PLFSS : pression sur le secteur 2, la CSMF dénonce un amendement « sournois »

Par
Publié le 06/11/2024
Article réservé aux abonnés

Le budget de la Sécu sera transmis au Sénat, sans vote de l’Assemblée. La version initiale du texte comportera certains amendements adoptés, que le gouvernement accepte de retenir. L’un d’eux entend « généraliser » l’option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam) pour freiner les dépassements d’honoraires. La CSMF y voit une attaque contre le secteur 2.

Crédit photo : PHILIPPE GARO

Fait inédit dans l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025) : le budget va être transmis au Sénat, sans avoir été adopté par l’Assemblée nationale. Ni vote global, ni 49.3 auront conclu les débats inachevés, mardi 5 novembre à minuit.

Les députés ayant échoué à voter le texte dans les délais constitutionnels impartis, la ministre chargée des Relations avec le Parlement, Nathalie Delattre, a mis fin à la séance à minuit, alors que les députés débattaient encore des amendements après l’article 18. Le gouvernement a donc saisi le Sénat du texte qu’il a initialement présenté, modifié toutefois par un certain nombre d’amendements votés, qui seront précisés ultérieurement, et qu’il acceptera de retenir.

Haro sur les « dérives » des dépassements

L’un d’entre eux, adopté lundi 4 novembre, se propose d’encadrer le secteur 2 à honoraires libres, à la faveur d’un objectif de « généralisation » des options de pratique tarifaire maîtrisée* (Optam et Optam-CO pour les chirurgiens et les obstétriciens).

Cet amendement a été porté par plusieurs députés du « socle commun » (selon l'expression utilisée par Matignon pour désigner l’alliance des macronistes et de LR), dont les médecins Jean-François Rousset et Michel Lauzzana (Ensemble pour la République), l’éphémère ministre de la Santé Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) mais aussi d’anciennes figures des gouvernements Macron, Olivia Grégoire et Prisca Thévenot.

Dans l’exposé sommaire des motifs, les députés signataires argumentent que, en 2021, le taux moyen de dépassement des honoraires constaté en France pour les médecins en secteur 2 a atteint 44,7 %, contre seulement 30 % en 1995. « Ces dépenses représentent un coût important pour les ménages, qui perdent en pouvoir d’achat », expliquent les élus.

Chirurgiens et obstétriciens dans le viseur

Si les complémentaires supportent totalement ou partiellement le reste à charge, le poids des dépassements d’honoraires participe à « l’augmentation du tarif des mutuelles », peut-on lire encore dans l’exposé des motifs. Et si les négociations conventionnelles ont permis de freiner les dépassements, justement grâce à la mise en place de l’Optam et de l’Optam-CO en chirurgie et en obstétrique, les députés déplorent l’impact « limité » de cette régulation tarifaire. Ils font valoir que le taux de dépassement chez les chirurgiens atteignait 55,7 % en 2021.

En pratique, l’amendement s’attaque indirectement et non pas frontalement au secteur 2. Il vise « l’objectif d’une généralisation de l’Optam » avec dépassements encadrés, évolution qui permettrait selon les députés une « uniformisation des conditions d’exercice des médecins exerçant en secteur 2 », et ce « en même temps qu’une révision des conditions fiscales et sociales prévues en contrepartie de cette adhésion ». Dans leur argumentaire, les députés rappellent que les honoraires doivent être déterminés avec « tact et mesure », en tenant compte de la réglementation ou de circonstances particulières. Or, « de trop nombreuses dérives sont observées », peut-on lire.

C’est un emplâtre sur une jambe de bois, mais on ne peut pas être favorable au principe du dépassement d’honoraires

Yannick Neuder député LR, rapporteur général

Lors du débat dans l’Hémicycle sur cet article, c’est paradoxalement le chirurgien macroniste, Jean-François Rousset, qui a défendu cet amendement, évoquant la récurrence et l’ampleur des dépassements d’honoraires chez ses confrères spécialistes. Lesquels dépassements « empêchent certains patients d’accéder à des soins de qualité : s’ils ne peuvent pas les payer, ils sont obligés d’aller ailleurs », a-t-il développé. « Autrefois, la proposition se faisait avec tact et mesure : un dialogue s’instaurait entre le patient et le médecin, ce dernier essayant de comprendre si le patient pouvait financer un dépassement d’honoraires, et le justifiant par sa maîtrise d’une technique particulière ou par sa notoriété. Tout cela est loin des réalités actuelles », a-t-il soupiré. Avant de souligner que les praticiens pratiquant des dépassements s’installent surtout dans des zones géographiques où ils sont certains que les patients peuvent payer ces tarifs, comme sur la Côte d’Azur et au Pays basque, au détriment d’autres territoires…

De son côté, le rapporteur général du PLFSS, Yannick Neuder (LR), lui-même cardiologue, a donné un « avis de sagesse » à titre personnel sur cet amendement. Selon lui, cette initiative de régulation tarifaire est « un emplâtre sur une jambe de bois, mais on ne peut pas être favorable au principe du dépassement d’honoraires ». Pour le cardiologue, le vrai sujet est surtout le trop peu de médecins formés et la fuite d’étudiants français à l’étranger qui amplifie la désertification médicale.

Peu à l’aise avec cette mesure, la ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq a d’abord défendu l’Optam, un levier qui « a fait ses preuves depuis sa création, puisque les dépassements n’ont progressé que de 3 % entre 2010 et 2022 alors qu’ils progressaient de 6 % entre 2000 et 2010 ». Puis, la ministre a demandé à Jean-François Rousset de retirer son amendement, promettant des « travaux à venir », mais « sereinement », sur le « vrai sujet » des dépassements. Chose acceptée mais l’amendement a été aussitôt repris de l’autre côté de l’hémicycle par la voix du député socialiste Jérôme Guedj, puis adopté par les voix de gauche… Sandrine Rousseau (groupe écologiste et social) a souligné l’« impératif besoin de réguler les dépassements, voire de les interdire complètement à terme ».

Une mesure « sournoise » pour la CSMF

La profession n’a pas tardé à réagir. La CSMF a dénoncé un « amendement des plus sournois », qui, selon la centrale polycatégorielle, « signe la fin du secteur 2 pour les médecins, sans le dire explicitement ». La CSMF récuse une mesure qui, si elle était adoptée définitivement, reviendrait « non plus à proposer, mais à imposer un Optam à tous les médecins en secteur 2 ». De fait, si elle est généralisée à tous les praticiens éligibles, l’option de pratique tarifaire maîtrisée n’aurait plus d’option que le nom.

Reste à savoir si l’amendement voté figurera dans la version du texte transmis par le gouvernement au Sénat (Geneviève Darrieussecq ayant finalement opté pour un « avis de sagesse » à la fin de la discussion). Une façon pour la ministre de la Santé d’ouvrir la porte à une révision des règles du secteur 2 ?

En contrepartie de dépassements encadrés, l’adhésion à l’Optam donne accès à des majorations spécifiques ainsi qu’à une prime calculée au prorata de l’activité réalisée à tarif opposable. Les patients bénéficient d’un meilleur niveau de remboursement des actes cliniques et techniques.


Source : lequotidiendumedecin.fr