Après plus de sept ans d'instruction, la perspective d'un procès dans un dossier sans précédent se dessine : malgré ses dénégations, l'ancien anesthésiste de Besançon Frédéric Péchier a été renvoyé lundi 5 août devant les assises du Doubs pour les empoisonnements de 30 patients, dont 12 mortels.
Les deux juges d'instruction ont signé l'ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises, un document de 369 pages qui résume les charges pesant sur le Dr Péchier et qui a été notifié dans la journée à la défense et aux parties civiles, a indiqué à l'AFP le procureur de la République de Besançon, Étienne Manteaux.
Les magistrats instructeurs ont donc décidé de renvoyer le Dr Péchier, qui n'a jamais cessé de clamer son innocence, devant les assises pour qu'il soit jugé pour des empoisonnements lors d'opérations chirurgicales de 30 patients, dont 12 sont décédés. Pour ces faits présumés, Frédéric Péchier, 52 ans, encourt la réclusion criminelle à perpétuité, a indiqué le procureur de Besançon. Le praticien ne sera en revanche pas jugé pour deux autres cas pour lesquels il avait été placé sous le statut de témoin assisté, les juges ayant décidé pour ces deux empoisonnements d'un non-lieu partiel.
Pas de procès avant 2025
L'ensemble de ces décisions est « conforme aux réquisitions » qu’Étienne Manteaux avait communiquées à la presse en mai dernier, a-t-il souligné. La défense du Dr Péchier n'a présenté aucune observation à l'issue de ces réquisitions, a relevé le magistrat.
La défense dispose désormais de dix jours pour contester ce renvoi, a précisé le procureur, qui n'a pas été en mesure de donner une date quant à la tenue du procès, qui ne pourra de toute façon pas se tenir avant l'an prochain.
Le Dr Péchier est soupçonné d'avoir pollué, entre le 10 octobre 2008 et le 20 janvier 2017, les poches de perfusion de patients dans deux cliniques privées de Besançon pour provoquer des arrêts cardiaques puis démontrer ses talents de réanimateur, mais aussi pour discréditer des collègues avec lesquels il était en conflit.
Dossier sans précédent
Initialement, la justice avait été saisie pour 77 événements indésirables graves (EIG). L'affaire avait débuté lorsqu'une anesthésiste d'une clinique de Besançon avait donné l'alerte après trois arrêts cardiaques inexpliqués de patients en pleine opération. Ce dossier est « sans précédent » dans les annales de la justice française, « on n'est pas du tout dans un cadre d'euthanasie », a insisté Étienne Manteaux. « C'est totalement unique » car les faits reprochés ne visaient pas à « empoisonner pour abréger les souffrances de patients. Là, ce sont des personnes pour la plupart en bonne santé qui venaient subir des opérations anodines » et « dont le pronostic vital n'était pas engagé ».
« L'autre dimension vertigineuse de ce dossier » est que les patients n'étaient pas visés en tant que tels, a analysé Étienne Manteaux. Selon le scénario de l'accusation, ce sont en effet les médecins avec lesquels le Dr Péchier était en conflit qui étaient visés, les patients n'étant « qu'un vecteur pour [les] atteindre », a-t-il ajouté.
Dans la grande majorité des cas, les nombreuses expertises qui émaillent ce dossier extrêmement complexe ont jugé qu'il existait des « suspicions fortes » – dans quelques cas des « certitudes » – que des substances en doses parfois létales avaient été administrées aux patients venus se faire opérer dans les deux cliniques où officiait le Dr Péchier, souvent pour des interventions bénignes.
Personnage du sauveur
Sur 1 514 personnes recensées par les enquêteurs et susceptibles d'avoir eu accès aux salles d'opération entre 2008 et 2017, le Dr Péchier est la seule « présente dans ces établissements aux périodes où les 30 empoisonnements présumés ont été constatés », avait indiqué Étienne Manteaux.
« Primo intervenant quand survenait un arrêt cardiaque », il avait, selon ses collègues, « toujours la solution », « se prenait pour le meilleur » et « s'était créé un vrai personnage charismatique de sauveur », avait-il encore pointé, notant que, « dans les empoisonnements où les patients sont décédés, il était en conflit plus marqué avec les collègues auxquels ça arrivait ».
Après avoir gardé le silence durant plusieurs interrogatoires, le Dr Péchier avait incriminé ses anciens collègues lors d'une de ses auditions, assurant que la majorité des EIG résultaient « d'erreurs médicales » de leur part.
Leïla Chaouachi (spécialiste de la soumission chimique) : « Il faut aussi aider les médecins à rompre l’isolement »
L’Académie pointe les disparités de l’offre de soins en cancérologie
Un carnet de santé numérique privé ? L’onglet de Doctolib jette le trouble, jusqu'au ministère
Le retour à l’hôpital d’une généraliste après 25 ans de libéral