Témoignage exclusif

Le Pr Kolesnyk, généraliste ukrainien, raconte son quotidien dans un pays en guerre

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Publié le 14/03/2022
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Tandis que son pays, l’Ukraine, est en guerre contre la Russie, le Pr Pavlo Kolesnyk s’est engagé dans sa ville, Oujhorod, pour accueillir les réfugiés et maintenir une permanence des soins.

Crédit photo : Pr P.K.

Son pays est en guerre contre la Russie depuis le 24 février. En exclusivité pour Le Généraliste, le Pr Pavlo Kolesnyk, médecin de famille ukrainien, raconte son quotidien bouleversé. Installé dans la ville d’Oujhorod, à l’ouest du pays – très proche des frontières slovaque et hongroise –, le praticien n’est pas sous les bombes. « C’est la région la plus sûre d’Ukraine aujourd’hui, ce qui explique pourquoi elle attire autant de réfugiés. La population de ma petite ville a doublé en quinze jours, passant de 100 000 à 150 000 habitants ! », témoigne-t-il.

Alors, devant cet énorme afflux de population, les citoyens s’organisent, sur place, pour aider leurs compatriotes. « Beaucoup de gens partagent leur appartement. J’ai, par exemple, onze personnes – de ma famille ou des amis – qui se sont réfugiées sous mon toit. Je ne pouvais pas refuser de les héberger. D’autres abritent des inconnus… La solidarité est énorme. Il faut imaginer que ces personnes ont perdu leur maison, leur famille parfois… Ils sont en panique », partage l'omnipraticien.

Des refuges montés dans des gymnases

Cette panique, le Pr Kolesnyk l'a ressentie personnellement, quand les premières bombes ont été lancées sur son pays. Son frère, à Kyiv, a réussi à le rejoindre après des heures interminables de route. « On ne s’attendait pas à une guerre. Personne n’était au courant. Ce n’est qu’à quatre heures du matin qu’il a entendu les sirènes et les mouvements de panique. Il lui a fallu 28 heures pour me rejoindre – contre huit en temps normal – tellement les bouchons étaient énormes sur les routes. »

À Oujhorod, quinze refuges ont été créés dans des crèches, écoles, gymnases, où les réfugiés peuvent se reposer, trouver un lit et une couette. Les médecins ont organisé des gardes et des « infirmeries » dans chaque refuge. L’aide humanitaire étrangère les aide à accueillir le flux d'Ukrainiens.

 

Les Ukrainiens touchés psychologiquement

S’il n’a pas à soigner des blessés, étant trop éloigné des scènes de guerre, le Pr Kolesnyk s'occupe des troubles psychologiques liés à l’angoisse du conflit. En fonction des besoins, les médecins essayent de se procurer les médicaments adéquats, notamment pour ceux souffrant de maladies chroniques. « Nous avons un manque de médicaments dans nos pharmacies car nos stocks n’étaient pas adaptés à autant de monde ! Mais des Européens venus en voiture nous ont déposé des médicaments, notamment des opioïdes et des anxiolytiques, utiles pour gérer le stress et éviter des syndromes post-traumatiques. Sinon, nous avons un compte en banque spécial en Hongrie destiné à acheter ce dont les réfugiés ont besoin : nourriture, vêtements, couvertures, etc. »

Le Pr Kolesnyk peut également compter sur l’aide de professionnels de santé rencontrés auparavant, comme « une médecin américaine venue il y a quelques années pour nous apprendre les techniques chinoises d’acuponcture. Elle va venir nous aider dans les prochains jours pour aider à gérer les angoisses des réfugiés et apprendre aux soldats à aider leurs collègues à gérer les crises de panique ».

Un soutien international

Si une certaine continuité des soins peut s'opérer chez lui, quid des autres régions ? « J’ai un ami chirurgien orthopédique, du sud de l’Ukraine, bombardé par les Russes, qui travaille toujours à l’hôpital. Ils opèrent et prennent soin des blessés. Nous avons profité d’un couloir humanitaire pour leur envoyer du matériel. »

Optimiste, le membre de la branche européenne de l’Organisation mondiale des médecins de famille (Wonca) et professeur à l'université ne se sent pas seul et témoigne de l'importance de la communauté internationale. « Nous avons le sentiment que le monde entier nous soutient. Le fait de comprendre que nous ne sommes pas seuls nous rend plus forts. Même en Europe, de nombreuses familles partagent leur appartement avec des réfugiés ukrainiens. Cela nous fait chaud au cœur. Nous avons hâte qu’ils rentrent à la maison. Nous sommes courageux, même si nous souffrons : nous viendrons à bout de cette guerre. »

Si vous souhaitez joindre le Dr Pavlo Kolesnyk, vous pouvez lui écrire un e-mail (en anglais) à cette adresse : dr.kolesnyk@gmail.com


Source : lequotidiendumedecin.fr