Introduit en 2003 par la loi Fillon, le cumul emploi-retraite apparait aujourd’hui comme un levier incontournable pour faire face à la pénurie médicale. Lors de son discours de politique générale du 1er octobre, le Premier ministre Michel Barnier a affirmé vouloir s’appuyer davantage sur les médecins retraités pour lutter contre les déserts médicaux « en leur permettant de reprendre du service avec un cumul favorable des rémunérations et des retraites ». Dont acte.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2025), examiné à l’Assemblée nationale depuis lundi 28 octobre en séance publique, comporte plusieurs amendements visant à inciter les médecins libéraux à poursuivre ou à reprendre une activité. Le gouvernement a introduit un amendement au texte qui prévoit « de relever le plafond de revenus permettant aux médecins en cumul de bénéficier du régime simplifié des professions médicales ». Aujourd’hui, ce régime simplifié s’adresse aux médecins remplaçants ayant un chiffre d’affaires inférieur à 19 000 euros.
Or au regard des activités des médecins retraités en cumul (remplacement, régulation, etc.), seuls 7 % d’entre eux sont éligibles au plafond inférieur à 19 000 euros par an. Cet amendement gouvernemental est identique à celui porté par le généraliste Michel Lauzzana (parti présidentiel Ensemble pour la République), longuement discuté la semaine dernière en commission des affaires sociales. « De nombreux médecins retraités arrêtent les remplacements lorsque leur bénéfice atteint 19 000 euros. En effet, les cotisations prélevées à partir de 19 000 euros passent de 13,5 % à 21,20 % », avait alors plaidé le Dr Lauzzana.
Pérenniser l’exemption des cotisations vieillesse
Dans la même veine, le Dr Yannick Neuder, rapporteur général du PLFSS et député DR (la droite républicaine) de l’Isère, propose « la réactivation et la pérennisation du dispositif d'exonération des cotisations sociales pour les médecins retraités ».
Ce projet jusqu’ici expérimental, mis en place lors de la LFSS 2023, s'est achevé le 1er janvier 2024. À la différence du dispositif de 2023, le nouveau dispositif ne mentionne pas de plafond de ressources et s'appliquerait à la totalité des revenus que les médecins en cumul retraite et activité libérale tireraient de leur activité. « L’exonération de charges peut être dans ce contexte un levier déclencheur, a défendu le cardiologue en fin de semaine dernière, lors d’une rencontre avec l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis). On ne peut pas envisager de pousser au cumul emploi-retraite une infirmière qui fait les 3-8. Mais un médecin peut envisager de consacrer un ou deux jours dans sa semaine à une activité professionnelle relative à des missions d’enseignement ou d’accompagnement, et non des gardes ou des actes médicaux lourds. »
Faire sauter les limites
Revendiquant la « paternité » de ce dispositif, le Pr Philippe Juvin, député des Hauts-de-Seine (DR), a tenu à rappeler qu’il a été « le premier avec le député Thibault Bazin [DR, Meurthe et Moselle] à avoir déposé un amendement dans ce sens ».
En 2023-2022, l’anesthésiste avait en effet fait adopter un texte/amendement en commission des affaires sociales au PLFSS visant à exonérer les cotisations vieillesse l’ensemble des médecins retraités en cumul sans plafond de ressources grâce au soutien de la gauche et du Modem. Après un recours au 49.3, cette mesure a certes été reprise par le gouvernement dans le PLFSS de 2023 « mais de façon limitée », c’est-à-dire uniquement sur l’année 2023 et avec un plafond de ressources qu’un décret a établi à 80 000 euros, ajoute-t-il. Malgré cet encadrement, le nombre de médecins cumulant activité libérale et retraite a bondi de 7,1 % en un an. « Cela aurait pu progresser encore plus vite si le gouvernement n’avait pas encadré cette disposition. J’en ai assez de cette politique de gribouille », martèle le Pr Juvin.
Face à l’urgence, le député compte bien défendre en séance publique un nouvel amendement visant à supprimer purement et simplement « les deux limites » [de seuil et de plafond de ressources, NDLR] « afin de maintenir en exercice les médecins actuellement en place le plus longtemps possible ». « Si on ne favorise pas le cumul des libéraux, vous tuez le système de santé tout simplement », avertit le chef des urgences de l’Hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP).
« J’en ai assez de cette politique de gribouille »
Philippe Juvin, député LR (Hauts-de-Seine)
Les parlementaires divisés
Examinés ce mardi en fin de journée, ces amendements auront-ils le soutien des parlementaires, notamment ceux de la gauche qui se sont montrés très critiques en commission des affaires sociales ? Le député Hadrien Clouet (LFI-NFP) s’est dit « évidemment contre l’amendement [du Pr Juvin, NDLR] qui nous coûterait extrêmement cher alors que d’autres solutions existent ». Une position également partagée par le député écologiste Hendrik Davi : « La proposition qui nous est faite me laisse rêveur, a-t-il lancé en commission. Nous avons un problème de démographie médicale et de déserts médicaux, mais la solution serait de faire travailler des médecins au-delà de 60, 65 ou 70 ans. Et pourquoi pas 70 ou 80 ans ? »
Dégâts collatéraux
Confrontés au temps médical qui manque, les députés semblent être de nouveau divisés sur les solutions à prendre. Prioriser l’installation des jeunes par des mesures attractives ou inciter les seniors à rester plus longtemps en activité, quitte à provoquer des dégâts collatéraux du côté de la Carmf. Selon l’organisme qui gère les trois régimes de retraite des médecins (général, complémentaire et ASV), 13 500 praticiens libéraux sont en cumul emploi-retraite en France, soit près de 12 % des cotisants à la Carmf. Cela représente environ 200 millions d’euros puisés dans les réserves. Or « ces exonérations favoriseraient certes les cumulants mais pénaliseraient l’ensemble des médecins », avertit le Dr Olivier Petit, président de la Carmf.
Selon son calcul, ce type de mesure inciterait les médecins à partir en retraite dès leur taux plein obtenu (pour bénéficier des mesures d’exonération) alors qu’aujourd’hui, presque 50 % des médecins libéraux partent en retraite après 67 ans. « Ces départs anticipés en retraite occasionneraient une perte supplémentaire de cotisations de 100 à 150 millions d’euros par an pour la Carmf », ajoute le Dr Petit, soit un total de 350 millions d’euros annuels de pertes de recettes.
En cas de non-compensation par l’État, le conseil d’administration de la Carmf serait alors amené à réduire les revalorisations des pensions des médecins retraités et conjoints survivants pour les prochaines années voire à augmenter les cotisations « au risque de décourager les jeunes confrères ». « C’est l’effet inverse recherché », prévient le président de la Carmf. Cet argument pourrait-il être entendu ? La bataille sur le cumul emploi-retraite s’annonce âpre dans l’Hémicycle.
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