Justice pénale, justice civile, instances ordinales et autres commissions de conciliation et d’indemnisation font de plus en plus partie de l’exercice de la médecine générale. Un médecin de famille sur deux verra en effet sa responsabilité mise en cause au cours de sa carrière. Telle est l’estimation de Nicolas Gombault, directeur général délégué de la MACSF, assureur leader des professionnels de santé.
Dans une récente émission réalisée par Fréquence M pour la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), celui-ci constatait que la situation était bien pire chez les neurochirurgiens ou les orthopédistes, mis en cause en moyenne une fois par an. Mais il remarquait aussi que les généralistes sont de plus en plus attaqués. Dans les dossiers où ils apparaissent, les indemnisations peuvent atteindre dans certains cas plusieurs millions d’euros. Leur rôle de médecin traitant les amène en effet à gérer l’ensemble du parcours du malade, ce qui multiplie les risques de faute.
La moitié des dossiers liée à des retards de diagnostic
La plus grande fréquence des mises en cause de généralistes a au moins un avantage : elle permet de dresser des statistiques, ce qui donne à la profession une idée des facteurs qui peuvent conduire un praticien devant les diverses instances de règlement des litiges, et qui peuvent surtout lui fournir des leviers d’action. À ce titre, le dernier rapport de la MACSF sur le risque médical est particulièrement instructif car il contient une analyse des 857 sinistres déclarés entre 2015 et 2017 par les 42 000 généralistes qu’elle couvre.
La moitié des dossiers étudiés dans le cadre de ce travail correspondaient à des retards de diagnostics (mauvaise appréciation ou banalisation des symptômes, non suivi des préconisations d’un autre spécialiste, manque de proactivité dans le suivi du patient, etc.). Un tiers avait trait à des événements iatrogènes (sur ou sous-dosage des médicaments, complications liées aux molécules à marges thérapeutiques étroites, etc.). Enfin, 13 % étaient liés à des problèmes d’organisation de la prise en charge.
Conduite à tenir
« Nous avons affaire à des patients mieux informés, ce qui accroît la dérive judiciaire de notre exercice », constatait le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, dans l’émission Planète Médecins déjà citée. Ce qui ne signifie pas qu’on ne peut rien faire pour éviter de passer à côté d’une pathologie aiguë, erreur de plus en plus synonyme de poursuites. La principale recommandation émise par les assureurs concerne certainement l’après-consultation : la prise en charge ne s’arrête pas une fois qu’un examen a été prescrit ou qu’un autre spécialiste a été sollicité. En l’espèce, l’absence de nouvelles ne signifie pas forcément que les nouvelles sont bonnes : un message annonçant des résultats de laboratoires désastreux aura beau s’être perdu, les tribunaux ne retiendront pas cela comme élément à la décharge du généraliste, qui a la mission de coordination entre les différents intervenants du parcours du patient.
Autre recommandation : dans les dossiers incriminés, les examens cliniques ne sont parfois pas complets, ou ils sont insuffisamment replacés dans leur contexte (historique de prise en charge du patient, antécédents, etc.). Dans les situations ayant entraîné une condamnation, le caractère d’urgence de la prise en charge a par ailleurs souvent sous-estimé par le praticien mis en cause. L’importance de la traçabilité des examens est également fréquemment soulignée : tout noter peut paraître pénible sur le moment, mais s’avère d’une importance capitale face au juge le moment venu.
Bien sûr, ces recommandations sont plus faciles à émettre qu’à appliquer dans la vraie vie. Mais la judiciarisation de la médecine est un fait de société qu’il faut bien admettre. Dans l’émission de Fréquence M, Nicolas Gombault assurait qu’en dépit de la montée du nombre de mises en cause, il reste « persuadé que les praticiens sont de bonne qualité ». Selon lui, « c’est le risque juridique qui a augmenté, pas le risque médical ». Ce qui ne doit pas empêcher les généralistes d’entrer dans une démarche qualifiée en santé publique de… « réduction des risques ».
A.R.
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