frictionnel » de 2 % dès 2025 ; progression de 7 % des effectifs de médecins installés dans les zones sous-dotées ; couverture à 100 % du territoire par la PDSA et le service d’accès aux soins (SAS). Objectif de croissance de l’adhésion des praticiens à l’Optam de 5 % par an.

Loan Tranthimy, Anne Bayle-Iniguez

Source : Le Quotidien du Médecin